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En un moment de tous les points de la ville on vole aux remparts. Le roi Latinus lui-même abandonne le conseil et ses grands desseins et, bouleversé par ces tristes événements, les ajourne. Il s’adresse mille reproches pour n’avoir pas accueilli spontanément le Dardanien Énée et ne pas l’avoir associé à la ville en faisant de lui son gendre. Les uns creusent des fossés devant les portes; d’autres transportent des pierres et des pieux. Le rauque buccin donne le signal sanglant de la guerre. Les murs sont couronnés d’une foule confuse de femmes et d’enfants. Tous répondent à l’appel du danger suprême. Vers le temple et la haute citadelle de Pallas la reine monte dans un char, escortée d’un grand cortège de mères. Elle porte des présents; près d’elle, la jeune Lavinia, cause de tant de maux, tient ses beaux yeux baissés. Les femmes entrent au temple, y font des nuages d’encens et du seuil élevé prononcent ces paroles de deuiclass="underline" «Guerrière, arbitre des combats, vierge Tritonienne, brise de ta main les armes du bandit phrygien; étends-le lui-même sur le sol et couche-le sous nos hautes portes.»

Furieux, Turnus se ceint à la hâte pour le combat. Déjà, revêtu d’une cuirasse rutilante, il était hérissé d’écaillés d’airain et ses jambes étaient emprisonnées dans l’or des cuissards; le front encore nu, il avait suspendu son épée à son côté; il descendait à grands pas de la haute citadelle, resplendissant d’or; son cœur exulte; il se croit déjà en présence de l’ennemi. Ainsi, lorsque, ses liens rompus, le cheval enfin libre s’échappe de l’écurie et s’empare de la plaine ouverte; il court, tantôt vers les pâturages et les troupes de cavales, tantôt vers les eaux familières où il aime à se baigner; il bondit, frémissant, la tête dressée haut, dans sa force fougueuse; et sa crinière joue sur son cou et sur ses épaules. Au-devant de lui, suivie de la cavalerie des Volsques, Camille s’avance; elle a sauté de cheval aux portes mêmes; et tous ses cavaliers imitant leur reine se laissent glisser à terre de leurs montures. Alors elle dit: «Turnus, si le courage a le droit de compter sur lui-même, j’oserai, je te le promets, marcher contre l’escadron des Énéades, et seule j’affronterai les cavaliers tyrrhéniens. Accorde-moi de tenter les premiers périls de la guerre; pour toi, reste auprès des murs avec l’infanterie et veille sur les remparts.» Turnus, les yeux fixés sur la vierge avec un frisson sacré, répond: «Honneur de l’Italie, ô vierge, comment te rendre grâces et reconnaître tes services? Mais, puisque ton âme est au-dessus de tout, partage pour l’instant les travaux avec moi. Énée, si j’en crois le bruit qui court et les rapports des éclaireurs, acharné contre nous, a détaché en avant sa cavalerie légère qui doit battre la plaine. Lui-même, par les âpres solitudes de la montagne, dont il franchit la cime, s’approche de la ville. Je lui prépare une embuscade dans un chemin creux de la forêt: des soldats armés occuperont le défilé à la croisée de deux chemins. Toi, reçois le choc de la cavalerie tyrrhénienne en bataille rangée. Tu auras à tes côtés l’impétueux Messape, les escadrons latins, les troupes de Tiburtus: toi aussi, charge-toi des soucis du commandement.» Il dit; et il exhorte par de pareils discours Messape et les chefs alliés et il marche à l’ennemi.

Une vallée aux tortueux détours se prêtait aux surprises et aux pièges de la guerre; des deux côtés les sombres flancs la pressent d’une épaisse forêt: un mince sentier y conduit par une gorge étroite et d’un méchant abord. Au-dessus de cette vallée, sur les sommets et tout au haut de la montagne, s’étend un invisible plateau, poste sûr d’où l’on peut à droite ou à gauche fondre sur l’ennemi, à moins qu’on ne préfère, sans quitter les hauteurs, faire rouler sur lui d’énormes rocs. Le jeune homme s’y porte par des routes dont il sait où elles le mènent. Il s’est emparé de cette position et s’est embusqué dans cette forêt traîtresse.

Cependant, au séjour des dieux du ciel, la fille de Latone appelait la rapide Opis, une des vierges de sa compagnie et de sa troupe sacrée, et lui adressait ces tristes paroles: «Ô vierge, Camille marche à des combats cruels, et elle s’est vainement ceinte de nos armes, Camille, qui m’est chère entre toutes. Et ce n’est pas d’hier que je l’aime, ce n’est pas un subit attrait qui a touché le cœur de Diane. Lorsque Métabus, chassé de son royaume par la haine qu’excitaient son arrogance et sa tyrannie, sortait de la ville antique de Priverne et fuyait à travers les sanglantes mêlées, il emportait, compagne de son exil, sa fille encore toute petite que, du nom de sa mère Casmille, par un léger changement, il nomma Camille. La pressant lui-même contre sa poitrine, il gagnait les longues pentes des bois solitaires. De toutes parts des traits furieux le pressaient, et la cavalerie volsque répandue voltigeait autour de lui. Tout à coup, au milieu de sa fuite, il rencontra l’Amasénus grossi qui roulait à pleins bords ses flots écumants: tant la pluie orageuse s’était précipitée des nuages. Sur le point de s’élancer à la nage, son amour paternel le retient; il tremble pour son cher fardeau. Il agite tous les projets en lui, et soudain, à peine assez tôt, il prend ce parti: au formidable javelot qu’il tenait par hasard dans sa main vigoureuse, à ce rouvre chargé de nœuds et durci à la flamme, le guerrier lie sa fille encerclée d’écorce et de liège sauvage. Il l’attache en équilibre au milieu du trait, et le balançant de son énorme main, il dit en regardant le cieclass="underline" «Fille de Latone, vierge divine, habitante des bois, moi, Métabus, son père, je voue cette enfant à ton service. Pour la première fois, elle tient tes armes et fuit l’ennemi à travers les airs, suppliante. Reçois, je t’en prie, ô déesse, cette enfant qui est tienne et que je confie aujourd’hui aux souffles incertains.» Il dit et, le bras ramené en arrière, il lance le javelot. Les flots mugissent; par-dessus le courant du fleuve, avec le trait strident, fuit la malheureuse Camille. Métabus, qu’une nombreuse troupe d’ennemis serre de plus près, se jette à l’eau et, d’une main victorieuse, arrache du gazon la javeline et l’enfant qu’il consacre à Diane. Aucune ville ne le reçut sous ses toits ni dans ses murs. Il était lui-même trop farouche pour s’avouer vaincu. Il mena la vie des pâtres, et sur des monts solitaires. Là dans les fourrés et parmi les retraites hérissées des bêtes sauvages, il nourrissait sa fille du lait d’une cavale en liberté, dont il pressait la mamelle sur les tendres lèvres de l’enfant. Dès qu’elle eut imprimé sur le sol la trace de ses pas, il lui chargea les mains d’un javelot aigu et suspendit à sa petite épaule un arc et des flèches. Elle n’eut point d’or dans les cheveux ni de longues robes pour la couvrir: la dépouille d’un tigre pendait de sa tête le long de son dos. Déjà sa main délicate savait brandir des traits d’enfant; déjà la courroie lisse faisait tourner la fronde autour de sa tête et abattait la grue du Strymon ou le cygne blanc. Beaucoup de mères, dans les villes tyrrhéniennes, ont vainement souhaité de l’avoir pour bru. Elle se contente de Diane seule; elle a chastement voué un culte éternel à l’amour des armes et à la virginité. Je voudrais qu’elle n’eût pas été prise dans cette guerre ni armée contre les Troyens, elle qui m’est chère, et qu’elle fût maintenant une de mes compagnes. Mais enfin, puisque de cruels destins la pressent, ô nymphe, laisse-toi glisser du ciel, visite les champs du Latium où, sous un sinistre présage, se livre un triste combat. Prends mon arc et mon carquois, tire une flèche vengeresse: et que cette flèche me fasse payer de son sang celui qui, Troyen ou Italien, aura violé d’une blessure ce corps qui m’était consacré. Puis, moi-même, au creux d’un nuage, j’emporterai le corps de la malheureuse avec ses armes dont elle ne sera pas dépouillée et je l’ensevelirai dans la terre de sa patrie.» Elle dit; Opis descend et traverse les airs légers du ciel avec un bruit d’armes, le corps enveloppé d’un noir tourbillon.

Pendant ce temps, la troupe troyenne approche des murs, ainsi que les chefs Étrusques et toute la cavalerie partagée en escadrons égaux. Dans toute la plaine, les chevaux bondissant frappent le sol de leur corne, frémissent et luttent contre les rênes serrées, se rejetant d’un côté et de l’autre. Au loin, des champs de fer se hérissent de lances, et, sous les armes qui se dressent dans l’air, la campagne paraît en feu. De l’autre côté, Messape et les rapides Latins, Coras avec son frère, l’escadron de la vierge Camille, apparaissent, le bras ramené en arrière, la lance en arrêt, et brandissant leurs traits. Le bruit des guerriers qui arrivent, le frémissement des chevaux, tout s’enflamme. Déjà les deux armées se sont avancées à une portée de trait; tout à coup une clameur jaillit; les chevaux deviennent furieux à la voix des cavaliers; de tous côtés en même temps les traits pleuvent aussi pressés que des flocons de neige et le ciel se couvre d’ombre. D’abord Tyrrhénus et l’impétueux Acontée fondent l’un sur l’autre, la lance en avant, et, les premiers, s’entreheurtent et s’écroulent avec un énorme bruit sous le choc de leurs montures qui, poitrails contre poitrails, se fracassent. Désarçonné, Acontée, comme frappé de la foudre ou du projectile d’une machine de guerre, est précipité au loin et répand sa vie dans les airs. Soudain le trouble se met dans les rangs; les Latins en déroute rejettent leurs boucliers sur leur dos et tournent leurs chevaux vers les murs. Les Troyens les poursuivent; Asilas à leur tête conduit leurs escadrons. Déjà ils approchaient des portes; de nouveau les Latins poussent des cris et retournent leurs chevaux à la souple encolure. Les Troyens en fuite se replient à toutes brides. Ainsi l’Océan qui tour à tour s’avance et recule avec sa profonde masse de flots: tantôt il se rue vers la terre, jette par-dessus les rochers son onde écumante et, au bout de sa course, arrose le sable de sa vague ondulée; tantôt il se retire rapidement, bouillonne, engloutit de nouveau les pierres qu’il a roulées, fuit et n’est plus qu’une mince nappe d’eau qui déserte le rivage. Deux fois les Toscans repoussèrent jusqu’à leurs remparts les Rutules en déroute; deux fois rejetés et regardant en arrière, ils se sauvent en se couvrant le dos de leurs armes. Mais, pour la troisième rencontre, on se charge; tous les rangs sont engagés dans la bataille; c’est le corps à corps. Alors les mourants gémissent; les armes, les corps, les chevaux à moitié morts, mêlés au carnage des hommes, roulent dans des flots de sang: le combat est d’une âpreté terrible.