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Grâce au chèque du contrat, j'offre à Gwen, Mona Lisa et moi-même ce dont nous rêvions depuis longtemps: un abonnement au câble. Pour fuir ma fébrilité, je m'installe devant la lumière qui me calme tant. Je capte la chaîne américaine d'informations en continu, dont le présentateur vedette est un certain Chris Petters. C'est un nouveau visage qui tout de suite me met en confiance. Comme s'il était de ma famille.

— Viens, Gwendoline, on va regarder la télé, ça nous videra la tête.

Pas de réponse de la cuisine où je l'entends préparer la gamelle du chat.

Déjà Chris Petters donne les informations du jour. Guerre au Cachemire avec menace atomique. Le nouveau gouvernement pakistanais, issu du dernier putsch militaire, a signalé que, n'ayant plus rien à perdre, il avait bien l'intention de venger l'honneur de tous les Pakistanais en écrasant l'Inde honnie. Nouvelle mode: de plus en plus d'étudiants se font coter en Bourse pour que les actionnaires financent leurs études. Ensuite, ils remboursent au prorata de leur réussite. Amazonie, les U'wa, peuple indigène de la forêt, ont décidé de se suicider si l'on persiste à vouloir pomper du pétrole sur leur territoire sacré. Ils ont déclaré, en effet, que le pétrole était le sang de la terre…

Nouvel assassinat du sérial killer au lacet. Il a tué cette fois la célèbre actrice top model Sophie Donahue. Il s'y est pris de la manière suivante…

— Allez, viens regarder la télé, Gwendoline!

Gwendoline arrive en affichant une moue triste. Elle boude.

— M'en fiche.

— Qu'est-ce qui ne va pas? dis-je en l'installant sur mes genoux et en lui caressant les cheveux comme je le fais avec mon chat.

— Toi, tu es édité. Ce n'est pas à moi que ça arriverait.

142. ENCYCLOPEDIE

MASOCHISME: À l'origine du masochisme, il y a la crainte d'un événement douloureux à venir. L'humain a peur car il ignore quand l'épreuve surgira et de quelle intensité elle sera. Le masochiste a compris qu'un moyen de prévenir cette peur consiste à provoquer lui-même l'événement redouté. Ainsi, il sait au moins quand et comment il arrivera. En suscitant lui-même l'événement pénible, le masochiste s'aperçoit qu'il maîtrise enfin son destin.

Plus le masochiste se fait du mal, moins il a peur de la vie. Car il sait que les autres ne pourront égaler en douleur ce qu'il s'inflige à lui-même. Il n'a plus rien à craindre de qui que ce soit puisqu'il est lui-même son pire ennemi inégalable.

Ce contrôle sur lui-même lui permet ensuite d'autant plus facilement de dominer les autres.

Il n'est donc pas étonnant que nombre de dirigeants et de gens détenteurs de pouvoir aient dans leur vie privée des tendances masochistes plus ou moins assumées.

Il y a cependant un prix à payer. À force de lier la notion de souffrance à la notion de maîtrise de son destin, le masochiste devient anti-hédoniste. Il ne souhaite plus de plaisir pour lui, il reste seulement en quête de nouvelles épreuves de plus en plus âpres et douloureuses. Cela peut devenir comme une drogue.

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome IV.

143. IGOR. 22 ANS

Je manque d'argent? Eh bien, je n'ai qu'à le prendre là où il se trouve. J'entame une carrière de cambrioleur. Qu'ai-je à perdre? Au pire j'atterrirai en prison où je retrouverai probablement beaucoup de mes Loups. Stanislas devient mon associé. Nous utilisons le même matériel qu'à la guerre. Après le lance-flammes, il passe au chalumeau. Aucune serrure, aucun coffre-fort ne lui résiste. Pour cambrioler, il existe une heure magique: quatre heures quinze du matin. À quatre heures quinze, il n'y a pas de voitures dans les rues. Les derniers fêtards sont enfin couchés et les premiers travailleurs ne sont pas encore levés. À quatre heures quinze les grandes avenues sont désertes.

Nous effectuons nos repérages dans la journée et à quatre heures quinze, donc, nous passons à l'action. Comme à la guerre, il faut un plan et une stratégie.

Nous sommes en train de cambrioler une villa particulièrement cossue dans le quartier nord, quand Stanislas brandit un portrait sur un guéridon et me dit:

— Hé, Igor, ce type avec des moustaches en guidon de vélo, ce ne serait pas le même que sur ton médaillon?

Je sursaute. Je compare les photos et reconnais que cela ne laisse point l'ombre d'un doute. Mêmes moustaches. Même allure arrogante. Même regard malin. Nous sommes entrés par effraction dans la maison… de mon père. J'examine les lieux. Je fouille les tiroirs. Je découvre des papiers, des albums de famille qui prouvent que mon géniteur est devenu un homme riche et important, qu'il possède plusieurs maisons, beaucoup d'amis et fréquente les puissants.

Papa a abandonné maman enceinte de moi, mais il n'est pas pour autant dépourvu de progéniture. Il y a plusieurs chambres d'enfants dans la villa!

Saisi de rage, je m'empare du chalumeau et brûle un à un tous les jouets dans les chambres d'enfants. Ils auraient dû être les miens. Ils auraient dû enchanter mon enfance à moi. Je n'en ai pas profité, «les autres» n'en profiteront pas non plus.

Puis je m'effondre dans le canapé, épuisé par tant d'injustice.

— La paix plus les retrouvailles avec mon père, c'est trop!

— Prends ça, bois, ça va passer, ça va passer, dit Stanislas en me tendant une fiasque de whisky américain.

Nous cassons tout dans la maison de mon père, le mobilier, la vaisselle, les objets. Ça lui apprendra que j'existe. Nous buvons encore pour arroser le massacre jusqu'à ce que nous nous écroulions sur des coussins éventrés. Au matin, la police nous réveille et nous conduit droit au poste. Le commissaire qui trône derrière son bureau a l'air tout jeune. Probablement un pistonné. Son visage ne m'est pas inconnu. Vania. Il n'a pas beaucoup changé depuis l'orphelinat. Il se lève et, d'emblée, me déclare qu'il m'en veut beaucoup. C'est le monde à l'envers. Il m'en veut probablement du mal qu'il m'a fait, et que je ne lui ai pas rendu.

— Pardonne-moi, dis-je, comme si je m'adressais à un débile mental.

— Ah, enfin! dit il. C'est ce que j'ai toujours souhaité entendre de ta bouche. Tu m'as fait tellement souffrir, tu sais! J'ai longtemps repensé à toi après que tu as quitté le centre de redressement.

J'ai envie de dire: «Moi, je t'ai vite évacué de mon esprit», mais je me tais.

Il prend un air que je ne lui connaissais pas, un air sournois.

— Je suis sûr que tu es convaincu que c'est moi qui ai mal agi.

Surtout ne pas répondre à la provocation.

— Tu l'as pensé, hein? Avoue?

Si je dis oui, ça va l'énerver, si je dis non aussi. Se taire. C'est le meilleur choix. En effet, il ne sait plus comment me prendre. Dans le doute, il interprète mon silence comme un acquiescement et m'annonce qu'il accepte mes excuses et que, pas rancunier, il est prêt à nous aider dans l'affaire du cambriolage. Il a même suffisamment de pouvoir pour passer l'éponge.

— Mais attention, dit-il, plus question de jouer les cambrioleurs. Pas de récidive, sinon la prochaine fois je serais obligé de t'emprisonner.

Je lui serre la main et me contente d'articuler un merci le plus neutre possible. Ciao.

— Encore une chose, me dit Vania…

— Oui, quoi?…

Je reste immobile et stoïque, espérant que le prix de son indulgence ne va pas augmenter.