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— Je me contenterai de savoir qu’il ne m’a pas désobéi.

Cette phrase, le prince Nikita ne la comprit pas :

— Vous avoir désobéi, madame ? en quoi ? mon Dieu, vous m’aviez autorisé à me présenter chez vous, j’espère…

— Il ne s’agit pas de cela.

— De quoi donc, alors ?

— Je vous ai demandé, monsieur, de renoncer à chercher le portefeuille rouge que vous étiez venu reprendre en Bretagne. Vous occupez-vous encore de cette affaire ?

— Madame, répondit le prince Nikita, mon devoir est de m’occuper de cette affaire, je n’y saurais faillir. Je m’en occuperai donc encore, croyez-le bien, sauf…

— Sauf quoi, monsieur, quelles conditions mettriez-vous à abandonner une recherche qui me fait peur pour vous ?

— Une condition, madame, que sans doute vous ne sauriez imaginer. Je dois aller m’occuper du portefeuille rouge, gardez-moi prisonnier près de vous, je n’irai pas.

Et, en achevant cette réponse, précise à en être insolente, le prince Nikita, qui savait qu’une femme pardonne toujours qu’on lui manque de respect parce qu’elle en est toujours flattée, leva les yeux, cherchant à deviner sur le visage de M mede Brémonval la réponse qu’elle allait lui faire et qui, sans doute, allait être décisive.

Or, la jolie femme, loin de l’écouter, maintenant, prêtait l’oreille, l’air fort inquiète.

— Qu’avez-vous donc, madame ?

— Ne bougez pas, monsieur, ne bougez pas, je reviens dans deux minutes.

Resté seul, Nikita tendit l’oreille.

De la galerie voisine, des bruits de voix arrivaient jusqu’à lui, des bruits de voix qu’il ne parvenait pas à comprendre nettement, mais où il démêlait néanmoins, par moments, des intonations qui trahissaient l’organe de dame Brigitte, puis encore des accents masculins.

— Bigre, pensa l’officier, assez inquiet de la suite des événements ; qui diable peut survenir si malencontreusement ? Dame Brigitte n’a point l’air satisfaite. Oh, oh, aurais-je la mauvaise fortune d’être sur le chemin d’un mari peu complaisant ?

Quelques secondes, le prince s’efforçait encore d’écouter les conversations voisines, puis, subitement, il tressaillit.

Brusquement la porte du salon s’ouvrit. Un homme entra dans la pièce, d’une quarantaine d’années, élégamment vêtu, que dame Brigitte suivait à distance respectueuse.

— Que désirez-vous, monsieur ? demanda le visiteur.

Le prince Nikita s’inclina, avec une nuance d’impertinence :

— Pardon, mais à qui ai-je l’honneur de parler ?

— Peu importe. Vous ne me connaissez pas. Veuillez me dire tout bonnement, je vous en prie, la cause de votre visite ici. Vous étiez venu voir M meBrigitte ?

Était-ce un quelconque M. de Brémonval ?

— Mille grâces, monsieur, répondit le prince Nikita. J’ai eu le plaisir d’être reçu par madame, en effet, mais j’ai eu le bonheur, ensuite, de voir M mede Brémonval, et je serais encore avec elle, j’imagine, si, pour échapper à vos importunités, je suppose, elle n’avait cru bon de me demander de l’attendre deux minutes.

— Impossible, dit l’autre, M mede Brémonval n’est pas à Paris.

Et c’était là une phrase, en vérité, extraordinaire pour le prince Nikita.

— Je vous le répète, je causais avec elle quelques secondes avant votre arrivée.

L’inconnu alors se retourna vers Dame Brigitte :

— Je suppose, lui demanda-t-il d’une voix que la rage faisait trembler, qu’il ment ? Répondez, Brigitte.

Dame Brigitte n’eut pas à répondre.

Avant même qu’elle eût pu ouvrir la bouche, le prince Nikita, d’un geste furieux, venait de tirer son portefeuille, d’y prendre une poignée de cartes de visite qu’il jetait à la figure de l’inconnu qui osait le soupçonner de mensonge, en hurlant.

— Vous me rendrez raison.

L’inconnu eut un sourire froid et très calme :

— Vous rendre raison ? Me battre avec vous ? Vous êtes fou, monsieur. Je n’en ai nul motif et nulle envie. Vous êtes grotesque. Sortez. N’éternisez pas une scène ridicule. Sortez donc vous dis-je. Puisque vous êtes familier de la maison, vous devez connaître le chemin.

Et telle était l’autorité avec laquelle cet inconnu parlait que le prince Nikita sortit, en effet, mais non sans s’être incliné gravement devant Dame Brigitte et lui avoir déclaré :

— Vous voudrez bien présenter mes hommages respectueux à M mede Brémonval et lui affirmer que je saurai, coûte que coûte, la débarrasser d’un goujat qui se permet de parler chez elle en maître et n’en a sûrement pas le droit, puisqu’il n’ose pas se nommer.

***

— Ainsi, disait à présent l’inconnu, s’adressant à la femme de charge de M mede Brémonval, ainsi voilà ce que tu fais ? Tu sais que je suis aux prises avec les pires difficultés, tu sais que je joue ma tête, tu sais que Fandor et Juve ont juré de me faire monter à l’échafaud, que je frôle la mort tous les jours, et c’est ce moment-là que tu choisis pour me trahir, pour me tromper, pour t’acoquiner avec des officiers étrangers, avec un Russe, avec ce prince Nikita, qu’un jour peut-être je devrai combattre comme j’ai combattu tous ceux qui ont fait obstacle à ma route. Oh ! sans doute, je sais ce que tu penses. Ta pauvre cervelle de femme trouve des excuses à ta conduite. Vous autres, vous avez une imagination folle dès qu’il s’agit de vous justifier. Tu inventes en ce moment que c’était ton droit de me trahir ? que j’ai eu des maîtresses ? que tu te vengeais ? Hé, malheureuse, faut-il donc que je plaide devant toi la différence qui fait moindre la trahison de l’homme que la trahison de la femme ? Trahie. Tu penses que je t’ai trahie ? Était-ce quand je recherchais ma fille à Paris-Galeries et que tu t’imaginais que Raymonde était ma maîtresse ? Réponds.

Mais Dame Brigitte se taisait toujours.

— Ton silence prouve, peut-être mieux que n’importe quoi, ton inconscience. Je t’aimais, entends-tu. Je t’aimais. Moi, moi qu’on dit incapable d’amour, moi qu’on croit impassible, moi qui passe aux yeux de tous pour une brute sans cœur, je t’aimais. J’avais pour toi des trésors de tendresse, des vertiges d’adoration. Et il faut que je m’aperçoive que tu me trahissais lâchement, bêtement, sottement.

La voix de Fantômas – car l’inconnu qui entretenait Dame Brigitte, qui venait de jeter à la porte le prince Nikita, n’était autre que Fantômas – semblait sombrer dans un sanglot muet.

Le bandit, bientôt, maîtrisa pourtant son émotion :

— Je t’aimais, dit-il encore, je t’aimais, mais je ne t’aime plus. Je ne veux plus t’aimer, comprends-tu ? Il faut que je ne t’aime plus.

Mais, comme il prononçait ces mots de désespoir, brusquement, d’un élan insensé, la duègne aux cheveux blancs, se jeta à ses genoux.

— Il faut que tu ne m’aimes plus, cria-t-elle. Ah, ne dis pas ça, ne blasphème pas. Gurn, mon amant, ma joie, ma vie, mon âme. Il est impossible que tu ne m’aimes plus ? c’est impossible.

— Tu m’as trahi.

— Non, ce n’est pas vrai.

— Pourquoi recevais-tu cet officier ?

— Tu sais bien que je frémis chaque fois que je sais que quelqu’un contrarie tes plans, tes projets. Écoute. Tu ne peux pas m’en vouloir ? Tu ne peux pas exiger, toi que j’aime, que je sois à ce point aveugle, que j’oublie qui tu es ? ce que tu fais ?

— Tu me reproches mes crimes ?

— Je n’ai pas la force de rien te reprocher. Mais, pitié. Écoute-moi. Ne me dis pas que tu m’aimes plus, toi que j’aime. Écoute pourquoi je recevais cet officier, ce Nikita ? Oh, pas pour te trahir, crois-le bien. Tout simplement pour le supplier de ne plus s’occuper du portefeuille rouge, pour l’écarter de ta route, pour le sauver de toi qui es le maître de tout, de toi que rien n’arrête, de toi que j’aime quand même follement, furieusement. Je te le jure.