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— Je n’ai rien.

Nul ne voulait le croire :

— Si, disait, désespéré, le prince Nikita, je vous en prie, monsieur, laissez-nous vous examiner, j’ai vu du sang, je vous ai blessé, je suis certain que je vous ai blessé.

Ellis Marshall, pour toute réponse, haussa les épaules :

— Allons donc, vous vous trompez, monsieur, je vous affirme que je ne suis pas blessé.

Et, très tranquillement, l’Anglais, repoussant ceux qui l’entouraient, montrait ce qui avait pu donner à croire qu’il avait été réellement atteint.

Le tronçon aiguisé de l’épée du prince Nikita l’avait en effet heurté au côté gauche, à l’emplacement du cœur, mais, par bonheur, la lame, après avoir déchiré le veston de l’Anglais, avait été arrêté par le portefeuille, un portefeuille de cuir rouge qu’Ellis Marshall montra une seconde et qu’il se hâta de replacer dans sa poche.

— Mon portefeuille, dit-il, m’a sauvé la vie, voilà tout.

Or, tandis qu’il parlait de la sorte avec une tranquille assurance d’un accident qui aurait parfaitement pu causer sa mort, Ellis Marshall, brusquement, changeait d’attitude :

— Et maintenant, messieurs, faisait-il, ne parlons plus de cette petite aventure et excusez-moi de vous quitter si rapidement, j’ai des rendez-vous, je craindrais d’être en retard.

Pourquoi l’Anglais manifestait-il une hâte si soudaine ?

Peut-être eût-il fallu en chercher l’explication dans la remarque qu’Ellis Marshall venait de faire de l’extrême pâleur qui, soudain, avait envahi le visage du prince Nikita ?

L’officier russe, en effet, n’avait pas vu sans émotion le portefeuille rouge qu’Ellis Marshall avait exhibé un instant. Mais ce n’est pas tout. Nikita tenait toujours son tronçon d’épée. Il voulu le restituer à l’aimable escrimeur qui le lui avait prêté, et présenter ses excuses : l’escrimeur avait disparu.

Un agent à la solde de l’Angleterre, puis une disparition mystérieuse. Et quelques minutes plus tard, comme Nikita, très ému, se demandait qui pouvait bien être cet étranger qui lui avait prêté une épée si fragile, il entendit au milieu de la foule une voix qui lui soufflait à l’oreille.

— Prince, méfiez-vous de Fantômas.

***

— Croyez-vous réellement qu’il y ait eu tentative d’assassinat ? lui demandait le comte Vladimir Saratov, une heure plus tard. Croyez-vous réellement…

— Mon cher comte, je sais parfaitement qu’il s’agit là de choses si graves qu’il n’en faut point parler au hasard. Toutefois, ma conviction est absolue : l’homme qui m’a proposé de recommencer le coup que je discutais avec le prévôt, qui a incité Ellis Marshall à me servir d’adversaire, qui nous a prêté les deux épées, dont l’une s’est cassée, comme je vous l’ai dit, et qui ensuite a disparu, que nul ne connaît à la salle d’armes en fin de compte, avait préparé toute l’affaire, avait voulu que je tue Ellis Marshall.

— Mais pourquoi ?

— Mais n’avez-vous pas compris ce que je vous disais tout à l’heure ? Ellis Marshall avait dans la poche un portefeuille rouge, le portefeuille rouge.

— Et alors ?

— Et alors, comte Vladimir, poursuivait tranquillement le prince Nikita, vous devinez bien que, si par hasard, j’avais atteint ce malheureux Ellis Marshall, il en serait résulté une telle confusion qu’à coup sûr l’individu en question aurait pu facilement dérober ce portefeuille.

— Qui est-ce donc, d’après vous ?

Le lieutenant n’osa répondre : « C’est Fantômas », sur la foi de ce qu’on lui avait soufflé.

— Je voudrais bien le savoir, se contenta-t-il de répondre à l’ambassadeur extraordinaire.

24 – À COUPS DE RASOIR

Certains se vantent d’avoir le caractère poétique, de mépriser les contingences de la vie ordinaire, de s’accommoder de tout, de pouvoir se faire aux pires situations. D’autres, au contraire, passent, impassibles dans la vie, sachant non pas se plier aux circonstances, mais les plier à leurs besoins. Ellis Marshall était de ces derniers. Le flegmatique Anglais qui, par pur patriotisme et par désœuvrement aussi, était entré dans le corps des agents diplomatiques chargés de s’occuper d’une foule de missions secrètes propres à augmenter la gloire intangible de la vieille Angleterre, possédait à un rare degré la qualité prédominante de tous ses compatriotes et qui n’est autre que le sang-froid.

Rien ne le dérangeait, rien ne l’émouvait, il était toujours supérieur aux événements, jamais étonné. Aussi bien, grâce à ce flegme imperturbable, là où d’autres se fussent affolés, là où ils auraient perdu la tête, Ellis Marshall, tout bonnement réfléchissait, trouvait une solution.

Célibataire, Ellis Marshall professait cette théorie qu’avant tout l’homme intelligent ne doit jamais s’embarrasser d’un domicile fixe.

Ellis Marshall, cependant, n’habitait pas à l’hôtel. Partout il se logeait, en vertu d’un principe bien arrêté, dans un appartement qu’il meublait à peu de frais, avec des meubles sommaires et qu’il choisissait dans le voisinage immédiat d’un grand hôtel. Il lui suffisait alors de s’entendre avec la direction de l’établissement voisin, moyennant une somme qu’il pouvait librement débattre, pour que les domestiques de l’hôtel vinssent à heure fixe faire son ménage, entretenir ses affaires et même lui monter ses repas. Il était chez lui et il jouissait de l’organisation commune de l’hôtel. C’était, à son point de vue, la meilleure manière d’être complètement indépendant.

Domptant son émotion, il avait rapidement quitté la salle d’armes et, pendant que le prince Nikita courait chez le comte Vladimir Saratov pour le mettre au courant de la découverte qu’il avait faite relativement au portefeuille rouge, l’Anglais, ne se doutant aucunement des remarques du jeune Russe, rentrait chez lui pour changer de veston, et, ainsi qu’il l’avait annoncé, achever sa toilette, passer un smoking et s’en aller user la soirée le plus agréablement qu’il le pourrait.

Or, Ellis Marshall, en remontant l’escalier conduisant à son appartement, entendit grelotter la sonnette de son téléphone.

— Oh, pensa-t-il, sans d’ailleurs se hâter le moins du monde, car il avait horreur de se presser, voici que quelqu’un voudrait me causer. C’est grand dommage, la communication va être certainement coupée avant que je ne sois chez moi.

Il continua à gravir les étages, introduisit la clé dans sa serrure, ouvrit sa porte, posa d’un geste qui n’avait rien de précipité son chapeau à un porte-parapluie, puis enfin se dirigea vers l’appareil téléphonique.

— Allo, s’informa l’Anglais. Que demande-t-on ?…

Au bout de la ligne, une voix d’homme, répondit :

— Allo, c’est bien à M. Ellis Marshall que j’ai l’honneur de parler ?

— À moi en effet et à qui ai-je l’avantage ?

— C’est le coiffeur, monsieur Marshall.

Ellis Marshall ouvrit de grands yeux, fort étonnés, ne comprenant guère ce que « le coiffeur » pouvait lui vouloir.

— Que désirez-vous ?

— Allo monsieur Marshall, je voulais vous informer que mon garçon Louis, mon garçon ordinaire, est tombé malade. Ce qui fait que demain je ne pourrai vous envoyer personne. Voulez-vous m’autoriser à vous envoyer aujourd’hui un nouveau garçon ? Auriez-vous le temps de le recevoir ce soir ?

Ellis Marshall réfléchissait. Il avait coutume, deux fois par semaine, de faire venir chez lui un garçon du perruquier voisin, qui rafraîchissait sa chevelure, le gratifiait d’une bonne friction et enfin le rasait.

— Aoh, dites à votre garçon qu’il vienne tout de suite ; justement, je ne serai pas fâché d’être rasé ce soir même.

L’Anglais raccrocha le téléphone, se débarrassa de son col, puis passant à son cabinet de toilette, commença à préparer le smoking qu’il comptait revêtir quelque temps après le départ du garçon coiffeur.

Il y avait quelques minutes déjà qu’Ellis Marshall avait terminé tous ces préparatifs et qu’il venait de s’étendre dans un confortable fauteuil, lorsqu’on sonnait à sa porte :