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C’est enfantin.

M. Deibler aimait cette expression.

— Je ne décide rien, disait-il souvent, j’exécute. Je ne suis pas le cerveau, je suis la main. Que je sois ou non partisan de la peine de mort, on n’a même pas à s’en préoccuper. Ma profession est d’être bourreau. Je suis bourreau. Et voilà tout.

Tels n’étaient pas les sentiments de Jean-Marie…

Lorsque, M. Deibler, en effet, frappé de l’insensibilité de l’apache contemplant, sans un tressaillement la mort de son camarade, était entré en relation avec lui, il ne s’y était pas trompé. M. Deibler avait estimé que cet homme ferait un parfait valet de guillotine, qu’il serait à l’abri de toute nervosité, de toute émotion même. Il avait vu juste.

Au cours de la répétition sinistre que le bourreau faisait dans le Hangar Rouge, Jean-Marie, en effet, maniant pour la première fois les montants de la « Veuve », sentant le contact des bois gluants de sang, prêts à en boire encore, ne tressaillit même pas.

Jean-Marie n’était encore venu au Hangar Rouge que quelques fois. On eût juré qu’il était familier du sinistre local.

— Excellente recrue, pensait d’ailleurs le bourreau en contemplant son nouvel aide.

Et, tout naturellement, comme s’il n’avait point communiqué une nouvelle d’importance, M. Deibler instruisait l’apache :

— Jean-Marie, la guillotine que nous venons de monter est celle qui fonctionne à Paris, celle dont nous nous servons le plus communément, en somme celle qui, probablement, tranchera le cou du Camelot d’ici à quelques mois, si, comme il est probable, ce criminel est condamné à mort par le jury, lorsqu’il passera en Cour d’Assises. Allons dîner. Nous reviendrons d’ici une heure et nous monterons l’autre guillotine, celle dont nous nous servirons dans trois jours, celle que nous utiliserons à Quimper pour guillotiner cet autre criminel, Œil-de-Bœuf, condamné à mort pour avoir assassiné un officier russe.

— Vingt dieux, patron, alors, ce soir, nous aurons à monter deux guillotines ? Ah, c’est une belle journée.

Et la brute pensait ce qu’elle disait, s’applaudissait d’avoir la perspective de travailler toute une nuit à sa lugubre besogne, à la toilette de la « Veuve ».

***

Il y avait quelque temps déjà que M. Deibler et ses aides s’étaient retirés du Hangar Rouge. Or, soudain, la porte grinça.

Un homme, prenant garde de faire du bruit, se glissa à l’intérieur du local, tira la porte sur lui, craqua une allumette, enflamma un falot et vint se camper devant la guillotine dressée au centre du hangar.

C’était Jean-Marie.

Jean-Marie, alors qu’il se rendait à un restaurant voisin pour dîner en compagnie de M. Deibler, s’était brusquement arrêté, fouillant les poches de sa veste :

— Tiens, j’ai oublié mes cigarettes.

Et tout naturellement, il pria le bourreau :

— Donnez-moi la clef, patron, je cours les prendre et je vous rejoins.

M. Deibler n’avait pas fait de difficultés. Il avait déjà envoyé deux ou trois fois Jean-Marie faire des commissions au Hangar Rouge, et la sinistre brute s’en était parfaitement acquittée. M. Deibler, sans méfiance, confia sa clef.

Mais était-ce bien pour chercher des cigarettes oubliées que Jean-Marie revenait au hangar ?

À peine la porte était-elle refermée, à peine était-il certain d’être seul, face à face avec la guillotine, que Jean-Marie parut saisi d’une sorte de joie indéfinissable et folle.

Debout devant la guillotine, tremblant de tous ses membres, il contemplait fixement la hideuse machine, la caressait du regard, la scrutant dans ses moindres détails et bientôt, entraîné par son émotion, il l’apostrophait à haute voix :

— Te voilà donc, disait-il, machine de mort, machine qui tue, machine qui aime le sang autant que moi, plus que moi. C’est ton couperet qui, dans un éclat d’acier, tranche les cous, mord les chairs, broie les os et répand des ruisseaux de ce sang rouge que, toi et moi, nous aimons à respirer. Te voilà, machine rouge, devant qui tous se troublent, devant qui tous s’effarent, devant qui tous suent de peur et que, moi je contemple avec la tranquillité de l’indifférence, avec la joie de la curiosité, avec la volupté du désir.

Assurément, Jean-Marie était fou.

C’était un fou véritable qui tournait et retournait autour de la guillotine ; c’était un regard de folie qu’il promenait sur les montants de bois rouges, et c’était un geste de dément qui, tout d’un coup, faisait qu’il se précipitait sur le bâti du sinistre couperet, qu’il étreignait de ses bras, qu’il collait ses lèvres à la planche de la bascule.

C’était un démoniaque, que Jean-Marie.

Tandis qu’il tenait ainsi embrassée la guillotine, la machine de mort, il râlait :

— Écoute, écoute, dans trois jours, au petit matin, on te dressera, toi ou ta sœur, sur une place de province. Dans trois jours. Entends-tu ? Tu tendras tes bras sanglants vers le ciel. Je serai là, moi, ton valet. Ils seront là, tes autres serviteurs. Nous t’entourerons de tous nos soins et de toutes nos précautions. Et puis, soudain, il y aura un roulement de tambour, les soldats que l’on aura mis en piquet d’honneur autour de toi présenteront les armes. Et l’on descendra de voiture le condamné. Et l’on t’amènera, pour tes noces rouges, mon ancien camarade, cet Œil-de-Bœuf, cet Œil-de-Bœuf dont tu es dès maintenant assurée de broyer la vie, de trancher la tête.

Et Jean-Marie, comme pris d’une exaltation satanique, s’agrippant aux montants de la guillotine, se collait à la planche de la bascule, s’y couchait, léchait le couperet du regard, répétant d’une voix que le silence enflait en échos prodigieux :

— Dans trois jours, entends-tu, guillotine ? Dans trois jours. Tu fonctionneras, tu rempliras ta besogne de tueuse, tu tueras, et ce sera moi, ton valet qui aurai l’honneur d’essuyer tes lèvres sanglantes, d’éponger ton couperet éclaboussé. Dans trois jours. Tiens, déjà, guillotine, je t’avais confié ce à quoi je tiens le plus au monde. Mais que m’importe ? cela, ce n’est pas ton affaire, cela, tu t’en moques. Tiens, tu n’as qu’un souci, sans doute, c’est de tuer et de tuer encore. Ah, comme tu serais contente, Machine Rouge, machine qui, d’un seul geste, crée de la mort, si tu pouvais m’entendre. Dans trois jours, je te dis que, dans trois jours, tu tueras.

Mais, comme arrivé au paroxysme de son attaque de folie, Jean-Marie répétait, affolé : « Dans trois jours, dans trois jours », brusquement, dans le silence du hangar que troublaient à peine les éclats de voix de la brute, des paroles railleuses et terribles à la fois résonnèrent :

— Dans trois jours, ou tout de suite ?

Et en même temps, avant que Jean-Marie eût seulement pu tressaillir, il était pris aux épaules, les courroies de la bascule l’attachaient sur la planche fatale, ses chevilles étaient immobilisées. Jean-Marie était lié sur la guillotine.

— Dans trois jours ? répétait alors la voix ironique, tu crois véritablement, Jean-Marie, que dans trois jours seulement cette guillotine, que tu aimes d’un amour insensé, épouvantable, fou que tu es, que dans trois jours seulement elle fonctionnera ? Ah çà, Jean-Marie, tu t’imagines donc que je ne sais plus vouloir ? que j’allais tranquillement te laisser jouir de ta vie de valet de bourreau ?

Jean-Marie, lié sur la bascule, avec des yeux hagards, des yeux où la peur mettait un vertige effroyable, regarda celui qui lui parlait.

Il était sorti de l’ombre et il paraissait faire partie de l’ombre elle-même. On ne voyait de lui qu’une silhouette, mais cette silhouette, il n’était pas besoin de la contempler à deux reprises, légendaire et terrible.

Elle était connue de tous et redoutée de tous, en effet, cette silhouette, cette silhouette d’un homme jeune, souple, leste, vigoureux, dont le visage était masqué d’une cagoule noire, qui était vêtu d’un maillot collant noir, et qui était ganté de noir.