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Un coupé de maître arrivait, suivi d’une Victoria, suivi de voitures de louage plus modestes, mais toutes ayant des allures officielles. De graves personnages, en tenue de cérémonie, mirent pied à terre, et leurs traits tirés, leurs mines blafardes confessaient l’émotion qu’ils éprouvaient, les uns et les autres, à se rencontrer à pareille heure et pour cette besogne.

La foule, qui, repoussée par les soldats, était revenue, avait grimpé sur les toits voisins, escaladé les arbres, franchi des clôtures, envahi les maisons riveraines, saluait l’arrivée des voitures d’exclamations satisfaites :

— Le procureur. Tiens, voilà l’aumônier.

— Vous reconnaissez l’avocat ? Le juge d’instruction ?

— Celui-là, c’est un journaliste.

Fantômas hochait la tête, devenu un peu pâle :

— Mon Dieu, songeait-il, maintenant malgré lui étreint d’une secrète anxiété, pourvu que ni Deibler, ni ses aides, n’aient l’idée d’essayer la machine avant d’aller procéder au réveil de ce malheureux Œil-de-Bœuf ? Si jamais ils s’apercevaient que la bascule ne fonctionne pas, tout serait perdu.

Fantômas, lentement, souleva le store qui l’empêchait de voir facilement dans tous ses détails le spectacle sur la place. Or, comme il jetait à nouveau les yeux vers la guillotine, voilà que le bandit se mordit les lèvres, laissa échapper une exclamation de fureur :

— Voilà ce que je craignais. Il est là.

À cet instant, faisant crier le gravier sous les roues, une voiture traversa les lignes de gendarmes, puis les rangs de cavaliers composant le service d’ordre, vint se ranger à quelques pas de la guillotine.

Un homme vêtu de noir, un homme au maintien sévère en descendit, et c’est la vue de ce personnage, qui avait fait blêmir le Maître de l’Effroi.

— Juve, répétait Fantômas. Juve, pourquoi est-il venu ici ? que pense-t-il faire ? Je sais qu’il a tenté, mais vainement d’obtenir du Président de la République la grâce d’Œil-de-Bœuf. Juve ne voudrait pas qu’on le guillotinât ce matin, c’est évident, car il sait qu’Œil-de-Bœuf n’a jamais assassiné l’officier russe. Mais Juve, par devoir, s’il s’aperçoit que la guillotine a été truquée, avertira le bourreau.

Et, dans l’âme de Fantômas, à cet instant, la peur s’installait en maîtresse. Fantômas, en effet, ne pouvait admettre que l’un de ses lieutenants, qu’un de ceux qui l’avaient fidèlement servi, pût être guillotiné. Etrange conscience de ce bandit que n’avait jamais effrayé aucune atrocité et qui tremblait à la pensée de n’avoir pu, lui, le Roi du Crime, lui, le Redoutable, lui, l’Insaisissable, sauver l’un de ses complices.

— Juve est là, se répétait-il, que vient-il faire ?… Juve. C’est ce que je pouvais craindre de plus terrible.

Une pensée, pourtant, calma le bandit.

Juve n’avait pas eu de regard pour la guillotine. Le policier, trop de fois, avait assisté à des exécutions pour éprouver encore la moindre curiosité à l’égard de ce spectacle de sang.

S’il était venu à Quimper, ce n’était pas pour voir tomber la tête d’Œil-de-Bœuf.

Juve, en compagnie du procureur général et du juge d’instruction qui étaient venus lui serrer la main dès sa descente de voiture, faisait le tour du service d’ordre, plongeant des regard curieux dans les rangs de la foule qui se pressait un peu partout.

— Parbleu, songeait Fantômas, Juve se dit qu’au moment où la tête d’Œil-de-Bœuf va tomber, Fantômas ne doit pas être loin. C’est moi qu’il cherche. C’est moi qu’il s’efforce de trouver. C’est moi que Juve voudrait jeter à cette bascule, à ce couperet, à la tombe que l’on creuse en ce moment au cimetière.

Juve, à cet instant, passait au pied de la maison de la mère Kéradeuc. Instinctivement, le policier leva la tête, toisa la façade hostile de la bâtisse. Peut-être son regard s’arrêta-t-il sur le store derrière lequel se tenait Fantômas ? Peut-être un pressentiment le fit-il tressaillir ? Hélas, le policier ne pouvait, au travers de l’étoffe, deviner le bandit en embuscade. Et Fantômas qui, lui, par la déchirure où il collait ses yeux, ne perdait pas un mouvement du policier, se gaussait du policier :

— Cherche bien, Juve, cherche-moi bien, tu ne me tiens pas encore, tu n’es pas encore le triomphateur que tu voudrais être. Fantômas est libre et Fantômas va sauver l’homme que tes pareils s’apprêtent à tuer.

Fantômas était d’ailleurs si dédaigneux de l’enquête, forcément vaine, que tentait en ce moment le Roi des Policiers, qu’il détacha bientôt ses yeux du groupe que formaient Juve et les officiels qui l’accompagnaient, pour regarder encore la guillotine.

Mais, à peine Fantômas eut-il vu la guillotine, presque prête maintenant, qu’il blêmit.

— Mon Dieu, me serais-je donc trompé ? Vais-je donc avoir la douleur… il ne faut pas que cela soit, je ne veux pas que cela soit.

Fantômas tremblait maintenant de tous ses membres, une sueur froide perlait à son front, lui coulait des tempes.

— Il ne faut pas que cela soit. Je ne veux pas qu’on le tue. Je ne veux pas m’être trompé. Une erreur de ma part serait criminelle. Ah, malédiction.

Que venait donc d’apercevoir Fantômas ?

Il lui avait semblé que la machine qu’il avait devant les yeux était plus petite que celle qu’il avait truquée dans le Hangar Rouge. Oui, les bras sanglants étaient moins épais, moins hauts. Oui, le couperet était de dimension plus exiguë. Oui, le bâti même de la guillotine différait par quelques traits essentiels. Et Fantômas, affolé, se demandait :

— Me suis-je donc trompé ? N’ai-je pas truqué la guillotine qui doit servir ce matin ? Était-ce une autre guillotine que celle-ci qui m’a servi à tuer Jean-Marie ?

Et, avec une lucidité effarante, le bandit, qui avait voulu sauver Œil-de-Bœuf, se rappela soudain que Deibler possédait deux guillotines, l’une dont il se servait à Paris, l’autre, de dimensions moindres, qu’il n’utilisait qu’en province, et que c’était la guillotine parisienne que Fantômas avait mise hors d’état. C’était la guillotine des départements qui se dressait lugubre devant lui, à qui, dans quelques minutes, on allait jeter Œil-de-Bœuf, Œil-de-Bœuf, que, désormais, rien ne pouvait plus sauver, qui, devant Fantômas, allait avoir la tête tranchée.

***

Le bandit, derrière le store, était, certes, plus pâle qu’Œil-de-Bœuf, pourtant livide, la chemise échancrée, les cheveux coupés ras, les bras attachés derrière le dos, entre deux gardiens de prison, précédé de l’aumônier, suivi du bourreau et de ses valets.

Il fallait que Fantômas, à cet instant, fit un effort terrible sur lui-même pour ne pas se précipiter sur la place, courir à son lieutenant, l’étreindre, lui demander pardon de sa méprise.

Fantômas se dompta pourtant.

— Il va mourir, se répétait-il. Il va mourir. Nul ne peut le sauver.

Et d’ailleurs, dans le silence angoissé qui soudain pesa aussi bien sur les soldats du service d’ordre que sur la foule juchée partout, s’écrasant dans les ruelles, s’agrippant en grappes aux toits des maisons voisines, le drame se déroula avec l’instantanéité d’un éclair.

La porte de la prison s’était ouverte, Œil-de-Bœuf, le cou instinctivement enfoncé entre les épaules, gardait une attitude de vrai courage. L’aumônier, brusquement, se jeta de côté. Ce mouvement démasquait la guillotine. Œil-de-Bœuf sembla vaciller sur ses jambes, deux aides le prirent sous le bras. On le poussa vers la bascule.

Alors, des lèvres exsangues du misérable qu’on allait tuer, un cri, presque indéchiffrable, s’éleva :

— J’étais innocent. Je n’ai pas tué l’officier russe. Adieu.

Pouvait-il dire plus ?

Deibler, qui marchait derrière le condamné au moment où celui-ci débouchait de la prison, s’était déjà précipité à la droite de la guillotine et, le doigt sur le déclic, il attendait.

Les valets du bourreau alors intervinrent.

L’un d’eux, par les épaules, coucha Œil-de-Bœuf sur la planche de la bascule. Les courroies, que maniait un autre valet, bouclèrent les chevilles, les épaules du malheureux. Un troisième aide se tenait prêt à tirer la tête du condamné par les oreilles afin de l’introduire dans la lunette où, dans quelques secondes, le couperet allait s’abattre avec une foudroyante rapidité.