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— Non. Ce sont juste des concepts.

— Eh bien même si le chiffre 1, les chiffres 2 ou 3 ne sont, comme tu dis, que des «concepts», ils permettent d'apporter des solutions à beaucoup de problèmes. Qu'importe dans ce cas si on y croit du moment que ça aide…

— Ce n'est pas une réponse.

— C'est pourtant la mienne.

Là-dessus, il me pousse en avant.

— Où me conduisez-vous?

— Sachant que la curiosité est le trait premier de ton caractère, je vais t'apporter un début de réponse à la plus grande question que tu te poses.

Il me mène dans une pièce circulaire avec en son centre une grande sphère lumineuse où s'entassent des sphères plus petites.

— Voici la sphère du destin des anges, annonce-t-il.

Il retourne sa paume et une bulle sort de la sphère pour atterrir sur sa main.

— Voici… ton âme, précise-t-il. Regarde qui tu es vraiment, commande mon instructeur.

Je m'approche. Pour la première fois, je vois distinctement mon âme, boule transparente avec à l'intérieur un noyau brillant. Mon mentor m'enseigne à lire mon âme et à apprendre son histoire depuis la nuit des temps.

Avant d'être réincarné en Michael Pinson, discret pionnier de la thanatonautique, j'ai été médecin à Saint-Pétersbourg de 1850 à 1890. Je me suis beaucoup soucié d'améliorer l'hygiène durant les opérations chirurgicales. J'ai été l'un des premiers praticiens à suggérer de se laver les mains avec des savons désinfectants et de porter des masques pour protéger les patients des postillons. À l'époque, c'était assez nouveau. J'ai enseigné cette hygiène dans les universités et puis je suis mort de tuberculose.

Avant d'être docteur en médecine, j'ai été ballerine à Vienne. Une danseuse très belle, séduisante, aguichante, passionnée par les relations entre hommes et femmes. Je manipulais volontiers mes soupirants. J'ai fait marcher beaucoup d'hommes. Les autres filles de mon corps de ballet me prenaient pour confidente. Je voulais comprendre les leviers de l'amour et percer les mystères de l'inconscient. Je me croyais reine des cœurs et pourtant, finalement, je me suis suicidée par amour pour un bel indifférent.

Au douzième siècle, j'ai été samouraï au Japon. Je me suis exercé aux arts martiaux jusqu'à trouver des gestes parfaits. Je ne réfléchissais pas et ne faisais qu'obéir aveuglément à mon shogun. Je suis mort en duel à la guerre.

Au huitième siècle, j'ai été un druide avide de percer les secrets des plantes. J'ai enseigné à plusieurs disciples comment soigner les maladies avec des herbes et des fleurs. J'ai assisté à une attaque de Barbares de l'Est. J'ai été tellement choqué par la violence des hommes que j'ai préféré me suicider plutôt que de continuer à vivre parmi eux.

Dans l'Egypte antique, j'ai été odalisque dans le harem d'un pharaon. J'errais, sereine, gâtée et désœuvrée, dans les jardins du palais en m'efforçant de soutirer à mon eunuque favori sa science de l'astronomie. Avant de mourir de vieillesse, j’ai transmis mon savoir à une favorite de mes amies.

Autant de vies, autant de volonté d'accroître les connaissances humaines, autant d'échecs.

Edmond Wells me réconforte:

– À travers le temps et l'espace, tu as toujours cherché le moyen de diffuser le savoir. Tu viens enfin de l'entrevoir après tant de vies, tant d'expériences, tant de douleurs et tant d'espoirs.

Il me révèle que la galaxie de la Voie lactée compte douze planètes habitées. Mais pas forcément par des êtres de chair, de type humanoïde.

— La Terre du système solaire est un lieu de villégiature très couru par les âmes car elles y connaissent l'expérience la plus forte: celle de la matière.

— La matière?

— Bien sûr. Même si tu as vu Rouge, il n'y a pas que des planètes où les âmes sont incarnées. L'expérience de la matière n'est pas si répandue que ça! C'est pour cela que tu as dû parcourir tant et tant d'années-lumière pour trouver de la vie. Les âmes, même très évoluées, sont très impressionnées lorsqu'elles goûtent pour la première fois le bonheur d'être dans de la chair et de sentir le monde. Le plaisir des cinq sens est l'une des expériences les plus fortes de l'univers. Ah! sentir un baiser! J'ai même la nostalgie de respirer l'air marin ou de sentir le parfum délicat d'une rose. Enfin…

Il arbore un air un peu triste puis se reprend:

— Mais l'ensemble de l'humanité terrestre est en retard et doit s'élever. On envoie, en conséquence, des âmes des onze autres planètes notées à plus de 500 pour gonfler la population terrienne qui traîne à 333. C 'est par exemple le cas de Nathalie Kim, une âme d'excellence venue de loin.

Edmond Wells pose mon âme sur la pointe de son index et joue avec comme s'il s'agissait d'une balle de jongleur. Puis, tout d'un coup, il a un geste terrible. Il enfonce cette sphère de lumière dans mon poitrail!

204. ENCYCLOPEDIE

LE CHAT DE SCHRÔDINGER: Certains événements ne se produisent que parce qu'ils sont observés. Sans personne pour les voir, ils n'existeraient pas. Tel est le sens de l'expérience dite du «chat de Schrôdin-ger».

Un chat est enfermé dans une boîte hermétique et opaque. Un appareil délivre de manière aléatoire une décharge électrique assez puissante pour le tuer. Mettons-le en marche, puis arrêtons-le. L'appareil a-t-il délivré sa décharge mortelle? Le chat est-il encore en vie?

Pour un physicien classique, le seul moyen de le savoir est d'ouvrir la boîte et de regarder. Pour un physicien quantique, il est acceptable de considérer que le chat est à 50 % mort et à 50 % vivant. Tant que la boîte n'a pas été ouverte, elle contient donc une moitié de chat vivant.

Mais par-delà ce débat sur la physique quan-tique, il est une créature qui sait si le chat est mort ou si le chat est vivant sans avoir à ouvrir la boîte: c'est le chat lui-même.

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome IV.

205. VERS LE MONDE DU DESSUS

Mon âme scintille en moi comme un petit soleil. Est-il possible que je sois rendu à moi-même? Est-il possible que je n'aie plus de marionnettiste? Au début, je ressens cette entrée dans le total libre arbitre comme quelque chose d'affolant. Je comprends que cette liberté que j'ai toujours réclamée, je n'ai jamais été éduqué pour l'assumer et que cela m'arrangeait bien de penser que quelque part en haut d'autres êtres mystérieux plus intelligents que moi s'occupaient de me protéger et de me guider. Mais ce geste terrible d'Edmond Wells me force à m'assumer seul. J'aurais su que c'était cela la récompense des «6» j'aurais peut-être ralenti mon ardeur. Comme cette liberté est effrayante! Comme il est difficile d'accepter qu'on puisse devenir le seul et unique maître de soi-même!

Mais je n'ai pas le temps de réfléchir davantage, mon mentor m'entraîne vers le fond du couloir.

Celui-ci s'achève comme un vase de Klein, en une boucle qui se retourne pour s'enfoncer au flanc d'une bouteille, de sorte qu'en sortant du goulot on revient à l'intérieur. Et je me retrouve au beau milieu du… lac des Conceptions.

— Je ne comprends pas, dis-je.

— Souviens-toi de l'énigme que tu soulevais dans Les Thanatonautes: comment dessiner d'un seul trait un cercle sans lever le stylo? Une simple énigme enfantine a priori. Tu fournissais la solution: plier la pointe de la feuille, l'envers servant de passerelle entre le point et le cercle. Dès lors, il suffit de tracer une spirale. En fait, avec ta petite énigme, tu résolvais la plus grande énigme entre toutes. Pour évoluer, il faut changer de plan.