Je n'ai pas encore suffisamment fourbi mes armes. Pour être tout à fait sexy, même si le règlement l'interdit, je me suis acheté un Wonderbra afin d'ajouter du volume à mes seins.
Tous les moyens sont bons pour remporter une bataille.
89. ENCYCLOPEDIE
VICTOIRE: La plupart des éducations visent à enseigner la gestion de la défaite. Dans les écoles, les enfants sont avertis qu'ils risquent d'éprouver des difficultés à trouver du travail même s'ils décrochent le baccalauréat. Dans les familles, on s'efforce de les préparer à l'idée que la plupart des mariages débouchent sur des divorces et que la plupart des compagnons de vie s'avéreront décevants.
Les assurances entretiennent le pessimisme général. Leur credo: il y a de fortes chances que vous ayez un accident de voiture, un incendie ou une inondation. Soyez prévoyants, prenez votre police.
Aux optimistes, les informations rappellent matin, midi et soir que nulle part au monde les humains ne sont protégés. Écoutez les prédicateurs: tous annoncent l'Apocalypse, ou la guerre.
Échec mondial, échec local, échec individuel, seuls sont entendus ceux qui parlent de lendemains qui déchantent. Quel augure oserait annoncer que, dans l'avenir, tout ira de mieux en mieux? Et au niveau individuel, qui oserait enseigner à l'école: que faire si vous obtenez l'oscar du meilleur rôle? Comment réagir si vous remportez un tournoi du grand chelem? Que faire si votre petite entreprise s'élargit en une multinationale?
Résultat: quand la victoire arrive, l'individu est dépourvu de repères et, bien souvent, il est si décontenancé qu'il organise vite fait sa défaite afin de se retrouver dans une «normalité» connue.
Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome IV.
90. JACQUES
J'enfile mes charentaises, je me cale dans le fauteuil, je débranche le téléphone, je verrouille la porte à double tour, je pose le chat sur mes genoux, je ferme un instant les yeux pour me concentrer sur un décor et je me prépare à écrire. Dans mon esprit, les personnages s'animent.
91. IGOR
Je les vois, ils sont tout là-haut sur la crête. Les ennemis. J'enfile mes cartouchières, insère mon poignard dans ma chaussure et introduis même ma petite pilule de cyanure dans ma dent creuse. C'est le règle ment. Il paraît que les Tchétchènes sont sadiques, mais ça m'étonnerait rudement qu'ils sachent me faire parler. J'ai le cuir épais. Merci maman, tu m'auras au moins donné ça.
92. VENUS
Zut, je me suis cassé un ongle. Zut! zut! et zut! Pas le temps de réparer avec un faux ongle. On me fait signe que ça va être mon tour. Ne pas paniquer.
93. IGOR
Le signal. Ça y est, ça va être à nous. Stanislas est à ma droite. Pourquoi suis-je si copain avec lui? Parce que c'est le gars chargé du lance-flammes. Si je ne veux pas me prendre par erreur un jet d'essence enflammée, autant rester à côté de lui. Ma volonté de survivre décide désormais de mes amitiés. Mon expérience avec Vania m'a appris à ne pas choisir mes amis pour ce que je peux leur apporter mais pour ce qu'ils peuvent m'apporter, eux. Fini la pitié, seul compte l'intérêt.
J'examine de nouveau à la jumelle notre objectif, la crête.
– Ça ne va pas être du gâteau, dis-je encore à Stanislas.
— Je ne crains rien, répond-il, j'ai un ange gardien qui me protège.
Un ange gardien…
— Ouais. Tous nous en avons un mais beaucoup oublient de l'invoquer lorsqu'ils en ont besoin. Moi, je n'oublie pas. Avant de me lancer à l'attaque, je l'appelle et je me sens protégé.
Il sort un médaillon doré orné d'un ange toutes ailes déployées et y appose les lèvres.
— Saint Stanislas, dit-il.
Moi, sur le médaillon que j’ai au cou, il y a un portrait de mon père mais si je le retrouve, ce ne sera pas pour le bénir.
J'avale une rasade de vodka pour me réchauffer. J'introduis dans mon baladeur une cassette qui donne la pêche. Pas une de ces musiques décadentes occidentales mais une composition classique bien de chez nous qui fleure bon l'âme slave: Une nuit sur le mont Chauve. Ça tombe bien car, là-haut, sur ce mont chauve tchétchène, ça va être leur nuit.
94. TECHNIQUE DE CONTRÔLE DE LA VITESSE
Avec Freddy, Raoul et Marilyn Monroe, nous mettons au point une procédure de navigation dans l'espace adaptée à notre état d'anges. Pour mieux nous entraîner, nous nous éloignons du Paradis et nous nous exerçons un peu au-dessus du système solaire, dans la zone de vide sidéral.
Tester d'abord la propulsion.
Évidemment, dépourvus de corps matériels, nous ne subissons pas de frottement et nous voguons des milliers de fois plus vite qu'une fusée humaine. Mais les distances sont telles que tout cela semble très poussif.
À force d'essais, nous parvenons à des pointes de 1 000 kilomètres-seconde, puis de 5 000 kilomètres-seconde.
— Nous pouvons accélérer encore, dit Freddy.
Je pense donc à une plus grande distance, en projetant mon regard plus loin. Tous nous accélérons. 10 000 kilomètres-seconde, 30 000 kilomètres-seconde, 100 000 kilomètres-seconde.
100 000 kilomètres-seconde! Rien que d'y songer, ça donne le vertige.
Comme toujours, Raoul cherche à renchérir:
— 300 000 kilomètres-seconde, la vitesse de la lumière, c'est ce que nous devons réussir.
— On ne perd rien à essayer, dit Freddy.
Ensemble, nous nous élançons. 100 000, 150 000,
200 000, ça y est: 300 000 kilomètres-seconde! À cette vitesse, nous entrevoyons les particules de lumière, les fameux photons, qui se précipitent à la même allure que nous. Ils nous servent de moyen pour connaître notre vitesse. Quand les photons sont immobiles, c'est que nous sommes pile à la même célérité. J'arrive même à les dépasser un peu!
Tout mon corps n'est que vitesse, fluidité. Je glisse sur le cosmos comme s'il s'agissait d'une table immense, à peine déformée par le poids des étoiles posées dessus.
Ça va vite.
Très vite.
«Vite», l'adjectif est faible pour décrire la sensation. Nous sommes comme des obus traversant l'espace. Ce n'est plus un voyage. Nous ne sommes plus seulement des êtres rapides. Nous sommes des… rayons lumineux.
95. ENCYCLOPEDIE
LE DILEMME DU PRISONNIER: En 1950 Melvin Dresher et Merrill Flood découvrent le dilemme du prisonnier. Voici son énoncé: deux suspects sont arrêtés devant une banque et enfermés dans des cellules séparées. Pour les inciter à avouer leur projet de hold-up, la police leur fait une proposition.
Si aucun des deux ne parle, ils seront condamnés à deux ans de prison chacun. Si l'un dénonce l'autre et que l'autre ne dit rien, celui qui dénonce est libéré, celui qui se tait est condamné à cinq ans de prison.
Si les deux dénoncent leur partenaire, les deux écopent de quatre ans de prison.
Chacun sait que l'autre s'est vu offrir le même marché.
Que se passe-t-il dès lors? Les deux pensent: «Je suis sûr que l'autre va craquer. Il va me dénoncer et je vais en prendre pour cinq ans, alors que lui va être libre, c'est vraiment trop injuste.» Donc les deux auront naturellement la même idée qui leur viendra à l'esprit: «Par contre, si je le dénonce je serai probablement libre et il ne sert à rien que nous soyons punis alors que l'un de nous peut s'en tirer.»