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Et, penchée sur le vide noir de la cour qu’elle dominait, elle prêta longuement l’oreille, s’assurant qu’elle n’entendait aucun bruit, que rien ne décelait aux environs une présence d’être humain.

Le silence partout.

Fermant les yeux, mais raidissant ses muscles, elle s’accroupit sur les talons, puis, légère, en vraie acrobate insoucieuse du danger, elle se jeta dans le vide, sauta du haut du mur dans le jardin qu’elle ne voyait même pas, dans le trou noir plein de silence et de mystère, qu’encerclait un mur de quatre mètres.

Elle se reçut habilement sur la pointe des pieds, garda son équilibre, et, bien que la secousse eût été rude, réussit à ne point se blesser.

La fille de Fantômas avança de quelques pas dans l’ombre, puis tira une petite lampe de sûreté, une de ces lampes électriques que tous les coureurs d’aventures emploient pour le plus grand profit de leurs entreprises.

Elle déclencha le mécanisme de la lampe. Un pinceau lumineux éclaira la cour où Hélène venait de pénétrer de façon si mystérieuse.

Or, à peine la jeune fille avait-elle jeté les yeux autour d’elle que, bien qu’elle s’attendît au spectacle qu’elle allait voir, elle ne put s’empêcher de pousser une exclamation d’horreur.

Autour d’elle, près d’elle, contre elle, ce n’étaient que des cadavres de chevaux, des cadavres d’animaux de toutes sortes, dont les uns, écorchés, étaient rouges de sang, dont les autres, pattes raidies, ventres ballonnés, yeux vitreux, corps à demi décomposés, répandaient d’horribles odeurs de putréfaction.

Le sol détrempé de sang, le sol gluant et visqueux, collait aux talons, infecte boue grasse qui vous faisait glisser et trébucher.

Le premier moment de terreur et de dégoût passé, Hélène rappelait à elle toute son énergie.

— Il faut que je trouve Papillon. Il faut que je le voie, se dit-elle.

À la lueur de sa petite lampe, la jeune fille partit de cadavre en cadavre.

Soudain, elle manqua crier de joie. Dans un coin de la cour, au milieu d’un lot de bœufs déclarés impropres à la consommation, le corps gris pommelé du regretté Papillon.

— Dieu soit loué.

Misère, il ne portait plus ses harnais.

Mais au bout de la courette s’élevait une remise. Porte fermée, dont il suffit de soulever le battant pour faire sauter la serrure branlante.

Là, dans ce hangar, dont le toit mal clos laissait par moments pénétrer quelques souffles de l’air pur de la nuit, les chauves-souris en grand nombre voletaient, faisant des rondes inlassables et s’enfuyaient, soudain mises en fuite par la lumière de la petite lampe électrique que tenait toujours la fille de Fantômas.

Enfin, elle put décrocher de la muraille de nombreux harnachements achetés sans doute avec les cadavres des chevaux et pendus là en attendant le revendeur.

La fille de Fantômas fouilla dans cette sellerie mortuaire pendant près d’une demi-heure.

Puis soudain, un cri de victoire :

— Ah, cette fois, ça y est.

La fille de Fantômas à ce moment, tenait un harnais assez coquet, fait de cuir marron liséré de blanc. Vieux harnais, acheté sans doute à quelque cirque riche, c’était le harnachement du malheureux Papillon.

Mais pourquoi Hélène avait-elle voulu à toute force retrouver ces objets de sellerie ?

Repoussant les colliers, délaissant les brides, elle saisit les œillères qui, jadis, empêchait le pauvre Papillon de se laisser distraire par l’horizon des routes.

C’est d’une main tremblante qu’elle palpa l’une de ces œillères, et avec une hâte fébrile, elle en arracha le cuir, elle en enleva la doublure.

— Dieu soit loué, s’écria aussitôt la fille du bandit.

C’est qu’entre les deux épaisseurs de cuir, dissimulé dans une cachette que nul, bien sûr, n’aurait seulement songé à soupçonner, venait d’apparaître le maroquin rouge d’un portefeuille. C’était le portefeuille rouge qu’Hélène tirait de cette cachette. Comment se trouvait-il là ? Comment la fille de Fantômas avait-elle pu venir reprendre dans la sellerie du malheureux Papillon l’important document ?

À la vérité, l’explication était simple.

Quand, en compagnie de son père, la jeune fille s’était embarquée à bord du Skobeleff, elle n’avait pas été longue à s’apercevoir que Fantômas attachait une extrême importance au portefeuille rouge.

Plus tard, alors que le Skobeleffs’enfonçait dans les flots, en train de se sauver à la nage, Hélène anxieusement s’était demandée ce qu’il était advenu du portefeuille rouge.

— Je m’emparerai du portefeuille, s’était juré Hélène, j’empêcherai mon père de s’en servir pour de nouveaux crimes, j’empêcherai Juve d’en tirer parti contre Fantômas.

Le hasard l’avait aidée.

Quand Juve et Fandor avaient été cacher le portefeuille dans l’anfractuosité de la falaise à la pointe Saint-Mathieu, la fille de Fantômas les avait vus. Alors que les deux amis s’éloignaient, elle était revenue à la cachette, elle s’était emparée du portefeuille.

Jean-Marie s’était trompé quand il avait cru que la fille de Fantômas dissimulait quelque chose dans un rocher. Elle n’y cachait rien. Elle venait au contraire y dérober un dépôt.

Et de même plus tard, quand Fantômas avait trouvé sur le sable de la grève la trace des pas de Juve, Fandor et sa fille, il s’était trompé en imaginant que Juve et Fandor étaient venus après sa fille, alors qu’en réalité, Hélène avait passé après eux.

La fille de Fantômas, arrêtée à l’improviste, n’avait pas eu le temps d’enlever le portefeuille de sa nouvelle cachette.

Après une angoisse épouvantable, au sortir de la prison de Brest, elle s’était jetée à la poursuite de la roulotte des Zizi, puis, l’ayant enfin retrouvée, elle était demeurée au camp des chiffonniers, afin de pouvoir surveiller plus facilement le harnais de Papillon.

***

Cinq minutes plus tard, la fille de Fantômas abandonnait l’enclos. Elle avait serré dans son corsage le redoutable document qu’au péril de sa vie elle était venue reprendre dans ce maléfique endroit.

Or, comme s’aidant d’une échelle trouvée dans un coin du clos, elle en franchissait l’enceinte, Hélène pensa s’évanouir de frayeur.

Une voix rude l’interpellait :

— Hé là-bas, la jolie fille, que diable trafiquez-vous par ici ?

D’un mouvement accéléré, Hélène avait glissé au bas du mur, puis elle avait pris sa course, elle fuyait, éperdue.

Du clos d’équarrissage, un homme était sorti, porteur d’un gros falot d’écurie, un homme gigantesque, qui bientôt la rejoignit, l’agrippa, la secoua :

— Nom d’un chien, criait-il, c’est pas des magnes à faire. Qu’est-ce que vous fichez sur le mur ? Répondez voir un peu. C’est-y que ça vous amuse de regarder la charogne ?

— Lâchez-moi. Je ne fais rien de mal. Je regardais.

— Oui, vous regardiez, mais quoi ?

L’homme leva sa lanterne.

— Ah, nom de Dieu, s’écria-t-il, c’est rien farce, tiens. Je vous reconnais, la petite. C’est vous, la nommée Hélène, la fille adoptive des chiffonniers ? Je vous ai déjà reluquée auprès de la mère Zizi. Là ousque c’est qu’on a acheté un bidet l’autre après-midi. Et puis, vous êtes tout plein gironde. On ne s’embêterait pas avec vous.

Il la serrait moins fort et lui faisait les yeux doux. La malheureuse fille de Fantômas, tremblante, à son tour dévisagea son brutal interlocuteur.

Il était vêtu d’une chemise de nuit crasseuse, dont bâillait le col sur sa poitrine velue. Un pantalon mal attaché lui serrait la ceinture, s’enfonçait dans de grandes bottes, et surtout, surtout Hélène distinguait ses bras, ses bras tachés de sang rouge et elle voyait du sang encore, du sang caillé, séché, coagulé sur ses mains, son vêtement.

— Mais qui êtes-vous donc ?

— Moi ? Jean-Marie l’équarrisseur. Allons, n’faites pas de magnes et venez visiter un peu la turne puisque aussi bien, tout à l’heure, vous vous donniez la peine de sauter le mur, rien que pour regarder la cour d’écorchage. Allons, v’nez donc.

Hélène, à cette minute, défaillait.

Pour tenter la périlleuse entreprise qu’elle venait de réussir, elle avait dû faire appel à toute son énergie, maintenant elle était à bout, épuisée.

Mais Jean-Marie, qui avait parfaitement reconnu la fille de Fantômas, et qui se demandait, très anxieux, ce que celle-ci avait bien pu venir faire au clos d’équarrissage, n’était nullement disposé à la laisser partir.

Il ouvrait le bras, dans le geste d’un homme qui veut prendre de force quelqu’un contre sa poitrine et il ricanait, risible mais formidable.

— Allons ! la donzelle, v’nez donc.

Mais, au même moment, brusquement, Jean-Marie culbuta dans l’ombre en poussant un cri sourd :

— Ah nom de…

Qu’arrivait-il donc ?

La fille de Fantômas, éperdue, n’eut même pas le temps de s’en rendre compte. Devant elle, Jean-Marie, tombé à terre, se débattait, luttant avec un inconnu qui l’avait empoigné par les épaules et violemment jeté sur le sol.

Une voix cria :

— Fichez le camp, fichez donc le camp, nom de Dieu.

Hélène suivit le conseil, prit sa course, s’enfuit, folle de peur.

***

Près du clos d’équarrissage, une heure plus tard, Jean-Marie se démenait pour rompre les liens dont on lui avait entouré les poignets, les chevilles, pour arracher le bandeau qui l’aveuglait.

L’apache-équarrisseur était furieux :

— Ah saloperie de saloperie, bon sang de bon sang, sûr et certain que c’était un coup monté que c’t’affaire-là. Mais je les repincerai tous les deux. Jour de Dieu, d’où diable venait-il ce maudit camelot, ce camelot qui s’est jeté sur moi, qui m’a arrangé comme je suis, et puis s’est trotté, si vite, si habilement que je sais plus du tout maintenant de quel côté il a fichu le camp, ni même ce qu’il voulait, ni même si la fille de Fantômas s’est sauvée avec lui ou toute seule ?