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Mère Teresa affiche une expression d'élève butée convaincue, quoi qu'il en soit, d'avoir raison.

Pour ma part, je pense que Mère Teresa, ayant toujours vécu parmi les indigents, est tentée de reproduire son ancien environnement afin d'y retrouver ses repères. Les pauvres, elle les a toujours connus. Les riches, c'est beaucoup plus compliqué. La sainte femme s'est trouvée contrainte de s'intéresser aux cours de la Bourse, aux aléas de la mode, aux dîners en ville, aux restaurants en vogue, aux dépressions nerveuses, à l'alcoolisme mondain, à l'adultère, à la thalassothérapie, bref, à tous les tracas des riches.

Mère Teresa écoute les remontrances d'Edmond Wells, réfléchit de mauvais gré et annonce:

— Je devrais peut-être inciter mon président à lancer une campagne de régulation des naissances dans les quartiers défavorisés. Ne faites que les enfants dont vous êtes capables de vous occuper sinon ils sombreront dans la drogue et la délinquance. C'est ça que vous voulez?

— Essayez toujours, soupire Edmond Wells. C'est déjà mieux.

Je trouve que notre instructeur est quand même un pédagogue très patient. À sa manière, il respecte le… libre arbitre des anges.

Raoul étend ses bras vers l'horizon et s'envole. Je le suis.

— Edmond Wells sait ce que sont les 7. Il sait forcément ce qu'il y a au-dessus de nous.

— Il ne nous dira rien, tu as déjà vu ses réactions, dis-je.

— Lui restera toujours bouche cousue. Mais il y a son livre…

— Quel livre?

— Son Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu. Celle-là même qu'il a commencée dans sa vie de mortel et poursuit dans sa vie céleste. Tu sais bien, il nous en cite toujours des extraits. Il y accumule tout son savoir, il y évoque tout ce qu'il a découvert et tout ce qui l'intéresse dans l'univers. Les trois premiers tomes, il les a rédigés sur Terre où les mortels peuvent les consulter. Mais le quatrième, il est en train de l'écrire ici.

— Où veux-tu en venir?

Mon ami fait un looping puis revient planer à mes côtés.

— Edmond Wells tient tellement à répandre sa science qu'il a forcément cherché un moyen de matérialiser son quatrième tome à l'instar des trois précédents.

— Edmond Wells ne dispose plus de crayon, de stylo, de machine à écrire ni d'ordinateur. Il peut accumuler toutes les informations qu'il voudra, elles reste ront à jamais dans l'éther.

Ce ne sont pas là arguments à arrêter Raoul.

— Tu ne le crois quand même pas assez fou pour inscrire les grands secrets du Paradis dans quelque manuscrit matériel dissimulé quelque part sur la Terre?

Raoul reste imperturbable.

— Tu te souviens de ce passage de Y Encyclopédie intitulé «La fin des ésotérismes»? Il y était nettement

dit: «Désormais tous les secrets peuvent être exposés au grand public. Car il nous faut nous rendre à l'évidence: ne comprennent que ceux qui ont envie de comprendre.»

Nous tournoyons au-dessus du Paradis.

— Tous les secrets SAUF celui des 7! On ne peut quand même pas imaginer qu'Edmond Wells ait confié à un humain médium, sur Terre, les arcanes du Paradis pour que celui-ci les retranscrive dans un livre…

Mon ami affiche un air ravi, comme s'il attendait que je prononce ces mots.

— Qui sait?

46. ENCYCLOPEDIE

LA FIN DES ÉSOTÉRISMES: Jadis, ceux qui avaient accès à des connaissances fondamentales sur la nature de l'homme ne pouvaient les révéler d'un coup. Les prophètes s'exprimaient donc par paraboles, métaphores, symboles, allusions, sous-entendus. Ils avaient peur que le savoir ne se disperse trop vite. Ils avaient peur d'être mal compris. Ils créaient des initiations pour trier sur le volet ceux qui étaient dignes d'avoir accès aux informations importantes. Ils créaient des hiérarchies de connaissants.

Ces temps sont révolus. Désormais tous les secrets peuvent être exposés au grand public, car il faut nous rendre à l'évidence: ne comprennent que ceux qui ont envie de comprendre. L'«envie de savoir» est le plus puissant moteur humain.

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome IV.

47. IGOR. 7 ANS

Le monsieur en uniforme était un policier. Il était beau. Il était grand. Il était fort. Il dégageait une odeur de propre. Il m'a pris dans ses bras.

Il a secoué la neige autour de moi et m'a conduit à l'orphelinat le plus proche. Enfin à l'écart du pire danger. Maman. Cela fait maintenant deux ans que j'y suis.

À l'orphelinat, il y a d'autres enfants rejetés par leurs parents. C'est nous les rebuts de la société, les mal-aimés, les pas souhaités, ceux qui n'auraient jamais dû naître.

M'en fiche. Suis vivant.

Ici, ça ressemble à un refuge pour chiens abandonnés sauf que le vétérinaire passe moins souvent et que la pâtée est moins abondante.

Les autres gamins sont nerveux. Heureusement, je suis fort. Quand il y a des problèmes, je ne réfléchis pas, je fonce et je tape. De préférence au ventre de mes adversaires. Je me suis fait une réputation de brute, mais je préfère ça, car au moins je suis craint. D'abord être craint, ensuite devenir copain. Je pige vite que les gens, quand t'es gentil, ils croient que t'es faible. Je ne suis pas gentil. Je ne suis pas faible.

Nous sommes quatre dans le dortoir. Avec moi, il y a les trois «V».

Vania est un petit Ukrainien que son père alcoolique a trop bercé contre le mur.

Vladimir est le gros de la bande. Je ne sais pas comment il s'arrange pour être obèse avec ce qu'on nous donne à manger ici.

Vassili, c'est le silencieux du groupe. Lorsqu'il se décide à parler, c'est toujours pour dire des trucs intéressants, mais il ne parle pas souvent. C'est lui qui nous a appris à jouer au poker.

C'est formidable le poker. En une soirée, on atteint l'apogée du bonheur ou le plus bas du malheur, le tout en accéléré. Lorsque Vassili joue, son visage devient de marbre. Il dit: «Ce qui compte, ce n'est pas de disposer de bonnes ou de mauvaises cartes mais de savoir jouer avec les mauvaises.» Il dit encore: «Ce qui compte, ce n'est pas le jeu que tu as en main mais le jeu que ton adversaire se figure que tu as.» Vassili mâchouille perpétuellement une brindille.

Il nous apprend à envoyer de faux signaux de joie ou de déception afin de mieux tromper les autres sur la qualité de notre jeu. Grâce à lui, je suis à l'école du poker et elle m'apprend beaucoup, je développe un grand talent d'observation. Ça me plaît bien. Le monde est plein de petits détails qui nous fournissent toutes les informations nécessaires.

Vassili dit:

— Certains joueurs professionnels sont tellement forts qu'ils ne regardent même plus leurs cartes. Ainsi ils sont sûrs que leur visage ne les trahira pas.

— Mais alors, comment savent-ils qui a gagné?

— Ils l'apprennent au dernier moment. Lorsque les jeux sont faits, ils retournent leur jeu et découvrent s'ils avaient une bonne ou une mauvaise main.

Vassili, lui, n'a pas été abandonné. Ses. parents ne l'ont pas roué de coups. Lui, il a fugué à l'âge de six ans. La police l'a attrapé mais ils n'ont jamais pu lui faire avouer ni qui il était ni d'où il venait. Alors, comme les flics ont autre chose à faire que de se lancer dans de grandes enquêtes sur les fugueurs, ils l'ont mis avec nous.