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Ce n’était pas tout. Il fallait trouver autre chose. Le Costaud, décidément grand organisateur de la promenade, n’hésita pas.

— Ah bien, dit-il, maintenant qu’on a bouffé, un litre à seize, ça n’ferait pas d’mal, si qu’on allait au gymnase ? histoire de montrer à ces dames qu’on a encore du muscle sous la peau et qu’on sait y faire, tout comme les bonnes gens de la foire ?

D’urgence, la proposition fut acceptée.

Parbleu, oui, on allait aller au gymnase. D’ailleurs, c’était au gymnase qu’on avait rendez-vous avec les autres membres de la compagnie, avec le reste des aminches, ceux-là qui étaient venus dans la tapissière, en voiture, comme des princes, ceux-là qui faisaient partie du cortège de la mariée.

— Au gymnase, cria le Barbu, au gymnase.

— Au gymnase, répétait le Costaud.

Et ces dames elles-mêmes, la grande Ernestine et Hélène, qui semblaient dans les meilleurs termes, s’enthousiasmèrent pour cette proposition.

— Vous allez voir, ma petite, disait Ernestine, vous allez voir si je suis un peu là pour ce qui est de la balançoire.

Dix minutes plus tard, le patron des Voltigeurs, un cabaret qui dressait une tonnelle pittoresque en bordure de la route et s’enorgueillissait de posséder quatre portiques de gymnastique munis des meilleurs agrès, perdait littéralement la tête comme l’avait perdue, quelques minutes avant, Maman Friture, en voyant s’avancer les promeneurs.

La bande, en arrivant aux Voltigeurs, avait, en effet, retrouvé là toute une série de « poteaux ». Il y avait Gangrène, dit Pourriture, un vieux biffin de la vieille école, dont la spécialité était de ramasser les arlequins, pour les vendre aux restaurants populaires des environs des Halles. Il y avait Fleur-de-Rogue, une exquise petite Bretonne qui, petit à petit, se laissait entraîner à la plus crapuleuse des débauches, et qui ne jetait point des regards amicaux à Jean-Marie, son ancien ami. Il y avait la Dépeignée, une chiffonnière dont la spécialité était de se battre comme un homme, la grosse Blanche, une autre chiffonnière, qui, le matin même, avait déclaré qu’elle allait épouser un garçon de lavoir du nom de Démosthène, il y avait enfin, Maman la Canne, l’ancienne patronne du Marronnier Bleu, qui avait depuis longtemps fait faillite.

Tous voulaient être servis à la fois. Tous, ils jetaient des ordres en même temps. Ah pour une fête, c’était une fête, et l’on s’en souviendrait longtemps, à Saint-Ouen, de cette journée de rigolade qu’on s’était payée, histoire de fêter dignement le mariage de la grosse Blanche avec cette espèce d’andouille sympathique de Démosthène.

Ce mariage, ce mariage annoncé et qui, très vraisemblablement, n’aurait jamais lieu, d’ailleurs – une chiffonnière borne les formalités de ses noces, le plus souvent, à avertir ses amis et connaissances qu’elle entend désormais être considérée comme madame un tel et non plus comme mademoiselle une telle – faisait naturellement le sujet de toutes les conversations.

— Mince alors, elle en avait une veine la grosse Blanche, estimait la majorité des chiffonnières. Elle en avait une veine d’avoir dégotté un époux comme celui-là. Justement, il était gentil comme tout, ce Démosthène. On savait bien qu’il se saoulait de temps à autre et que, de temps à autre, aussi, il éprouvait le besoin de cogner, mais, quoi, tous les hommes sont comme cela, n’est-il pas vrai ? Et la grosse Blanche allait sans doute se la couler douce maintenant qu’elle aurait un homme qui avait un métier régulier, qui, chaque mois, touchait des sous.

Or, tandis que ces dames parlaient mariage, entourant la nouvelle épousée, ces messieurs, eux, mettaient leurs vestes bas, se dirigeaient vers les portiques de gymnastique.

— Venez-vous en voir, mademoiselle Hélène, susurrait doucement Jean-Marie, qui, toujours, s’efforçait d’être aux côtés de la fille de Fantômas, cependant que le Camelot, l’extraordinaire Camelot, tâchait lui aussi, de retenir perpétuellement l’attention de la jolie chiffonnière. Venez-vous en voir. Ils veulent tous faire les malins. Sûr de sûr qu’il s’en trouvera bien un pour dégringoler.

Car le sinistre équarrisseur, le lugubre apache, toujours poursuivi par son idée fixe de voir couler le sang, était persuadé qu’Hélène, qu’il avait surprise dans la cour d’équarrissage et qui ne lui avait jamais expliqué ce qu’elle y faisait, qui ne lui avait jamais dit, surtout, comment elle avait été sauvée, goûtait, comme lui, l’affreux spectacle du sang, du sang rouge et chaud, du sang tiède qui s’échappe goutte à goutte des blessures hideuses.

Hélène, d’abord, fit « non » de la tête, mais, en vérité, elle était tellement accablée par les prévenances équivoques de la grande Ernestine, que pour y échapper, elle se décida à accepter la proposition de Jean-Marie. Hélène, le matin même, n’avait pu trouver de prétexte pour éviter d’accompagner les amis qui se préparaient à fêter dignement le mariage de la grosse Blanche. Ayant accepté de se joindre à eux, elle devait évidemment faire bonne figure. Mais le voisinage d’Ernestine lui était insupportable. La jeune fille trouvait préférable la cynique brutalité de l’équarrisseur, d’autant, qu’instinctivement, elle était assurée que le Camelot, n’ayant point perdu un mot de la conversation qu’elle venait d’avoir avec Jean-Marie, s’apprêtait à les suivre. Qui était ce Camelot ?

La fausse chiffonnière, la fille de Fantômas eût à coup sûr donné beaucoup pour le savoir, mais elle ne pouvait arriver à le deviner. C’était un tout jeune homme de vingt-cinq, vingt-six ans. Il portait une moustache blonde, avait perpétuellement devant les yeux d’étonnantes lunettes bleues à cause d’une ophtalmie, disait-il. Sa barbiche blonde lui descendait depuis les oreilles, très épaisse, tout le long des joues. Il avait une étrange figure, mais une figure inconnue. Et Hélène qui, plus perspicace que Jean-Marie, avait parfaitement reconnu dans ce Camelot le jeune homme qui l’avait courageusement arrachée à la poigne de l’équarrisseur alors que celui-ci tentait de l’attirer dans le sinistre enclos au moment où elle venait d’y retrouver le portefeuille rouge, se sentait depuis lors étrangement attirée par ce garçon.

— Venez donc, répétait Jean-Marie, venez donc, vous allez voir, il y a le Costaud qui fait des magnes et qui tente de réussir des soleils. J’vous promets qu’il va se casser la gueule.

À ce moment précis, un cri d’horreur s’échappait des lèvres de toutes les personnes présentes.

Le Costaud, comme l’avait fort bien noté Jean-Marie, avait voulu, en effet, « épater » l’assistance. Empoignant à pleines mains, la barre du trapèze, il avait commencé un gigantesque soleil. Or, le malheureux y allait à peine, salué par les bravos de tous les aminches, que la corde cassait, la barre échappait à ses mains et projeté avec une force inouïe, le Costaud allait se fracasser le crâne contre le sommet du portique, pour retomber pantelant, inondé de sang, aux pieds des chiffonniers atterrés.

— Ah, quel malheur, le pauvre bougre.

— Cré bon sang de cré bon sang, il est bien attigé.

On se précipita de toutes parts, on accourut. Jean-Marie seul, demeurait impassible.

Au moment précis où le corps du Costaud était venu rebondir dans l’herbe, à quelques pas de lui, l’équarrisseur, en effet, s’était mis à rire, d’un rire immonde.

— Au secours.

Tout le monde pouvait bien se démener, tout le monde pouvait bien s’affoler, Jean-Marie, lui, gardait son calme.

***

On avait prévenu la police de l’accident. Une ambulance avait emmené la victime à l’Hôpital Boucicaut.

Les chiffonniers qui avaient joyeusement commencé la journée, ne parlaient plus. Bientôt ils partirent, sauf Jean-Marie, qui prétexta une course à faire à Billancourt.

Que voulait-il ?

L’apache aurait été lui-même fort embarrassé d’expliquer les motifs qui le conduisaient à laisser ses amis partir seuls. Il ne s’avouait pas à lui-même que s’il était demeuré, c’est qu’il voulait se rassasier encore les yeux, en considérant la tache sanglante qui marquait l’endroit où le corps du Costaud s’était écrasé au sol. C’était pourtant l’attrait ignoble de cette rosée de sang tachant l’herbe verte qui retenait Jean-Marie.