— Vous pouvez compter sur moi, Docteur.
Or, le docteur n’avait pas plutôt disparu, que le jeune aide littéralement, bondissait vers le fauteuil.
— Vite, criait-il à Hélène, ne perdez pas une seconde, voici un grand manteau d’infirmière, prenez le couloir droit devant vous. Marchez avec assurance, le concierge ne vous dira rien. C’est le moment où les infirmières changent de service. Fuyez, fuyez, vous trouverez une voiture sur la place, le cocher est prévenu, il sait où il doit vous conduire, je vous rejoindrai. Allez, allez.
— Mais qui êtes-vous donc ? qui êtes-vous donc ?
— Qui je suis ? Fandor, parbleu. Mais sapristi, ce n’est pas le moment de bavarder, fichez donc le camp.
Et Hélène, enveloppée en un tournemain dans un grand manteau d’infirmière, fut hors de la petite pièce.
Déjà, elle était dans le couloir. Bon gré mal gré. Il lui fallut suivre les instructions du journaliste, marcher, droit devant elle, l’air assuré.
***
Fandor, sachant qu’Hélène était détenue à la prison de Brest, n’avait pas été long à décider en effet qu’il fallait faire évader la jeune fille.
Restait à trouver le moyen de réaliser un projet aussi périlleux.
Après avoir expédié une dépêche fort laconique à Juve, dépêche dans laquelle Fandor notifiait tout simplement au policier qu’Hélène était arrêtée, il avait quitté Morlaix, il était arrivé à Brest. Le soir même on le voyait dans tous les beuglants de la ville, devenu l’ami intime des jeunes gens faisant leur stage à l’École Dentaire.
Si bien qu’il y avait eu souper au champagne, prolongé. Sur quatre convives deux durent être ramenés à domicile sur les genoux.
Le lendemain il y avait visite dentaire à la prison. Les deux autres jeunes gens encore debout, croyaient appendre la chose à Fandor et s’effrayaient fort de leur équipée :
— Jamais les copains ne vont être en état, demain matin, déclaraient-ils en montrant leurs compagnons affalés sur les coussins de la voiture qui les emmenait, de se rendre à la visite. Diable, cela va faire du grabuge.
Et, benoîtement, alors, Fandor avait proposé :
— Bah ! ne pourrais-je pas les remplacer ? J’ai des notions d’art dentaire. Vous diriez au médecin-chef que vos amis sont malades et que l’un de vos camarades s’est spontanément offert à venir à la prison.
Ce plan savamment ourdi, perfectionné par les jeunes étudiants eux-mêmes, avait parfaitement réussi.
Qu’allait faire Fandor, Hélène une fois partie ?
Le journaliste, avec la même prestesse qu’il avait mise à déguiser la jeune fille du manteau d’infirmière, se dévêtit lui-même.
Il envoya sa longue blouse dans un coin de la petite pièce où il se trouvait. D’un revers, il décolla les moustaches postiches, les sourcils d’emprunt qu’il s’était composés, il dépouilla enfin sa perruque, il redevint lui-même, alors que, quelques minutes auparavant, il était méconnaissable, si méconnaissable qu’il avait dû se nommer à la fille de Fantômas.
— Cela marche comme sur des roulettes, murmura-t-il.
Et moins de quatre minutes après le départ du médecin-chef, par le même couloir où il avait fait passer la fille de Fantômas, tenant un sac d’instruments dentaires à la main, – ce qui constituait pour le portier une sorte de passeport, – Fandor s’enfuyait, non sans avoir, pour compliquer les choses, bouclé à double tour la porte du petit local où il venait de jouer son rôle d’aide-dentiste.
Il sortit sans la moindre difficulté de la prison… même, tout joyeux, il s’apprêtait à se moquer de la facilité avec laquelle on pouvait faire évader une prisonnière quand on savait s’y prendre, lorsque, soudain, au détour de la place sur laquelle était construite la prison, il s’arrêta, un cri de rage aux lèvres :
— Eh bien ? interrogea Fandor, nerveusement, cependant que le cocher, non moins étonné, le considérait avec curiosité, eh bien ? comment êtes-vous là ? Vous n’avez donc vu personne ?
— Non, personne, monsieur.
— L’infirmière que je vous avais annoncée n’est pas venue vous trouver ?
— Non, monsieur, non, je l’attends toujours…
La fille de Fantômas n’avait-elle pu s’enfuir ? Avait-elle été reprise ? Ou bien s’était-elle enfuie plutôt que de se rendre au rendez-vous que lui avait assigné son sauveur ?
17 – CHEZ LES BIFFINS
— Et alors, la mère, est-ce qu’on s’en va prendre une tournée ?
— On ira, le père, on ira. Tout de même, tu peux bien attendre que j’aie fini de donner à manger à Papillon ?
— D’accord, si Papillon a faim.
— Eh oui, il a faim, la brave bête. D’ailleurs, soit dit sans te le reprocher, mon homme, depuis quelques jours, tu ne t’occupes plus assez de lui. C’est de l’ingratitude, ça, vois-tu. Ça n’est pas parce qu’il a onze ans bien sonnés qu’il faut le laisser crever de faim.
— D’accord, la mère, d’accord.
Papillon était un grand vieux cheval, dégingandé, qui, depuis de longues années, traînait la roulotte familiale le long des routes de France.
Papillon, qui était une bête, avait, prétendait la mère Zizi, plus d’intelligence que bien des hommes.
La brave femme citait à l’appui de ses dires ce fait remarquable à son compte, que Papillon mangeait beaucoup plus l’hiver que l’été.
— Voyez donc, affirmait la mère Zizi, si ça n’est pas une preuve qu’il comprend que l’hiver on est en vacances, que c’est le moment de prendre du bon temps.
Dans la bizarre industrie qu’ils exerçaient, le père et la mère Zizi faisaient de l’année deux parts inégales : du mois de février au mois d’octobre, ils étaient bohémiens, couraient la campagne, gagnant piètrement leur vie en présentant des spectacles forains, puis, le mois d’octobre arrivé, ils regagnaient en toute hâte la banlieue parisienne, s’installaient dans la plaine de Saint-Ouen et là, prenaient leurs quartiers d’hiver en vivant de petite besogne d’occasion : paniers tressés, oiseaux apprivoisés, tous métiers qui ne les rendaient pas millionnaires, mais qui les aidaient à passer la mauvaise saison. Et la mère Zizi trouvait plaisant de remarquer que, pendant les beaux mois de l’année, Papillon mangeait cent fois moins.
— Cette bête, affirmait-elle, elle est sobre comme un chameau, tout cheval qu’elle est. Quand elle travaille, elle se contente de peu de chose, quand elle ne fait rien, elle passe son temps à manger.
En fait, l’explication était plus simple : Papillon, qui était un philosophe, préférait tout bonnement l’avoine qu’on lui servait pendant l’hiver à l’herbe fraîche qu’on lui laissait brouter le long des routes l’été.
Ce jour-là, le père et la mère Zizi, installés depuis quelque temps déjà dans la plaine de Saint-Ouen, avaient projeté de se rendre au marché aux oiseaux.
Ils avaient donc dételé le matin Papillon, l’avaient attaché à l’envers, la tête près de la roulotte, puis, ils étaient partis de compagnie vers le Quai aux Fleurs.
Les affaires avaient bien marché. Le père Zizi avait gagné quelques sous et, le soir venu, les deux Bohémiens décidèrent, après avoir toutefois versé à Papillon sa ration habituelle d’avoine, d’aller faire un tour chez le petit bistro voisin.
Le père et la mère Zizi s’étaient donc éloignés de leur roulotte, en devisant. Ils avaient traversé l’extraordinaire agglomération que constituent les cabanes de chiffonniers, des biffins parisiens qui habitent en grand nombre derrière la porte de Saint-Ouen, sur les terrains de zone militaire.
Aussi bien les deux bohémiens échangeaient en passant de nombreux bonjours, donnaient force poignées de mains. Ils étaient populaires, les deux époux, il y avait bien dix ans qu’ils venaient chaque année camper à la même place, et il n’était pas un seul biffin qui ne tînt à honneur de leur présenter ses devoirs.