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De fait, confrontés à cette situation, la grande majorité des sujets testés dénonce l'autre. Mais étant donné que leur comparse a aussi raisonné de la même manière, tous les deux se retrouvent avec quatre ans d'incarcération.

Alors que, s'ils avaient réfléchi, ils auraient tous les deux gardé le silence et purgé seulement deux ans de prison.

Encore plus étrange: si l'on refait l'expérience en laissant les deux discuter ensemble, on en arrive pourtant exactement au même comportement. Car les deux, même après avoir mis au point une stratégie commune, finissent pourtant par se trahir mutuellement.

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome IV.

96. JACQUES

Il me manque encore quelque chose pour vivre plus pleinement parmi mes personnages. La musique. Je découvre que pour écrire mieux, la musique peut m'ai-der. Je l'écoute casque sur la tête. Le casque me permet non seulement de mieux percevoir les sons, mais m'isole du monde extérieur où vaquent les bruits «normaux» de cette réalité. La musique devient un support pour ma pensée. Elle rythme mon écriture. Lorsque la musique est hachée, je construis des phrases courtes. Lorsque surviennent de longs solos instrumentaux, mes phrases s'allongent. Pour les scènes paisibles, je choisis de la musique classique, pour les scènes guerrières, du «hard rock» et pour les rêveries, du «New Age».

La musique est un outil délicat à employer. Il suffit de peu pour que son aide se transforme en gêne. Parfois quelques paroles malvenues suffisent à me déconcentrer.

L'expérience m'apprend que les meilleures musiques pour écrire sont les bandes originales des films car elles sont déjà porteuses d'émotion et de suspense. Parfois, lorsque la musique entre en phase avec la scène que je décris, je me sens comme dans un rêve éveillé.

97. VENUS

Les premières mesures d'Ainsi parlait Zarathoustra annoncent la présentation des candidates au titre de Miss Univers. J'ai le trac.

Surtout ne pas trembler, cela se verra. Je me jette sur mon sac et en tire un tube de tranquillisants. Je sais que maman y a souvent recours. Deux comprimés par jour maximum, conseille la notice. J'en avale six. Je suis si nerveuse.

Il faut que j'obtienne le titre de Miss Univers. Il le faut. Me déhanchant à peine, je m'avance vers les projecteurs.

98. IGOR

L'aube se lève. Le ciel est encore rouge foncé. Nous repérons de petites lumières sur la crête, comme des taches de feu dans ce ciel couleur sang. Les cheminées fument. Les moutons sont dans la bergerie. Aux loups de les surprendre.

99. VOL COSMIQUE. LA DIRECTION

La vitesse maîtrisée, nous cherchons à mettre au point un moyen de nous repérer pour nous diriger dans l'espace. Nous avons besoin d'établir une carte tridimensionnelle du cosmos. La tâche est d'autant plus ardue que le cosmos est infini. Et l'infini, c'est difficile à cartographier…

Quelle méthodologie adopter?

Freddy propose de tirer un trait imaginaire sur la surface du Paradis et de déclarer «plancher», le «bas». Tout ce qui se trouve plus au-dessus devient par là même le «haut». Donc, plus on s'éloigne de la Galaxie, plus on «monte». Pour la gauche et la droite, il suffit d'emprunter les règles de la navigation, «tribord» tout ce qui est à droite de notre direction, «bâbord» tout ce qui est à gauche.

— Et comment indiquer les directions intermédiaires?

— Comme les aviateurs, utilisons les graduations des montres, dit Raoul. À une heure, c'est légèrement tribord, à trois heures perpendiculaire à tribord, à neuf heures perpendiculaire à bâbord.

À présent, comme à l'époque de la thanatonautique, nous disposons d'une méthode de contrôle de direction de vol grâce à laquelle nous tenterons de repousser notre nouvelle Terra incognita.

100. JACQUES

Pour mieux visualiser les scènes qui se déroulent dans les égouts et dans les caves, je dessine les lieux. Pour chacune d'elles, j'esquisse les objets qui traînent, les emplacements des personnages, les sources de lumière.

101. VENUS

Je suis sous les feux de la rampe et je sens le regard des spectateurs et des jurés qui me détaillent des orteils aux cheveux. Un type de l'organisation m'a attribué une pancarte avec un numéro. Il m'a expliqué que je dois la brandir bien haut pour que le jury et le public puissent m'identifier. Je lève la pancarte. Je n'ai jamais eu aussi peur de ma vie. J'ai froid.

102. IGOR

Le matin n'en finit pas de se lever. Le ciel est passé de rouge à orange. Les balles sifflent tout autour de nous. Ça mitraille à tout va. Difficile en pleine bataille de se rendre compte de ce qu'il se passe vraiment. Nous, les fantassins sur le terrain, sommes sûrement les moins bien informés de la tournure des événements. Pour juger de l'action, il faut pouvoir disposer d'une vision globale, en hauteur.

Là, nous sommes comme myopes. Nous collons tellement à l'actualité que nous ne la distinguons plus. Le pire, c'est que demain, ce seront encore les Occidentaux qui, avec leurs satellites d'observation, disposeront des meilleures images de nos exploits. Vivement qu'on envahisse leurs pays et qu'on leur pique tout ça.

J'évite de peu une roquette pourtant tirée à bout portant. Ce n'est pas le moment de philosopher.

103. VENUS

J'ai faim. Je joue mon rôle. Petit déhanchement, sourire, trois pas, je m'immobilise. Re-déhanchement, sourire, petit mouvement de tête pour mettre en valeur ma chevelure. Lever un peu le menton. Pourvu que je n'aie pas le front qui brille!

104. VOYAGE COSMIQUE. LE LOSANGE

Une étoile scintille devant. C'est Altaïr. Nous la prenons pour cap.

— Dix heures bâbord avant!

Nous virons tous les quatre bien alignés.

Freddy suggère de mieux harmoniser nos changements de cap. Nous nous serrons davantage jusqu'à former un losange. Raoul en constitue la pointe avant, car il est le plus téméraire. Freddy est à droite, moi à gauche et Marilyn Monroe à l'arrière. Nous tendons les bras comme si nous planions. Cela nous permet de mieux définir une distance entre nous. Nos corps groupés forment un aéronef qui fend l'espace.

— Tribord, deux heures, propose Freddy.

Nous nous dirigeons tous vers la droite, mais avec des angles légèrement différents. Il faut nous réajuster les uns aux autres.

— Bâbord, huit heures.

Un angle plus serré nous amène à faire demi-tour. Cette fois, nous sommes davantage à l'unisson. Changement de décor devant nous avec pour seul guide la constellation du Cygne.

Je comprends soudain les difficultés rencontrées par les patrouilles d'aviation acrobatique pour parvenir à synchroniser leurs mouvements dans le ciel. Or, à la vitesse de la lumière, c'est encore plus compliqué. Annoncer «attention, prêts?» avant le «deux heures» ou «huit heures» nous permet cependant d'appréhender le virage.

— Attention, prêts? Arrière, à six heures, suggère Marilyn Monroe.

Notre losange se retourne comme une crêpe. Mari-lyn ne bouge pas tandis que Raoul accomplit un demi-cercle en hauteur. Nous revoilà face à Altaïr. Nous sommes fiers de nos progrès.