Il fallait prendre une décision.
— Ma foi, se dit-il, je vais toujours tenter l’aventure. Mathilde de Brémonval m’a dit qu’elle habitait rue Laurent-Pichat, allons rue Laurent-Pichat. Si je n’apprends rien d’elle, j’aurai toujours eu le plaisir de la revoir.
Bien que très brave et fort audacieux, le lieutenant prince Nikita eût à coup sûr frémi s’il avait su au juste chez qui il se rendait, alors qu’enfoncé sur les coussins d’un taxi-auto, il réfléchissait à la visite qu’il allait faire, et évoquait par la pensée l’exquise Mathilde de Brémonval.
Il était à cent lieues d’imaginer que cette créature de luxe et de rêve était en réalité… Lady Beltham, maîtresse de Fantômas.
Lorsqu’à la suite des dénonciations de Raymonde, la fille de Fantômas, après les tragiques aventures survenues à Paris-Galeries, Juve et Fandor avaient soupçonné la véritable identité de Mathilde de Brémonval, celle-ci brusquement avait disparu.
Qu’était devenue Mathilde de Brémonval ?
Fantômas, audacieux comme il l’était, n’avait guère eu de peine à persuader sa maîtresse qu’elle pouvait, sans le moindre risque, réapparaître à Paris sous le nom de M mede Brémonval.
— Nul ne connaît ton identité, avait affirmé le bandit ; nul, sauf, il est vrai, Juve et Fandor, mais j’imagine que, cette fois, ni Juve ni Fandor ne peuvent s’en prendre à toi.
Lady Beltham s’était laissée convaincre.
***
— M mede Brémonval est-elle chez elle ?
La concierge hésitait :
— Je ne sais pas, monsieur. Je ne saurais vous dire : J’ai vu rentrer sa dame de compagnie, mais j’ignore si M mede Brémonval l’accompagnait. Voulez-vous prendre la peine de monter, monsieur. C’est au premier étage, à droite.
— Je vous remercie, madame.
Quelques minutes encore, il attendit, puis la porte de l’appartement s’ouvrit. Une avenante soubrette l’introduisit dans un grand salon richement décoré.
— Qui dois-je annoncer, monsieur ?
Le prince Nikita venait de tirer son portefeuille, il tendait sa carte de visite, un transparent bristol, somptueusement gravé :
— Veuillez annoncer, mademoiselle, à M mede Brémonval que je ne la retiendrai que quelques instants.
— Je ne sais pas si Madame est là, monsieur. Si Monsieur veut attendre quelques secondes, je vais voir.
Déjà la servante avait disparu.
Le prince Nikita ne put s’empêcher de songer qu’en vérité le domicile de la jolie créature était soigneusement gardé.
Le prince Nikita en était là de ses réflexions et se demandait, avec l’anxiété d’un jeune homme qui vient voir une jolie femme, si M mede Brémonval « allait être là » pour lui, lorsqu’il entendit des pas légers au long de la galerie voisine.
— C’est elle, se disait-il, c’est elle…
La porte s’ouvrit : une très vieille dame entra.
— Vous désirez parler à M mede Brémonval ? Pour affaire personnelle, monsieur ?
— Oui, madame. Ne pourrais-je pas la voir ?
— Je crains que cela ne soit difficile, monsieur. M mede Brémonval est encore en voyage ; je l’ai devancée de quelques jours. Je suis sa dame de compagnie, M meBrigitte.
À coup sûr, tout autre que le prince Nikita se serait excusé, aurait regretté sa démarche vaine, corné sa carte, serait parti.
Le prince Nikita était bien trop épris pour agir de la sorte. Il était venu Voir Mathilde de Brémonval en s’affirmant qu’il voulait par elle apprendre quelques détails relativement à la personnalité de Jean-Marie, à son séjour au château de Kergollen, au portefeuille rouge, mais en réalité, s’il se trouvait dans l’appartement de la rue Laurent-Pichat, c’était en raison du désir qu’il avait de revoir la jolie Mathilde.
— Madame, commença-t-il, je suis fort étonné, j’avais rendez-vous avec M mede Brémonval.
— Et vous regrettez beaucoup, monsieur, de ne point pouvoir joindre M mede Brémonval ?
Mais sans doute, tout en parlant, la vieille femme se rendait compte de ce que sa question avait d’étrange, car elle se hâta d’ajouter :
— Vous pouvez me répondre en toute franchise, monsieur. Si vous connaissez bien M mede Brémonval, elle a dû vous dire que Dame Brigitte était un peu plus auprès d’elle qu’une simple dame de compagnie. Je prétends à son amitié.
— En effet, madame, je regrette infiniment de ne pas rencontrer M mede Brémonval. Je regrette même à un tel point que, si j’osais me permettre de douter de vos paroles, j’insisterais pour que vous m’assuriez encore une fois que M mede Brémonval est absente.
— Mais monsieur, je vous l’ai déjà dit.
— Je demande une simple confirmation.
— Ah ?
— Madame, madame, reprit le prince Nikita, dites à M mede Brémonval… qui n’est pas là… que je lui serais mille fois reconnaissant de bien vouloir, pour moi, consentir à être là.
— Vous demandez l’impossible, monsieur, répondit Dame Brigitte, mais vous le demandez si bien que je ne puis vous résister plus longtemps. Veuillez attendre quelques instants.
Et elle sortit. Le lieutenant se prit à songer.
Soudain, Mathilde de Brémonval elle-même entra dans le salon, mais, à vrai dire, elle ne paraissait pas le moins du monde en colère. Plus jolie que jamais, plus blonde qu’un rayon de soleil, elle fit son apparition dans la pièce, souriante, bien que gardant une attitude un peu hautaine et fière, une attitude séduisante autant que mystérieuse.
— Monsieur, déclara-t-elle en saluant l’officier, qui, très bas, s’inclinait devant elle, vous faites vraiment un avocat extraordinaire. Je n’étais ici pour personne, vous avez su convaincre ma gouvernante que j’y étais pour vous. C’est un véritable succès d’éloquence.
— Laissons ce succès, madame, il n’ajoute rien au bonheur que j’ai à me trouver devant vous.
— Cela vous fait donc bien plaisir ?
— En doutez-vous, madame ?
— Mon Dieu…
Le prince Nikita se leva. Quittant le fauteuil où il était assis, il s’avança de deux pas vers le canapé sur lequel M mede Brémonval venait de se jeter :
— Vous êtes cruelle, madame, vous savez fort bien quel bonheur j’ai à pouvoir, comme je le fais en ce moment, prendre votre petite main mignonne et…
Mais, au même moment, tandis que le lieutenant Nikita voulait saisir la main de Mathilde de Brémonval, et peut-être la porter jusqu’à ses lèvres, celle-ci se levait, l’air subitement devenu hautain :
— Je vous en prie, dit-elle.
Et, sans affectation, la jeune femme allait s’asseoir sur un siège plus éloigné du prince Nikita.
Comme il n’apparaissait cependant pas que son audace eût exagérément déplu à celle qu’il courtisait, le prince Nikita ne fut nullement troublé.
— Madame, reprit-il, vous êtes très méchante aujourd’hui. Voulez-vous donc que je pense réellement avoir forcé votre porte et que ma présence vous désoblige ?
Cette fois, un sourire passa sur le visage gracieux de M mede Brémonval.
— Là, là, vous employez tout de suite les grands mots. Et d’abord, pourquoi voulez-vous que j’ajoute foi à vos déclarations ? Vous prétendez que vous avez plaisir à me voir, c’est fort galant à vous, mais qui me prouve que vous m’êtes réellement dévoué ?
— Oh, oh, songea le jeune homme, me serais-je donc réellement fourvoyé ? Vais-je avoir discrètement une invitation à passer chez le bijoutier ?
Voulant pousser l’aventure jusqu’au bout, le prince n’hésita pas :
— Vous n’avez pas de preuves, madame, de mon dévouement, je le reconnais, répondait-il en souriant, mais il ne tient qu’à vous d’en avoir autant qu’il vous sera agréable ; parlez donc : votre chevalier servant vous écoute et, soyez-en certaine, vous obéira.