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Et, tandis que Dame Brigitte adressait à Fantômas cette prière passionnée, voilà que tout d’un coup elle se relevait, elle se reculait et, d’un geste fou, arrachait sa perruque, dépouillait son corsage, enlevait sa jupe. Et ce n’était plus Dame Brigitte alors. C’est, dans tout l’éclat de sa beauté affolante, dans la tiédeur de sa chair passionnée, dans la griserie de son corps jeune et svelte, la séduisante lady Beltham qui se jeta au cou du bandit.

— Pardonne-moi ? supplia-t-elle, puis elle expliqua : c’est tout à fait par hasard, alors que Jean-Marie voulait m’assassiner, que le prince Nikita est parvenu jusqu’à moi, à Kergollen, au moment où, prête à m’endormir, je venais de quitter mon déguisement de Dame Brigitte. Il m’a vue, il m’a trouvée belle. Mais je suis belle pour toi, pour toi seul. Écoute, j’ai su qu’il s’occupait du portefeuille rouge. Je l’ai supplié de te laisser la route libre. Aujourd’hui, s’il a vu M mede Brémonval, c’est pour le faire céder. Mais je n’aime que toi au monde.

Fantômas convaincu par son accent passionné, pardonna en effet. Il repoussa doucement sa maîtresse :

— Va, dit-il, je te crois, je veux te croire. Si tu m’aimes, je t’aime aussi, je ne veux pas t’arracher de moi, mais je ne veux plus de cette existence perpétuellement malheureuse qui est la nôtre. Maud, je t’en conjure, quitte Paris, ne sois plus ni lady Beltham, ni M mede Brémonval, ni Dame Brigitte, ni quoi que ce soit au monde. Accepte de ne rien être que la femme que j’aime. Pars où je te dirai d’aller, où nous vivrons tous les deux, seuls, l’un pour l’autre, à tout jamais.

Et, très doucement alors, lady Beltham répondait :

— Ordonne, commande, je suis ta chose, je t’aime.

19 – L’HOMME AUX MAINS ROUGES

— Alors, mère Zizi, vous n’avez pas trouvé que c’était une chose épouvantable que de vendre ce brave Papillon ?

— Ma foi, non, ma fille. Qu’est-ce que tu veux, la malheureuse bête est morte sur le coup. Elle avait reçu la roulotte juste en plein ventre et sur la tête. Que voulais-tu que nous fassions de son corps, le père Zizi et moi ?

— Vous avez raison, maman Zizi. Mais, tout de même, je suis bien certaine que ce n’est pas vous qui avez eu l’idée d’appeler l’équarrisseur. Avoir vendu Papillon à l’équarrisseur. Tenez, je ne peux pas me faire à cette idée-là, mère Zizi. La pauvre bête, elle méritait un autre sort.

— Dame, qu’est-ce que tu veux, on n’est pas riche ? Les réparations vont coûter cher. Quand on nous a donné le conseil de vendre Papillon à l’équarrisseur, ni le père Zizi, ni moi, n’avons rien trouvé à redire.

— Mais qui est-ce qui vous a donné ce conseil, encore une fois ?

— Je ne sais pas. N’importe qui. Quelqu’un qui était là, un camelot, il me semble. Oui, un camelot. Mais pourquoi me demandes-tu ça ?

— Oh, pour rien, par curiosité. Et on a enlevé les harnais ?

— Oui. Nous avons vendu le cadavre de notre bête et puis ses harnais, et puis tout. Nous nous faisons vieux, et l’époque des grands voyages est finie pour nous deux Zizi. Nous réparerons la roulotte parce que le père et moi, nous sommes tellement habitués à vivre sous son toit que ce serait un crève-cœur d’être obligés de nous installer ailleurs. Mais voilà tout. Et toi, Hélène, qu’est-ce que tu aurais fait à ma place ?

La fille de Fantômas n’insista pas. Elle revenait du travail chez l’Accapareur.

On ne soupçonnait toujours rien. La roulotte avait glissé parce que les roues étaient mal calées. La pente avait fait le reste. La panique qui avait suivi était injustifiée. Pourquoi poursuivre un coupable alors que le hasard seul l’était ?

Hélène apprit d’ailleurs, avec une indifférence à peine apitoyée, que la roulotte avait subi de graves dommages au cours de sa chute. Elle se montra, en revanche, fort affectée du décès du vieux cheval, de l’excellent Papillon.

Papillon avait été enlevé le matin même par l’équarrisseur. Son corps avait été vendu pour quelques francs. On ne pouvait plus rien pour lui, sa pauvre destinée de bête de somme était terminée.

Hélène, après quelques vagues phrases de regrets, trouvait bon de ne point s’appesantir davantage sur le trépas du vieux cheval.

Le père et la mère Zizi, au lendemain de l’accident, avaient été hébergés par des biffins, leurs voisins.

Ils demeuraient, à présent, dans une simple cabane. C’était là qu’Hélène avait trouvé la mère Zizi et qu’elle prit congé d’elle :

— Eh bien, ma brave maman, tant pis, il faut s’en faire une raison. N’empêche, ça me fait de la peine de songer que Papillon est chez un équarrisseur.

Cela devait évidemment faire un gros chagrin à la fille de Fantômas d’apprendre que le cheval de la roulotte, les jambes broyées, les flancs déchirés, à moitié mort, avait été mené chez l’équarrisseur.

Qui eût rencontré à ce moment cette jeune fille s’en allant à grands pas vers la barrière de Saint-Ouen, se fût douté que de graves préoccupations rendaient songeur ce front de vingt ans.

La fille de Fantômas, à pied, traversa tout Paris.

Elle sortit de la capitale par la porte de Châtillon, se dirigeant vers le cimetière de Bagneux, puis, avant d’atteindre la vaste nécropole, alors qu’elle se trouvait dans les terrains vagues semés de champignonnières abandonnées, elle prit sur la droite, coupa à travers champs, parvint bientôt à une sorte d’enclos ceinturé de hauts murs dont elle fit le tour, lentement.

— Pourvu, se disait la jeune fille de plus en plus inquiète, pourvu que je réussisse. Pourvu qu’il n’y ait personne.

Autour d’elle, à perte d’horizon, s’étendaient les champs de détritus innombrables, incultes, dont n’avaient pas voulu les maraîchers.

Devant la jeune fille se dressaient les murs élevés de l’enclos dont elle venait de faire le tour à deux reprises.

La jeune fille, après un dernier coup d’œil à la campagne déserte, n’hésita pas davantage. De dessous sa cape de chiffonnière, elle tira un rouleau de cordage.

— Au travail, murmura-t-elle, les voleurs de chevaux n’opéraient pas autrement au Natal. Pourquoi ne réussirais-je pas ?

Déroulant sa corde avec un soin extrême, Hélène attacha à l’un des bouts une énorme pierre trouvée le long du mur. Puis, faisant tourner l’extrémité de la corde, comme si elle eût voulu s’en servir ainsi que d’une fronde, elle jeta la pierre de l’autre côté du mur.

Le caillou tomba dans un jardin, probablement. On entendit le bruit sourd qu’il faisait en roulant sur le sol, et la fille de Fantômas tressaillit, prêtant l’oreille. Mais les craintes de la jeune fille décidément étaient vaines. Elle pouvait faire tout le bruit possible. Nul ne s’inquiétait d’elle, ne faisait attention à ses gestes.

Après quelques minutes d’une attente anxieuse, la fille de Fantômas s’étant convaincue qu’elle pouvait agir en toute sécurité, commençait à haler sur sa corde. Bien qu’elle eût de petites mains, bien qu’elle parût frêle et délicate, la jolie Hélène était robuste en réalité. Bientôt, elle raidit les bras, elle fit effort et la pierre qu’elle avait jetée à l’intérieur des murs apparut au sommet de ceux-ci, roula à nouveau de son côté. Que voulait donc la jeune fille ? Hélène sembla désappointée d’avoir réussi à ramener la pierre.

Elle tenta un peu plus loin la même manœuvre. Quatre fois de suite la jeune fille envoya la pierre à l’intérieur des murs, hala sur la corde, la ramena. À la cinquième reprise pourtant, comme elle s’était sensiblement écartée de l’endroit où elle avait commencé ses mystérieuses opérations, il se trouva que la corde se raidit durement entre ses mains. Hélène avait beau haler, elle ne parvenait plus, cette fois, à ramener la pierre. Victoire. Souriante, souple, leste, immédiatement, la jeune fille se mit en mesure de se hisser le long de la corde enroulée au pied d’un arbre voisin et qui, retenue à son autre extrémité par la pierre, vraisemblablement accrochée à une branche, lui faisait une sorte de chemin aérien permettant d’atteindre la crête du mur. La fille de Fantômas acheva son escalade en s’asseyant purement et simplement au haut de la muraille qu’elle venait de franchir.