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Juve, d’un hochement de tête, avait rassuré son chef, puis il avait éclaté de rire :

— D’ailleurs, expliqua-t-il, ce qu’il y a d’amusant, monsieur Havard, c’est que, si réellement Fantômas a pris la place du tsar, non seulement il va être arrêté par nous, mais encore il aura été fort désappointé par l’invention du prince Nikita. Vous savez que cet officier a détruit le document pour en réciter le texte au tsar. Il y a gros à parier que le lieutenant prince Nikita s’adressera au tsar en russe. Fantômas n’en comprendra pas un traître mot.

***

Quatre-vingt-huit kilos.

Juve, arrivé à l’usine de Feignies avant le prince Nikita lui-même, avait merveilleusement endoctriné les frères Rosenbaum qu’il devait pourtant, dans la soirée, faire si promptement mettre à la porte par les policiers réquisitionnés à la brigade de gendarmerie voisine.

Grâce aux directeurs de l’usine, Juve, en compagnie du chef de la Sûreté, avait en effet obtenu que l’on traçât de telle manière le chemin du souverain, que, forcément, fatalement, pour éviter des obstacles accumulés à dessein dans la cour de la cristallerie, le tsar dût passer sur une grande bascule de niveau avec le sol, ce qui allait permettre de le peser à son insu.

Juve, alors, s’était tapi dans l’ombre.

Sans un regard pour le tsar, au moment où celui-ci passait devant lui, car Juve savait combien Fantômas, le cas échéant, pouvait s’être habilement grimé, le policier prit le poids du souverain.

Et c’était tandis que le prince Nikita s’entretenait avec l’empereur que le policier, aidé de M. Havard, avait enfin pu, relever ce poids de « quatre-vingt-huit kilos », qui établissait péremptoirement que ce n’était pas le tsar qui était là, que c’était Fantômas.

***

— Agissons, disait Juve.

— Agissons, répétait M. Havard.

Le policier et le chef de la Sûreté, rapidement, donnèrent des ordres, rassemblèrent autour d’eux les gendarmes, heureusement groupés autour de l’usine, puis encore quelques policiers belges obligeamment mis à leur disposition par le service de surveillance.

— Nous allons entrer par le corridor, naturellement ? proposa Juve. Deux hommes demeureront ici, dans la cour, guettant la fenêtre du cabinet où se trouve l’imposteur. Mais cette fenêtre est grillée. Par conséquent, aucune fuite n’est à craindre de ce côté. Pour nous, nous enfoncerons la porte, nous sauterons sur Fantômas. Peut-être est-il armé, mais nous sommes plus d’une douzaine. Ma foi, s’il touche deux ou trois d’entre nous, les autres feront le nécessaire.

Or, au moment même où Juve et le chef de la Sûreté donnaient ainsi leurs instructions à la petite troupe de braves gens qui allaient les aider à tenter la formidable arrestation, il arriva quelque chose que nul n’avait prévu.

Dans le silence de l’usine, net, formidable, une détonation, la détonation d’un revolver.

— Nom de Dieu, cria Juve, Nikita l’a reconnu. C’est certainement Nikita qui a tiré.

M. Havard, manquant de sang-froid, avait déjà hurlé :

— En ayant.

Et, derrière lui, au côté de qui Juve venait de se jeter en avant, tous les autres policiers s’élançaient. En quelques secondes, revolvers au poing, Juve, M. Havard et les agents arrivaient à la porte du cabinet directorial. Cette porte, ils l’enfonçaient.

Et alors, sans rencontrer la moindre résistance, sans même que les uns et les autres eussent eu le temps de voir le cadavre du prince Nikita, les policiers se ruèrent sur le tsar, sur le faux tsar.

Juve, avant tout autre, avait sauté à la gorge du bandit :

— Fantômas, cria-t-il, Fantômas, vous êtes pris.

Et Fantômas, en effet, était pris.

Dix hommes s’agrippaient à lui.

Deux gendarmes le maintenaient par les pieds, un policier belge lui tordait les bras en arrière. Juve qui le tenait toujours à la gorge, cria :

— Regardez, chef, regardez si je m’étais trompé.

Et, en même temps, Juve, d’une seule main, arracha la barbe postiche collée au visage du forban, déroula le cache-nez qui engonçait son cou, fit tomber ses sourcils d’emprunt.

L’homme avait changé d’aspect.

Ce n’était plus le faux tsar que tenaient les policiers, c’était bien Fantômas, c’était bien l’Insaisissable. Le bandit, pourtant, étouffait presque.

— Vous voulez me tuer, râla-t-il avec une peur soudaine de bête prise au piège.

— Vous tuer ? Pas encore. L’échafaud vous attend, mais je ne suis pas un bourreau.

Juve recula de trois pas et, d’une voix où son triomphe faisait vibrer une joie folle, il ordonna aux gendarmes :

— Mettez les menottes à cet homme. Liez-lui bras et jambes. Au nom de la loi, Fantômas, je vous arrête.

Or, Juve n’avait pas fini de parler qu’un incident grotesque se produisit.

L’un des policiers belges, en effet, qui venaient d’aider à l’arrestation s’avança.

— Monsieur Juve, dit très froidement cet agent, pour une fois, savez-vous, c’est impossible que tu arrêtes cet homme. Ici, monsieur Juve, dans cette usine, vous êtes de l’autre côté de la frontière, et il faut que ce soit moi, sais-tu, qui arrête Fantômas.

Juve, d’abord, haussa les épaules. Puis, bientôt, prenant son parti de l’aventure :

— Vraiment ? disait-il, tout en toisant Fantômas qui demeurait impassible, vraiment, nous sommes en territoire belge ici ? Eh bien, tant pis. Arrêtez Fantômas, monsieur le policier. Le gouvernement français en sera quitte pour réclamer son extradition.

Mais, à cette minute même, Fantômas sortit du silence qu’il avait jusqu’alors flegmatiquement gardé :

— Vous vous trompez, Juve, disait-il il n’y aura pas d’extradition pour moi.

— Pas d’extradition. Pourquoi donc ? Vous vous moquez de moi, Fantômas ?

— Je ne raille pas, Juve. Tenez, écartez-vous, regardez là, près de ce canapé. Dites-moi, Juve, reconnaissez-vous le corps du prince Nikita ? Je viens de le tuer. Je l’ai tué en territoire belge, c’est la Justice belge qui me jugera.

Juve regarda le cadavre, pris de court.

— Vous avez tué le prince Nikita, finit-il par articuler, non sans peine, allons donc. Je suis au courant, Fantômas, le prince s’est fait sauter la cervelle.

— Pourriez-vous le prouver ?

— Qu’importe, même si je ne prouve pas cela, je prouverai autre chose.

— Et quoi donc, s’il vous plaît ?

— Que vous avez mérité la mort, Fantômas. En Belgique ou en France, songez-y, l’échafaud vous attend et…

Mais Juve s’interrompit car Fantômas venait d’éclater de rire.

Oui, Fantômas riait aux éclats.

— Monsieur Juve, déclara bientôt le bandit, reprenant son assurance, vous avez remporté une victoire en me faisant arrêter, moi, l’Insaisissable. Soit, je le reconnais, je vous en félicite. Mais en me faisant arrêter ici, je remporte, moi aussi, une victoire. L’échafaud m’attend en Belgique, dites-vous ? Erreur. On n’exécute pas, en Belgique. Il n’y a de peine capitale en Belgique que dans la Loi, mais, en fait, jamais on ne l’applique. C’est une tradition plus forte que le Code lui-même. Je risque les travaux forcés. Voilà tout. Les « usages » me sauvent de votre haine. Nous aurons encore le temps de nous revoir.

Et comme Juve, atterré cette fois, demeurait muet, anéanti par la monstrueuse audace dont faisait preuve le Génie du Crime, c’était Fantômas lui-même, Fantômas, supérieur au Destin, qui se tournait vers les policiers belges :

— Emmenez-moi donc, commandait-il ; cette scène devient grotesque. Juve est par trop ignorant.

Les policiers belges prirent le bandit par les épaules. Fantômas sourit à Juve, lui décocha un dernier trait :

— Au revoir dit-il, au revoir, Juve. Vous gagnez une partie aujourd’hui, nous jouerons la belle une autre fois.

Juve, d’une voix blanche, put tout juste lui répondre :

— Quand vous voudrez, Fantômas. À la prochaine. Mais ce sera votre tête qui nous servira d’enjeu.

FIN