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— Ah, ah, s’écria Juve, qui, mal vêtu, grimé en terrassier avec un pantalon de velours bouffant maintenu par une ceinture rouge, dont le pan flottait derrière une petite veste bleue courte de compagnon, ne paraissait nullement déplacé dans le quartier, oh, oh, je crois que le hasard me favorise. On jurerait qu’il n’y a personne.

Personne, en effet, dans la roulotte, puisque le père et la mère Zizi, tout heureux du succès de leurs affaires au marché aux oiseaux, s’étaient rendus chez un mastroquet voisin.

Sans le moindre scrupule, Juve s’introduisit dans la roulotte par une des petites fenêtres mal close, et immédiatement il se livra à une perquisition des plus minutieuse.

Cela dura une bonne heure. Juve, hélas, ne trouva rien. Le policier, toutefois, ne se décourageait pas pour si peu.

— Eh bien, monologuait-il, je n’ai véritablement pas de chance. Tout me dit que le portefeuille doit être là, à côté de moi, et je ne peux pas mettre la main dessus.

— Si le portefeuille n’est pas dans la roulotte, se répétait-il, où peut-il être ?

Juve, après avoir minutieusement examiné le voisinage et n’avoir rien aperçu dans l’ombre propice qui fût de nature à l’inquiéter, sortit de la roulotte. Il jeta un regard indifférent à Papillon, qui, tranquille, ruminait le nez dans sa mangeoire, puis se glissa sous la roulotte.

Juve ne s’était pas trompé.

Entre les quatre roues du pauvre véhicule se trouvait une grande caisse de bois. Elle était remplie des matériaux les plus extraordinaires. Là voisinaient de vieilles assiettes cassées et des piquets destinés à la tente de toile. Une cage démolie s’enfonçait sous le poids d’un fourneau portatif de cuisine. Des monceaux de vieux journaux, des bouteilles vides voisinaient avec de vieilles couvertures de lit. Cette caisse en bois était le débarras de la famille Zizi.

Accroupi sous la roulotte, le policier commença à perquisitionner dans la caisse. Il se passionna même tellement à sa besogne, qu’il finit par enjamber les parois de la caisse en bois, entra dedans, il s’y coucha presque. Or, Juve s’était à peine introduit de la sorte dans cette grande caisse qu’avec une inquiétude soudaine il releva la tête, écouta.

— Sapristi, murmura-t-il, on a marché. J’ai entendu marcher. Pourvu que ça ne soit pas le père et la mère Zizi qui reviennent. Je serais frais, s’ils me trouvaient là.

Juve jeta autour de lui un regard soupçonneux. La nuit très noire ne lui permettait pas de voir bien en détail ce qui l’entourait. Il pouvait tout juste distinguer un horizon restreint, et cet horizon apparaissait parfaitement désert. Devant lui, entre les deux roues constituant l’avant-train de la roulotte, Juve aperçut d’abord les quatre pattes du cheval, puis un peu d’herbe descendant en pente roide, enfin le fossé des fortifications. À droite, entre la roue avant et la roue arrière, Juve apercevait toute la plaine de Saint-Ouen, mais il n’en distinguait rien de précis : il la devinait plutôt, aux lumières clignotantes qui scintillaient par moments dans les baraques voisines des chiffonniers.

Juve se retourna sur lui-même, voulant examiner ce qui se passait à gauche de la roulotte et ce qui se passait en arrière. Or, le policier n’eut pas le temps de se livrer à cet examen. Alors que rien n’avait pu lui faire deviner la chose, soudain ce fut la catastrophe.

Juve, abasourdi, sentit la roulotte s’ébranler, elle avança un peu, lentement d’abord. Juve vit le cheval reculer en se cabrant, puis soudain la roulotte augmentait l’allure, Juve avait tout juste le temps de s’accroupir au fond de la boîte, miraculeusement détachée de la roulotte, pour n’être pas guillotiné par l’essieu arrière qui lui frôlait la nuque. Le véhicule dévalait la pente, entraîné par sa masse, pour se jeter, écrasant sous lui le malheureux Papillon, au fond du fossé des fortifications.

Juve sorti comme un diable de sa boîte, la pluie des invectives s’abattit sur lui. Appelés dehors par le fracas de l’accident, les chiffonniers avaient aperçu le policier et ils s’étaient précipités sur lui qui ne les attendit pas pour détaler, franchir une haie, sauter le fossé.

Mais qui soudain devant lui faisait pousser ce sourd juron par l’homme poursuivi ?

Une silhouette noire qui s’enfuyait en silence, se confondant avec la nuit, la silhouette d’un homme moulé dans un maillot noir, dont le visage se dissimulait derrière une cagoule noire, qui glissait sans bruit, souple, vif comme l’éclair.

Juve n’eut pas besoin de la regarder longtemps pour la reconnaître.

— Fantômas, hurla Juve, tu ne m’échapperas pas toujours.

Et en même temps, toujours courant, le policier tirait son revolver, tendait le bras, faisait feu.

Imprudence.

C’était se signaler à ceux qui le poursuivaient.

— Je suis fichu, songea Juve, ils vont m’écharper vif.

Sa situation semblait, en effet, d’autant plus désespérée que, par une inconcevable malchance, il venait, courant au hasard, de pénétrer dans une impasse où il était pris comme dans un piège.

Or, tandis qu’affolé il revenait sur ses pas, une véritable fusillade éclatait dans la plaine de Saint-Ouen ; le coup de revolver du policier avait encore surexcité les biffins, acharnés à s’emparer du misérable qui avait précipité dans le fossé la roulotte des Zizi. Allaient-ils se tuer entre eux ? Mais subitement le policier s’arrêta, figé sur place, ne sachant plus où donner de la tête. Devant lui, à quelques mètres, revolver au poing, portant des torches, les biffins se précipitaient. Là Juve eut une inspiration : au lieu de fuir, il s’élança vers ses adversaires :

— En arrière, en arrière, cria-t-il, il a fui par là.

Et trompés par ce cri, les autres, le prenant pour l’un d’eux, rebroussèrent chemin.

Hors d’haleine, Juve s’arrêta, cependant qu’autour de lui s’agitait tout un peuple de chiffonniers maintenant réveillés, furieux, ne comprenant rien à ce qui se passait, soupçonnant une rafle de police et fuyant en désordre. À ce moment précis, Juve éprouva une violente surprise. Un camelot porteur d’un énorme paquet de journaux passa en effet près de lui en courant, et Juve l’entendit lui crier distinctement :

— Foutez le camp, nom d’un chien, je me charge du reste.

Qui était-ce ? Que lui voulait-on ? L’avait-on reconnu ?

Mais Juve n’avait plus rien à faire dans la plaine de Saint-Ouen. Fantômas, à coup sûr, était loin. Les chiffonniers continuaient à tirailler, mais cela n’avait guère d’intérêt.

Hochant la tête, Juve, très préoccupé, se dirigea vers la barrière où, maintenant, des gardiens de la paix attirés par les coups de revolver, apparaissaient. Mieux vaut tard que jamais.

18 – LA TRIPLE MATHILDE DE BRÉMONVAL

Pas à pas, pensif et ronchon, le lieutenant prince Nikita descendait l’escalier assez roide et fort peu luxueux de l’immeuble qu’habitait Juve, rue Bonaparte.

— Ce policier n’est pas chez lui. Comment expliquer sa disparition ? Il a pourtant dû recevoir mon télégramme l’avertissant que je n’avais pas retrouvé le portefeuille rouge ? Alors ? comment se fait-il qu’il ne m’ait pas attendu ? et que vais-je faire ?

Débarqué le matin du rapide de Bretagne, le prince russe s’était immédiatement rendu chez le policier, mais comme il ne l’avait pas trouvé, il se sentait perdu.

— Aller à l’ambassade ? songeait-il, ce serait absurde. Il est absolument inutile de mettre notre excellent ambassadeur au courant de ma déconvenue. Alors ? Il faut avouer que, depuis trois jours, je fais un drôle de métier. Avant-hier, le long de la falaise, je retournais des pierres comme un imbécile, à la recherche d’un portefeuille absent d’ailleurs. Puis je sauvais cette jolie femme qui a nom Mathilde de Brémonval, puis encore j’apprenais que son prétendu assassin était le plus honnête homme du monde, au lieu qu’elle-même était une gourgandine. Allez y comprendre quelque chose. Je ne suis pas policier, moi.

Le prince Nikita, tout en songeant de la sorte, suivait le quai en direction du pont des Arts.

— Encore, pensait l’officier, si cet imbécile de Jean-Marie m’avait parlé clairement. Qu’est-ce que c’est que cet individu-là ? pourquoi m’a-t-il affirmé qu’une femme avait volé le portefeuille, que cette femme était en prison à Brest, et que Juve était une fripouille ?