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La quatrième partie du monument, celle qui était orientée vers le temple, était limitée par une route en verre de la même couleur que la pierre du monument. Ici, le quatrième visage du géant était éclairé d’un sourire triste, plein de réconfort et d’étrange triomphe. Avec une tendre prudence, il s’inclinait sur une foule de jeunes gens aux corps sains et beaux tendus vers lui. Le géant semblait aplanir de la main le champ de bras tendus et renversait une coupe énorme sur les visages tournés vers lui avec espérance et joie.

Faï Rodis regagna doucement et prudemment ses appartements isolés du reste du monde. Elle entra en contact avec Evisa par l’entremise du SVP et lui décrivit son nouveau logis. Evisa la brancha sur Vir Norine et Rodis se tranquillisa en voyant que son exil n’avait pas eu de répercussions sur ses compagnons. Apparemment, le mécontentement de Tchoïo Tchagass n’était dirigé que contre elle.

Pour Rodis, seuls comptaient maintenant Tchedi, Evisa et Vir Norine perdus dans la grande capitale. C’était pour Tchedi, que Rodis se faisait le plus de souci. Mêlée à la partie inculte et indisciplinée de la population, Tchedi ne pouvait évaluer toutes les motivations de leurs actes. Mais Evisa la rassura, lui affirmant que Tchedi avait amassé plusieurs observations intéressantes et que tout allait bien. Rodis s’endormit, tranquillisée, dans sa nouvelle habitation, sans prêter attention aux craquements incessants des planches et des poutres.

Seule continua à briller dans la nuit sombre la minuscule lumière du SVP – semblable aux veilleuses d’autrefois. Elle donnerait l’alarme en cas de modification chimique de l’air ou si un hôte indésiré arrivait.

À l’heure convenue, Rodis s’habilla en Tormansienne : pantalon large, blouse en tissu noir uni et chaussures solides. Elle mit un diadème qui lui tenait lieu de lampe et s’allumait automatiquement dans l’obscurité. De la pointe du pied, elle appuya contre le creux du mur.

Avant de s’engager dans le passage béant, elle installa le SVP dans la première pièce et brancha le champ de protection automatique. Une fois son logis à l’abri de toute visite imprévue, Rodis retira la dalle murale.

Tael et l’architecte l’attendaient en bas du premier escalier. Comme d’habitude, les relations commencèrent par un long regard et des paroles saccadées. Pour l’architecte timide et de petite taille, habitué à côtoyer des dignitaires ignorants et un monde grossier, Rodis descendant l’escalier avec son diadème lumineux apparut comme une déesse. Tael se contenta de sourire, en se rappelant son propre émoi lors de sa première rencontre avec Rodis. La descente en zig-zag les amena à une galerie garnie d’arcades qui entouraient la salle centrale à voûte basse. Entre les arcades étaient dissimulés des bancs de pierre dans des niches. L’architecte conduisit ses compagnons dans l’une de ces niches, où se trouvaient une table toute neuve et un cylindre massif portant une double lampe qu’il alluma. Une lumière forte tirant sur le rouge se déversa dans le souterrain. L’architecte recula légèrement, s’inclina et se présenta.

— Gah Dou-Den ou Gahden. Il étala le plan général du souterrain. Rodis fut frappée par les dimensions de celui-ci. Deux étages de passages et de galeries traversaient le sol et partaient dans toutes les directions. Six longues ramifications allaient au-delà du jardin et de la muraille.

— Cette galerie passe sous la statue du Temps – expliqua l’architecte, mais nous l’avons laissée fermée, car c’est un lieu trop fréquenté. La route No 5, à gauche de la galerie, est l’une des plus commodes. Elle se termine dans un vieux pavillon occupé actuellement par des transformateurs électriques à haute tension, auquel nous autres « Cvil » avons librement accès. La route No 4, encore plus pratique, s’enfonce dans l’épaisseur de rochers situés sur une côte menant aux montagnes. Là, se trouve, sur une terrasse, le vieux bâtiment du laboratoire de chimie Zet Oug. La cave du laboratoire conduit à un puits accessible à tous ceux qui sont initiés au secret du temple. Les autres routes aboutissent à des lieux dégagés qui peuvent être découverts si on s’en sert trop souvent, mais qui sont parfaits en cas de fuite.

— Zet Oug, l’un des membres du Conseil des Quatre ? demanda Rodis. J’ignorais que c’était un chimiste.

— Ce n’en est pas un ! dit l’architecte en riant. Chez nous, n’importe quel institut, théâtre ou usine peut avoir le nom d’un des Grands, même si ceux-ci n’ont aucun rapport avec la science, l’art, ou d’ailleurs avec quoi que ce soit, si ce n’est qu’ils sont au pouvoir.

— C’est l’usage, confirma Tael comme pour s’excuser.

— Pourrais-je rencontrer les gens dans cette salle ?

Rodis examina le vaste souterrain.

— Je pense qu’on pourrait facilement être encerclé ici en cas d’attaque. Allons dans le Sanctuaire des Trois Pas. Il se trouve au deuxième étage.

Les souterrains du second étage semblaient encore plus vastes. On voyait, çà et là, un meuble intact de bois noir ou de fonte poreuse, matériau très utilisé sur la planète à cause du manque de métaux purs. Une très fine poussière recouvrait les objets. Sur les murs soigneusement polis, une épaisse pellicule de verre ordinaire protégeait des fresques peintes sur un fond noir éclatant aux couleurs favorites de Tormans : vermeil et jaune canari. La combinaison de ces deux couleurs rendait les dessins plus vulgaires, mais leur donnait en même temps une sauvagerie d’une force primitive. Rodis, ralentissant involontairement le pas, examina avec admiration les œuvres des anciens peintres de Ian-Iah. Tael et Gahden n’accordèrent aucune attention aux fresques murales.

D’après ce que Rodis put en juger, les fresques exprimaient la marche inéluctable de l’homme vers la mort suivant le cours inexorable du temps.

Sur la partie droite de la galerie, le sentiment de la vie se développait lentement, passait des jeux insouciants de l’enfance à l’expérience adulte et s’éteignait au moment de la vieillesse dans une explosion de désespoir lorsqu’il s’agissait d’emprunter le ravin abrupt menant à la mort, symbolisé par une ligne verticale qui coupait tout ce qui l’approchait. Au-delà de cette frontière, il n’y avait que du noir. Sur ce même fond noir, près de la ligne de coupure, s’entassait un groupe de personnes dessinées d’une façon particulièrement suggestive. Ces gens, déformés par l’âge et la maladie, s’appuyaient, serrés, sur des corps entassés, mais dès que quelqu’un effleurait la ligne fatidique, les têtes, les mains, les corps disparaissaient dans les ténèbres comme tranchés d’un coup…

Sur la partie gauche de ce même mur noir, il n’y avait pas de fresques, mais des bas-reliefs, immergés dans une matière vitreuse qui leur donnait un réalisme extraordinaire. Ici, les peintres avaient représenté le passage abrupt de l’adolescence pensive à la jeunesse livrée à ses instincts sexuels, comme si le monde entier se ramenait à une rythmique de jeunes corps dansant avec un érotisme effréné.