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— Donc, vous estimez, Fantômas, que je ne puis rien contre vous ? Parfait. Mais que pouvez-vous vous contre Fandor et moi ? Pouvez-vous donner un ordre quelconque qui nous porte préjudice ? Vous le savez aussi bien que moi, cela vous est impossible. Nous sommes des naufragés, des rescapés. Aux termes des règlements maritimes vous devez, vous, Fantômas, au premier navire que nous croiserons, à la première escale que vous ferez, nous débarquer. Par conséquent…

— Permettez, fit le bandit. Voulez-vous que nous résumions la situation ? Je vous défie Juve, de tenter quoi que ce soit contre moi et vous me défiez, vous de tenter quoi que ce soit contre vous ou contre Fandor, c’est bien ça ?

— Parfaitement Fantômas. À votre défi, je réponds par un autre défi.

— De sorte que la situation vous paraît inextricable ? Eh bien, mon cher Juve, laissez-moi vous dire que vous vous trompez. Voyons, quelle heure est-il ?

— Dix heures et demi, dit Fandor.

— Merci. Et maintenant, savez-vous, messieurs, exactement où nous sommes ?

— Comment où nous sommes ?

— Je veux dire : où se trouve le Skobeleff.

— Mais sur les côtes de Bretagne ?

— Exactement, à quelques kilomètres de la pointe Saint-Mathieu. Nous y parviendrons, si je suis bien renseigné par les officiers du bord, par mes officiers, mon cher Juve, d’ici à vingt minutes au plus tard. Or, à la pointe Saint-Mathieu…

La plainte d’une sirène lui coupa la parole.

D’un même mouvement Juve et Fandor s’étaient levés.

Fantômas, nonchalamment, s’était levé, lui aussi :

— Oh oh, gouailla-t-il vous n’êtes pas habitué aux choses de mer, mon cher Juve, ni vous non plus, Fandor ? Ce qui se passe ? Mais rien du tout. Le brouillard est épais, nous naviguons en des mers assez fréquentées, par des bateaux de pêche, le Skobeleffdonne de la sirène pour signaler son passage. Voilà tout.

On frappait à la porte de la petite cabine. C’était le comte Piotrowski qui venait aux ordres :

— Mon Commandant, je tiens à vous signaler que nous sommes entièrement gagnés par la brume. D’après le point fait à midi et l’estimation du loch nous devons être juste à la hauteur de la pointe Saint-Mathieu. J’ai fait allumer les feux de position, je viens d’ordonner à la sirène de siffler toutes les deux minutes. Je gouverne, d’après la carte, nord-nord-ouest. Est-ce bien ?

— C’est bien, monsieur, mais gouvernez au plus près, vous allez apercevoir, j’imagine, le phare de la pointe.

Il n’avait pas fini de parler que derrière le comte Piotrowski apparaissait le lieutenant Alexis.

— Mon Commandant, demanda le jeune officier, comment dois-je piloter ? J’ai deux feux par tribord, ce doit être la passe, et cependant à bâbord j’aperçois encore deux autres feux dans la brume, deux feux qui sont certainement les feux de position de deux barques, car ces feux se balancent au rythme de la houle.

Le comte Piotrowski demeura muet, déférent. Fantômas ordonna :

— Il faut être prudent, messieurs, ces parages sont dangereux. Puisque vous apercevez à bâbord deux navires, gouvernez droit dessus, nous sommes certains, d’avoir la mer ouverte et, dans une heure, si la brume ne s’est pas levée, nous mettrons en panne.

Les deux officiers se retirèrent. Fantômas, semblait déjà vouloir reprendre la conversation interrompue lorsque soudain il bondit en avant. Il ne laissa même pas à Juve et Fandor le temps de se mettre en garde. Déjà ils étaient violemment frappés au visage par l’extraordinaire bandit.

— L’heure de la vengeance sonne, hurlait Fantômas.

Atteints en plein visage, Fandor gisait sur le canapé.

Juve, assommé, se cramponnait à la muraille, la face couverte de sang.

Les événements se précipitaient.

Fantômas, d’un bond, avait laissé la cabine. Un effroyable vacarme avait retenti. Le plancher se dérobait sous Juve et Fandor jetés l’un sur l’autre sous les meubles qui s’écroulaient.

— Malédiction, criait Juve, et Fandor jurait.

Il y eut un grand raclement contre la coque. Le Skobelefftout entier se disloqua, semblait-il. Puis des coups de feu, des sifflets, des cris.

— Fichu, dit Juve en secouant la porte fermée à clef, Fandor, nous coulons.

Il ne put ajouter un mot. La cabine venait d’effectuer un « tonneau » complet.

— Nom de Dieu, cria le policier, au sein du tumulte, et le portefeuille ?

Juve se traîna vers l’angle de la petite pièce. Tout en causant avec Fantômas, Juve, en effet, merveilleux de sang-froid, avait parfaitement aperçu, posé sur une étagère, le fameux portefeuille rouge qu’il était venu chercher au péril de sa vie. Et maintenant même que le Skobeleffsemblait s’enfoncer dans l’abîme, c’était vers ce portefeuille que Juve s’élançait.

Indifférent au bouleversement des choses, Juve atteignit enfin la serviette de maroquin. Ses doigts crispés s’incrustèrent dans le cuir, cependant que, pour retenir Fandor, il mordait à pleines dents le collet du veston du journaliste.

Et alors, avec l’instantanéité des catastrophes, la cabine où demeuraient prisonniers les deux amis était défoncée par une énorme lame, une douche d’eau crevait les murailles, enlevait la fragile prison des deux hommes.

Sans même en avoir conscience, tandis que le Skobeleff, éventré par un récif, coulait, Juve et Fandor, balayés par la houle étaient jetés à l’eau, roulés par le courant, entraînés dans la mer disparue sous la brume.

6 – UN CADAVRE MAQUILLÉ

Entre la mer et le haut de la falaise, deux êtres fuyaient la pointe Saint-Mathieu. Jean-Marie l’équarisseur et Fleur-de-Rogue, la farouche fille d’Ouessant.

— Jean-Marie, disait Fleur-de-Rogue, voici le jour qui se lève, c’est l’heure de nous en aller, il ne faut pas rester longtemps dans leur voisinage.

— Penses-tu que les gendarmes oseraient se risquer ici, pour venir nous cueillir ?

— Non, c’est la mer qui m’effraie. Vois-tu par le large, comme elle est grise et moutonneuse, sûr qu’elle médite encore un mauvais coup. L’affaire de cette nuit n’a pas dû lui plaire, et aussi vrai que je suis ici, je suis certaine qu’elle se vengera. Écoute comme elle gronde, et puis, vois donc, vois donc là-bas ?

D’un geste terrifié, la farouche Bretonne montrait un paquet lourd qu’une lame agonisante était venue jeter sur un petit rocher : c’était un cadavre, encore un, dont l’Océan ne voulait pas, encore une victime du naufrage du Skobeleff, que la mer restituait à ses auteurs.

— Allons nous-en, dit Fleur-de-Rogue, j’ai peur.

Jean-Marie n’était pas rassuré non plus.

Fleur-de-Rogue savait où retrouver les autres membres de la bande qui, après le naufrage, s’étaient éparpillés comme une volée de corbeaux.

Quant à Jean-Marie, il s’était décidé à regagner le manoir de Kergollen.

L’apache-équarrisseur avait été embauché par Dame Brigitte, en qualité de jardinier, il occupait là un poste facile, était ignoré des gens de la ville, passait inaperçu auprès de la police et cela lui convenait à merveille.

Dame Brigitte, au surplus, et les deux hôtes qu’elle avait recueillis la veille au soir, avaient dû passer une nuit pleine d’inquiétude.

Peut-être convenait-il pour Jean-Marie d’aller s’en enquérir et de leur fournir, avec la plus parfaite hypocrisie, des renseignements de témoin oculaire ?

Mais, soudain, Jean-Marie fit un brusque écart, et se dissimula derrière un tronc d’arbre. Il venait de voir sortir de la propriété, un homme en uniforme.

Or, la seule vue de l’uniforme troublait toujours l’énigmatique jardinier du manoir de Kergollen.

L’uniforme était sombre, orné d’un galon d’or, la tenue d’un officier de marine : ce doit être un naufragé du Skobeleff, se dit l’amant de Fleur-de-Rogue.

Visiblement, l’officier russe cherchait à passer inaperçu.