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— Pas du tout.

— Ah. Qu’est-ce que vous croyez donc ?

— Parvenu chez Ellis Marshall, je me suis d’abord intéressé à l’examen du corps de la victime. Ellis Marshall est mort, monsieur Havard, d’un terrible coup de rasoir.

— Mais cela ne prouve pas que ce ne soit pas le prince Nikita.

— Évidemment. Tout de même, monsieur Havard, c’était déjà extraordinaire. J’ajoute que, tout de suite, cela devint significatif. Savez-vous ce que j’ai appris, dix minutes après mon arrivée au domicile du mort ?

— Quoi donc ?

— Qu’Ellis Marshall avait reçu la visite d’un soi-disant garçon coiffeur.

Juve alors, longuement, minutieusement, – mais M. Havard ne songeait plus à l’interrompre, – fit le récit de son enquête. Merveilleux d’habileté, Juve avait réussi, dès les premières minutes de son arrivée chez Ellis Marshall, à apprendre par la concierge de l’immeuble chargée de donner les communications téléphoniques, que l’Anglais, quelques heures avant, avait téléphoné à un certain numéro qui était le numéro d’un coiffeur. Juve, naturellement, s’était précipité chez le coiffeur où il avait appris l’invraisemblable histoire du faux garçon perruquier.

Or, ce qui était inintelligible pour le patron du lavatory était au contraire très clair pour Juve.

Si un homme s’était donné comme garçon coiffeur auprès d’Ellis Marshall, qui précisément avait été tué à coups de rasoir, il y avait évidemment beaucoup de chances pour que ce fût ce faux garçon coiffeur qui eût commis le crime.

Revenant au domicile du mort, Juve, fort du renseignement qu’il avait obtenu en interrogeant le patron du lavatory, interrogeait donc, de façon plus précise encore, la concierge d’Ellis Marshall.

Cette femme avait parfaitement remarqué l’entrée et la sortie d’un jeune homme qui, en arrivant, lui avait demandé l’étage où habitait Ellis Marshall, et en sortant l’avait saluée. Elle donnait de lui un signalement détaillé.

— Et ce signalement ne vous dit rien ? Il ne peut pas se rapporter au prince Nikita ? Ce n’est pas lui qui se serait déguisé ?

— Non. Il est absolument indiscutable au contraire que ce n’est pas le prince Nikita qui s’est déguisé en coiffeur. D’ailleurs, je connais, au moins pour l’avoir vu une fois, l’individu qui a commis ce crime.

— Mais qui, qui ? encore une fois…

— Je serais malheureusement bien incapable de vous dire son nom. C’est un camelot, un crieur de journaux, un membre de la pègre.

La déclaration inattendue de Juve causait une si profonde stupéfaction à l’excellent M. Havard que le chef de la Sûreté demeura quelques instants muet, immobile, comme anéanti.

— Ah çà si c’est un membre de la pègre, rien n’empêche que ce ne soit un homme salarié par le prince Nikita ?

— C’est, en effet possible.

— Et, dans ce cas, le prince Nikita serait le principal coupable. Or, le prince Nikita est intangible pour nous, en raison de l’immunité diplomatique, en raison de la mission dont il était chargé.

— Quoi qu’il en soit, monsieur Havard, coûte que coûte, il faut retrouver ce camelot.

— D’accord, Juve, mais comment ? Avez-vous un plan ?

— Oui, monsieur Havard. Ce camelot fréquente les chiffonniers de la plaine de Saint-Ouen. Que diriez-vous d’une rafle, dans ce secteur ?

26 – DESCENTE DE POLICE BARRIÈRE SAINT-OUEN

À moins de deux cents mètres de la barrière de Saint-Ouen, alors qu’on apercevait déjà dans le lointain légèrement brumeux la masse des baraques des chiffonniers, M. Havard qui marchait tête basse aux côtés de Juve, suivi à distance respectueuse par tout un groupe d’officiers de paix que suivait eux-mêmes un épais bataillon d’agents, se retourna brusquement :

— Au rapport, commanda-t-il.

Les officiers de paix se groupèrent autour du chef de la Sûreté qui, le chapeau melon enfoncé sur le front, la canne batailleuse, donnait ses ordres avec cette précision et cette netteté qui font de lui un grand manieur d’hommes :

— Vous avez bien compris, les uns et les autres, ce que nous allons faire ici ? Sous prétexte d’opérations sanitaires, nous incendions le campement des chiffonniers. En réalité, nous avons l’intention tout bonnement d’opérer une rafle, une rafle au cours de laquelle vous devez n’avoir qu’un objectif : arrêter le Camelot dont on vous a distribué le signalement. Arrêter ce camelot, voilà ce que nous voulons. C’est bien compris ?

Les officiers de paix inclinèrent la tête, un murmure courut.

— C’est parfaitement compris, chef.

M. Havard reprit :

— Il va de soi, n’est-ce pas, que ces chiffonniers ne sont pas des assassins, ne sont pas des criminels, que pour la plupart, même, ce sont de braves gens et qu’en conséquence, si vous devez agir, les uns et les autres, avec une main de fer, vous ne devez pas craindre d’employer un gant de velours. La consigne est d’incendier toutes les baraques, et cela, je vous le répète, pour forcer le Camelot à s’enfuir et à tomber entre nos mains, mais la consigne n’est pas de ruiner ces pauvres gens. Ceux qui ont des charrettes doivent pouvoir, très librement, déménager leurs meubles et emporter leurs affaires. Il suffira de surveiller les chargements et de s’assurer que personne ne se glisse dans l’une de ces charrettes pour nous échapper. Vous comprenez toujours, messieurs ? Reste donc à voir la façon dont nous allons procéder. Messieurs, c’est extrêmement simple : les deux officiers de paix, les plus jeunes promus qui se trouvent ici, vont prendre avec eux deux cents agents et faire complètement entourer par des sentinelles placées de cinq mètres en cinq mètres l’ensemble de ces baraques. Les autres officiers de paix vont prendre avec eux cinq agents et s’occuperont d’aller réveiller les chiffonniers dans leurs baraquements, avant d’y mettre le feu. Juve et moi, nous nous tiendrons en permanence au centre même du campement et si jamais une arrestation avait lieu, il vous suffirait d’envoyer un agent nous prévenir. L’un ou l’autre nous viendrons immédiatement. Encore une fois, c’est bien compris ?

L’hygiène est, chez les chiffonniers, un mot dépourvu de tout sens. Ils accumulent avec une négligence effrayante les pires détritus aux portes mêmes de la ville et il est parfois nécessaire, en temps d’épidémie notamment, de désinfecter radicalement leurs agglomérations.

On le fait, il est vrai, le plus rarement possible, car il n’est personne qui n’éprouve une certaine sympathie pour ces humbles mais courageux travailleurs. On le fait toutefois avec une rigoureuse intransigeance lorsqu’il le faut. On brûle tout, on incendie tout. Aux chiffonniers de se retirer, puis de revenir le lendemain édifier à nouveau, avec les matériaux les plus hétéroclites, leurs malheureuses demeures devenues la proie des flammes. Or, il y avait longtemps que le service sanitaire de la Ville de Paris réclamait de la Préfecture de police et du ministère de l’Intérieur l’autorisation de procéder à une semblable épuration.

Lorsque la veille, Juve, en revenant de l’enquête faite au domicile d’Ellis Marshall assassiné, avait conclu que le Camelot, le Camelot ami des chiffonniers, devait être l’auteur du crime, il avait demandé à M. Havard d’opérer une vaste rafle à la porte de Saint-Ouen M. Havard avait promis. Le lendemain soir, Juve recevait un petit mot du chef de la Sûreté l’informant que l’opération allait être encore plus radicale, car non seulement on ferait rafle, mais encore on incendierait, ce qui ne pouvait qu’ajouter à l’efficacité des recherches.

***

Les malheureux chiffonniers qui, de temps immémorial, s’installent sur les « terrains de zone » pour y construire les pittoresques baraquements dans lesquels ils vivent leur misérable existence, sont souvent l’objet de poursuites analogues.

À pas précautionneux, se gardant de faire le moindre bruit, évitant de causer, les agents, sous l’ordre des deux officiers désignés par M. Havard, venaient d’envahir, d’investir plutôt, le campement des biffins.

De distance en distance, un agent avait été placé, revolver au poing. Il avait reçu la consigne stricte de ne laisser passer personne, de renvoyer à l’un des deux officiers de paix commandant la manœuvre tous ceux qui, dans quelques minutes vraisemblablement, reflueraient devant l’incendie.