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Hier soir, j’ai rêvé que je remportais un concours de beauté. Tout le monde était à mes pieds et disait que j'étais la plus mince et la plus belle. Cela me semble le nouveau but à atteindre. Être sélectionnée au concours de «Miss Univers». Amusant comme expression, «Miss Univers»… Comme si les jurés étaient convaincus que, hors de la planète Terre et de ses humains, il n'y a pas d'autre beauté dans tout le cosmos…

76. IGOR. 16 ANS

Au centre de redressement, j'améliore mon art du poker. Je parviens à décrypter non seulement les physionomies mais aussi les infimes mouvements des mains, des épaules, les petites contractions de l'iris.

J'arrive même sans regarder directement quelqu'un à sentir quand les poils de ses sourcils ont un léger redressement de surprise ou de contentement. Il y a aussi des veines du visage que je sais lire: la tempe ou la jugulaire qui soudain battent plus vite. La pomme d'Adam qui indique un déglutissement. Ce qui me parle le plus ce sont les lèvres.

C'est fou comme ces deux muscles roses trahissent les pensées de mes adversaires. Très peu de joueurs savent maîtriser leur bouche. Pour ma part, j'ai trouvé un truc, je me suis laissé pousser une moustache qui ombre ma bouche. En plus elle dissimule ma gouttière sous le nez qui, un peu trop profonde, a des allures de bec-de-lièvre.

Je joue avec les gardiens. On mise des cigarettes. Ils m'incitent à boire de la vodka car ils se figurent que saoul je serai moins chanceux. Ils ignorent que la vodka, je la connais depuis le ventre de ma mère. Je mime une légère ébriété. Et je gagne encore.

— Au secours!

Je reconnais la voix de Vania. J'accours, abandonnant une quinte flush sur laquelle j'avais misé deux cents cigarettes. Une fois de plus, mon ami s'est fourré dans une situation impossible. Un grand costaud est en train de l'assommer. Comme d'habitude, je sauve mon protégé mais Vania profite que je ceinture l'autre pour s'emparer d'une bouteille et la lui fracasser sur le crâne. L'autre choit lourdement.

Les gardiens arrivent après coup. Le directeur suit quelques minutes plus tard. Il demande qui a commis le méfait. Vania me désigne. Je prends soudain conscience qu'il me déteste. Il me déteste depuis Saint-Pétersbourg et l'orphelinat parce que, depuis toujours, il me doit tout. Il m'a haï davantage chaque fois que je lui suis venu en aide. Incapable de me rembourser ses dettes accumulées, il a basculé dans la haine.

On peut pardonner beaucoup à autrui, sauf de vous avoir aidé.

C'est la deuxième leçon que j'apprends dans ce centre. N'aider que les gens qui sont à même de le supporter sans vous le reprocher par la suite. Et ils ne sont pas nombreux.

Après tout va très vite. Je ne me donne même pas la peine de rétablir la vérité, je sais qu'ils ne me croiront pas. Quand on voit comme Vania est gringalet et comme moi je suis costaud, on devine tout de suite qui des deux est venu à bout de la victime.

Je ne voulais pas rester dans ce centre de redressement. Ça tombe bien. Je suis expédié à l'asile d'aliénés dangereux de Brest-Litovsk.

77. SIBELIUS

La petite salle est tendue de rouge. Avec ses frères, Nathalie Kim assiste à un spectacle d'hypnose. En bons passionnés, ils ont retenu des places au premier rang.

A l'affiche, Sibélius, l'hypnotiseur venu de France. Il apparaît en smoking noir gansé de soie sous le feu des projecteurs et, dès le lever de rideau, il vante les pouvoirs de la suggestion. Il se livre à une petite conférence à tournure scientifique d'où il ressort qu'il suffit d'affirmer ce qu'on veut avec force pour que les gens vous croient. Il assure être à même de convaincre n'importe qui dans l'assistance de se transformer en planche. Il réclame un volontaire pour l'expérience. Un jeune homme en jeans se lève sur le côté, faisant claquer son strapontin.

Rapidement, Sibélius vérifie que son cobaye est sensible à ses sollicitations. «Vous êtes raide, vous êtes tout raide», martèle-t-il avant d'assener: «Vous êtes une planche! Rigide comme une planche, vous ne pouvez plus bouger, vous êtes tétanisé, vous êtes une planche, une planche!» Avec l'aide d'une assistante adolescente guère plus âgée que Nathalie, il installe l'hypnotisé entre deux chaises, tête sur l'une, pieds sur l'autre. Il invite ensuite trois spectateurs à grimper sur le ventre du cobaye, lequel en bonne planche ne plie pas.

Ovations.

Nathalie Kim applaudit à tout rompre. Ce tour est pour elle comme une reconnaissance de son propre travail. Somme toute, avec ses maigres moyens, elle se débrouille aussi bien qu'un professionnel.

Sibélius appelle cette fois cinq volontaires à monter sur scène. Dans ses jupes de mousseline indienne et son caraco pervenche, longs cheveux noirs et raides balayant les épaules, Nathalie est la première à se précipiter.

L'hypnotiseur distribue des bananes à ses hôtes et leur propose de les ouvrir et de les goûter. L'un après l'autre, ils avalent.

— Quel goût a ce fruit? demande-t-il.

— Banane, répondent-ils en chœur.

— Très bien. Je vais vous affirmer maintenant qu'il ne s'agit plus d'une banane mais d'un citron. Un citron, un citron, un citron acide!

Nathalie entreprend d'examiner avec insistance la banane qu'elle tient entre ses mains et Sibélius l'interpelle aussitôt.

— Vous portez de jolies lunettes dorées, mademoiselle. Êtes-vous myope ou presbyte?

— Myope, répond la jeune fille.

— Alors, désolé. Ce tour ne fonctionne pas avec les myopes. Retournez à votre place. Un autre volontaire, s'il vous plaît, et sans lunettes de préférence.

Nathalie retourne vers ses frères:

— Il m'a virée car j'ai détecté la supercherie. Il y a un petit trou dans la peau de la banane. Il a dû y injecter du jus de citron avec une seringue.

Sur la scène, tous les volontaires sont en train d'éplucher leur fruit et d'affirmer à tour de rôle avoir effectivement perçu un goût de citron dans le bas de la banane.

Applaudissements. Nathalie Kim se lève et s'exclame:

— C'est un imposteur! dit-elle, furieuse, et, dominant les clameurs, elle dévoile le stratagème.

Il y a un instant de stupeur dans la salle puis on entend des «remboursez, remboursez». Sous les sifflets et les huées, Sibélius s'empresse de disparaître dans les coulisses. Le rideau retombe tandis que les volontaires regagnent leur place, la mine déconfite.

Nathalie, elle, profite du tohu-bohu pour se faufiler dans la loge où l'artiste, assis devant une coiffeuse, se démaquille déjà en prenant garde à ne pas tacher son costume de scène.

— Quel culot de venir ici! Ah, je ne vous dis pas merci, mademoiselle. Vous m'avez gâché tous mes effets. Sortez immédiatement de ma loge, je vous prie.

Nathalie n'est pas impressionnée.

— Vous discréditez l'hypnose, quel dommage! Sans doute n'avez-vous pas suffisamment confiance en elle mais moi je sais qu'elle fonctionne et que la méthode devrait sortir des spectacles de cirque et des scènes de variétés pour entrer dans les universités et les laboratoires.

— Vous avez raison, dit Sibélius, plus calmement, en continuant à se passer une éponge sur le visage. L'hypnose fonctionne, mais pas à tous les coups. Or moi, je ne peux pas prendre le risque de rater une représentation. Je suis donc contraint de prendre mes «précautions».

— Quelles précautions?

— Puisque vous vous intéressez à l'hypnose, vous savez qu'elle ne marche qu'avec 20 % des gens. Sig-mund Freud s'en était avisé quand il utilisait cette méthode avec ses patients. Pour mes spectacles, je suis donc contraint d'avoir recours à des compères qui entraîneront les vrais volontaires.