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— Qui donc a volé cette voiture ? demanda Sonia, n’est-ce point la bande des naufrageurs ? Parlez, parlez, Juve.

— Qui a volé cette voiture, princesse ? mais moi, moi, tout simplement, moi, Juve aidé de mon ami Jérôme Fandor.

Il expliqua comment.

— Dans dix minutes, conclut Juve, vous allez monsieur Marshall et vous princesse, témoigner contre Œil-de-Bœuf. Vous pouvez le croire coupable. C’est pour cela que je suis à Quimper.

Était-ce réellement pour éviter à Ellis Marshall et à Sonia Danidoff de faire une déposition inexacte que Juve s’était rendu à Quimper ?

On eût pu en douter à voir avec quel soin, quelle passion, Juve suivait les débats.

À la vérité le policier se doutait parfaitement qu’Œil-de-Bœuf était innocent du crime que la justice lui reprochait. Juve, de plus, savait que la fille de Fantômas s’était enfuie, non déguisée cette fois, sous sa véritable apparence de femme, à bord de la roulotte du père et de la mère Zizi, et que certainement, elle avait dû, lors du naufrage du Skobeleff, conserver son déguisement d’aspirant de marine.

Il n’avait pas eu de peine, en conséquence à deviner qu’Œil-de-Bœuf n’avait nullement assassiné l’aspirant de marine qu’on lui reprochait d’avoir tué, et qui n’était qu’un cadavre « utilisé » par la fille de l’Insaisissable. Pouvait-il cependant, l’excellent policier, sauver l’apache ? Avait-il les éléments suffisants pour emporter la conviction des membres du tribunal ?

Non.

Et c’est pourquoi Juve, très ému, assistait au procès d’Œil-de-Bœuf, appréhendant, à juste titre, une erreur judiciaire qui entraînerait la condamnation à mort de la sinistre crapule, qui certes méritait largement la peine capitale, mais pas pour les faits qui allaient la lui valoir.

Juve, à la reprise de l’audience, avait été s’installer au bout du prétoire, sur l’une des banquettes de bois réservées au public. Il fut tout surpris de voir venir prendre place à côté de lui, un extraordinaire petit bossu, vieux et sale, remarquablement loquace, qui, tout de suite, engagea la conversation avec lui, en déclarant, péremptoire :

— Pour moi, vous savez, l’accusé est complètement innocent. Jamais Œil-de-Bœuf n’a tué cet officier. Qu’en pensez-vous ?

— Vous avez raison, répondit-il au bossu, instinctivement satisfait de rencontrer quelqu’un de sympathique à l’accusé. Cet homme est certainement innocent du crime qu’on lui reproche. Malheureusement, comment le prouver ?

— Eh, dit le bossu, comment le prouver ? je ne sais pas moi. Ce n’est pas mon métier. C’est affaire aux agents de la Sûreté. Ce devrait être à eux de toujours trouver les coupables et de toujours défendre les innocents.

Or, Juve, étonné de la remarque, eut à peine le temps de tourner la tête dans la direction de son mystérieux interlocuteur, que celui-ci se levait, et, sans prendre garde aux signes impératifs de l’huissier que scandalisait un pareil sans-gêne, traversait le prétoire, s’en allait vers la porte de la salle, la franchissait, disparaissait.

— Ah ça ! songea le policier, qui diable est ce bonhomme ? et pourquoi m’affirme-t-il qu’Œil-de-Bœuf est innocent et qu’il appartient aux agents de la Sûreté d’arrêter les coupables ? Quel est ce bossu ?

Il fallut peu de temps à Juve pour réfléchir. Il lui en fallut moins encore pour se décider à l’action.

Brusquement, le policier se leva, quitta lui aussi le prétoire où s’achevaient maintenant les dépositions des témoins venant confirmer les agissements de la bande des naufrageurs. Juve s’élança hors du tribunal, dans l’intention de rejoindre le bossu.

Le policier parvint sur le perron du Palais de Justice, trois minutes peut-être après que son bizarre interlocuteur devait en avoir descendu les degrés. Or, Juve à peine en haut des marches, aperçut le bossu sur les traces duquel il se précipitait – un bossu d’aspect misérable, un pauvre diable – qui avait déjà eu le temps de traverser la place. Juve le vit monter dans une superbe voiture automobile, dont le moteur trépida sous la conduite d’un mécanicien déjà en train d’en manœuvrer les leviers.

— Qu’est-ce que tout cela veut dire ? se demanda Juve.

Le policier s’élança, désireux de rejoindre l’infirme mystérieux. Or, Juve n’avait pas traversé la moitié de la place qu’il dut s’arrêter immobile, blême d’effroi, tremblant de rage. Au moment ou l’automobile démarrait, Juve avait vu le bossu se redresser, arracher sa veste, enlever ce qui lui tenait lieu de bosse, l’homme, maintenant reprenait toute sa taille, et d’une voix railleuse, s’adressant au policier figé sur place, il cria :

— Juve, rappelez-vous de ce que je vous ai dit : Œil-de-Bœuf est innocent. Votre devoir est de le sauver, votre devoir, Juve.

Juve avait compris. Tandis que l’automobile s’enfuyait dans un nuage de poussière, Juve hurlait, tendant le poing :

— Fantômas, malédiction, c’est Fantômas.

***

Juve vivait un véritable cauchemar. Il lui semblait que tout tournait autour de lui, que les arbres de la petite place, la boutique de l’épicier qui en faisait le coin, le bureau de tabac qui était un peu plus loin, le Palais de Justice, même, dansaient une valse endiablée.

Ainsi, il avait encore manqué l’arrestation de Fantômas ?

Et le Roi du Crime l’avait nargué : « Votre devoir est de sauver Œil-de-Bœuf » avait crié Fantômas. « Œil-de-Bœuf est innocent. »

Eh, parbleu, Juve le savait bien qu’Œil-de-Bœuf était innocent. Il ne l’ignorait pas, que son devoir était de sauver l’apache injustement détenu pour un crime qu’il n’avait pas commis. Mais le moyen de le sauver ? le moyen d’arracher sa tête aux juges aveuglés par les coïncidences et probablement déjà décidés à rendre un verdict impitoyable ?

Juve demeura longtemps debout, immobile, appuyé contre un arbre sur la petite place tranquille où s’élève le Palais de Justice de Quimper.

Puis à la fin, brusquement, Juve sortit de son anéantissement :

— À la fin, c’est trop bête, se dit-il, je suis encore une fois victime d’un de ces scrupules stupides qui suffisent à paralyser l’homme le plus énergique. Évidemment, c’est vrai : Œil-de-Bœuf n’a pas mérité la mort cette fois, mais il l’a méritée vingt fois pour tous ses crimes passés. Tant pis s’il est condamné à mort. Je n’aurai pas de regrets à avoir. D’abord, parce que je n’y puis rien, et ensuite, parce que cette condamnation ne sera jamais, après tout, qu’un effet de la Justice Immanente.

Et Juve rentra dans la salle d’audience au moment précis où le président de la Cour d’Assises se levait pour prononcer le verdict.

Le policier qui venait de se tenir de beaux raisonnements, pour se prouver que le sort d’Œil-de-Bœuf lui importait peu, ne put s’empêcher de frémir, aussi blême que l’accusé, tandis que le président lisait, d’une voix monotone et indistincte, tous les considérants de l’arrêt et qu’il terminait soudain par la phrase fatale :

« En conséquence, la Cour condamne l’accusé Œil-de-Bœuf à avoir la tête tranchée en place publique… »

Œil-de-Bœuf s’écroula sur son banc.

Juve se mordit les lèvres jusqu’au sang.

Il semblait, en vérité, que le grand policier, de même que le condamné, eût à subir la rigueur des lois.

21 – UN BOURGEOIS TRANQUILLE

Derrière le viaduc du Point-du-Jour, immédiatement après la grille de l’octroi qui va des bords de la Seine aux fossés des fortifications, les quais prennent un aspect tout spécial avec leur enfilade de guinguettes, leurs établissements de plaisir à bon marché, la criaillerie musicale des chevaux de bois qui tournent, des orphéons qui font danser, des orgues de Barbarie qui, continuellement, ont le courage de moudre une sempiternelle «  Valse Bleue ». Il y a là le dépôt des « bateaux-mouches », des « hirondelles ». Il y a aussi de nombreux canots où s’installent d’innombrables pêcheurs, il y a même, de temps à autre quelques petits voiliers qui demeurent en panne, faute de vent, et dont le navigateur s’obstine par dignité à ne point gagner l’île de Billancourt en faisant force de rames.