— Non. Dans sa bonté infinie et dans sa sagesse, le Grand vous héberge dans les Jardins de Tsoam. Vous serez ses hôtes tout le temps que vous passerez sur la planète Ian-Iah. Nous voici parvenus au but. Aucune voiture ne peut avancer davantage.
Avec une agilité inattendue, le dignitaire le plus âgé ouvrit la portière arrière et descendit sur le miroir uni de la petite place, devant un portail. Il éleva à hauteur de son visage un disque étincelant, puis se faufila dans le passage latéral qui s’était ouvert. Le second « porte-serpent » qui était resté tout le temps silencieux invita, d’un geste, les Terriens à quitter la voiture.
Les astronavigants se groupèrent devant le portail, s’étirèrent et ajustèrent les tubes des biofiltres. Vir Norine et Tchedi Daan restèrent en arrière pour avoir une vue d’ensemble de l’édifice à plusieurs étages qui, avec ses saillies intérieures et ses crêtes formait le portail des Jardins de Tsoam.
— Il y a encore des serpents, ici ! s’exclama Tchedi. Vous avez remarqué : il y en a sur la poitrine des dignitaires et sur les voitures, et maintenant ici, sur les portes du palais du souverain.
— Rien d’étonnant, rétorqua l’astronavigateur. Voyez-vous : ils viennent de la Terre où ce symbole a si souvent existé dans les anciennes civilisations. Ce n’est pas sans raison que le serpent a été choisi comme étant l’attribut de Satan et de la puissance. Il possède un pouvoir hypnotique, il se glisse partout et il est venimeux…
— Je me demande comment ils font pour éviter la poussière avec ces formes architecturales fragiles et compliquées, dit Evisa en s’approchant.
— Ils ne le peuvent que grâce à une main-d’œuvre humaine, mais c’est une occupation dangereuse, répondit Vir Norine.
— Donc, ni les hommes ni la vie n’ont de prix pour eux, conclut Tchedi, peut-être un peu trop rapidement.
Ses paroles furent noyées par un rugissement tonitruant, venu d’une tourelle située au centre du revêtement frontal :
— Je vous salue, étrangers. Entrez sans peur, car vous êtes ici sous la protection du Conseil des Quatre, qui sont les plus hauts élus du peuple de Ian-Iah et sous la protection de moi-même qui suis leur chef…
À la dernière parole, les immenses battants du portail s’écartèrent. Les Terriens sourirent. Les assurances du souverain de Tormans étaient vaines. Aucun d’entre eux ne ressentait l’ombre même d’une crainte. Les astronavigants avancèrent sur les dalles élastiques qui étouffaient le bruit des pas. La route décrivait d’étroits zig-zags, faisant penser aux éclairs dont l’usage avait été longtemps répandu sur la Terre.
— Est-ce qu’on n’insiste pas trop sur l’absence de dangers ? demanda Tchedi avec une nuance à peine perceptible d’impatience.
— Il y a aussi beaucoup trop de détours, ajouta Evisa.
À travers le fourré d’arbres, se dessinaient les lignes imposantes de l’architecture du palais, s’étalant lourdement sur un tapis de fleurs jaunes, dont les inflorescences coniques dressaient brutalement leurs pointes, sans que le vent les fasse osciller.
Les hautes portes avaient la taille de quatre hommes environ et semblaient étroites. Leurs panneaux sombres étaient recouverts de petites pyramides brillantes en métal. Les robots SVP se propulsèrent soudain en avant, tous les sept ensemble, dans un bruit terrifiant et saccadé. Ils s’alignèrent devant les portes, barrant la route aux astronavigants, mais au bout de quelques secondes, ils se calmèrent et s’écartèrent.
Répondant au regard interrogateur de Faï Rodis, Ghen Atal dit :
— Les petites pyramides sur les portes sont sous tension, et il s’avança.
— Oui, mais ils ont déjà coupé le courant, affirma Tor Lik, qui se tenait à l’écart et étudiait l’architecture des Jardins de Tsoam avec une hostilité évidente.
Tout à coup, la haute fente sombre du passage de la porte s’ouvrit sans bruit. Les Terriens pénétrèrent dans une salle d’une hauteur colossale, nettement divisée en deux parties. L’entrée au parquet fait de dalles de glace hexagonales était abaissée de deux mètres par rapport au fond de la salle, qui était recouvert d’un épais tapis d’un jaune foncé. Les rayons du grand astre filtraient à travers les vitres d’un rouge doré, et à cause de cela la partie surélevée de la salle était imprégnée d’un certain éclat féérique. C’est là que, selon un ordre connu, siégeaient quatre personnages immuables : l’un, en avant et au centre, les trois autres, à gauche et légèrement en retrait. Dans la partie basse de la salle régnait une faible lumière, qui, venant du plafond, se frayait un passage parmi les gigantesques serpents métalliques, accrochés aux rebords, leurs gueules aux grands crocs ouvertes au-dessus des visiteurs venus de la Terre. Les dalles de glace renvoyaient des ombres dispersées et confuses, renforçant le trouble anxieux qui envahissait tous ceux qui osaient se trouver confrontés au Conseil des Quatre.
Il était évident que les dirigeants de Tormans avaient été renseignés sur tout ce qui concernait les Terriens. Ils n’exprimèrent aucun étonnement lorsqu’ils virent les drôles de neuf pattes, trottinant à côté des jambes des astronavigants, que le métal rendait brillantes. Obéissant à un signe de Faï Rodis, les sept SVP se mirent en rang sur le sol miroitant et sombre. Les Terriens montèrent tranquillement sur l’estrade par l’escalier latéral et s’arrêtèrent, silencieux et sérieux, ne quittant pas des yeux les dirigeants de la planète. Tchoïo Tchagass se leva sans hâte pour aller à la rencontre de Faï Rodis et tendit la main. Les trois autres firent de même, mais de façon un peu plus empressée. Faï Rodis mit une bonne seconde à se rappeler les formes anciennes de salut sur la Terre, depuis longtemps oubliées. Elle serra la main du dirigeant, comme des milliers d’années auparavant ses ancêtres l’avaient fait, prouvant ainsi l’absence de toute arme et de mauvaise intention. D’ailleurs, il était douteux que les armes fassent défaut ici. À chaque renfoncement de mur, entre les fenêtres étincelantes, une silhouette à peine visible se dissimulait. Tor Lik en décompta une, deux, trois… huit. Elles étaient immobiles. Leurs visages n’exprimaient rien, sauf un qui-vive menaçant. Aucun doute n’était possible. Au moindre signe, ces personnes figées se transformeraient en exécutants machinaux de n’importe quel ordre. Oui, n’importe lequel, cela se reflétait nettement sur leurs visages bornés dont le crâne lisse et basané avait une ossature massive.
L’espiègle Evisa ne put s’empêcher de lancer ses regards les plus charmeurs aux gardiens ; comme ils ne réagissaient pas, elle changea de tactique : son visage exprima une tendre admiration. Cela marcha. Les joues des deux gardes les plus proches s’empourprèrent.
Les Terriens s’assirent dans des fauteuils aux pieds écartés en forme de pattes griffues. Les astronautes regardèrent en silence les motifs compliqués du tapis, tandis que, en face d’eux, les membres du Conseil des Quatre, également assis et silencieux, examinaient leurs invités avec une insistance impolie. Le silence se prolongea. Vir Norine, et Faï Rodis assis près des autres, mais à proximité des dirigeants, purent surprendre leur respiration bruyante, la respiration de ceux qui ne pratiquent ni sport, ni effort physique, ni abstinence ascétique.
Tchoïo Tchagass échangea un regard avec le mince et noueux Ghentlo-Shi, déjà connu des Terriens sous le diminutif de Ghen Shi, Il était responsable de la paix et de la tranquillité sur la planète Tormans. Il tendit le cou et dit avec un léger sifflement :
— Le Conseil des Quatre et le Grand Tchoïo Tchagass lui-même veulent connaître vos souhaits et vos intentions.
Tchedi regarda avec attention le souverain de la planète, ne comprenant pas comment un homme, certainement intelligent, pouvait écouter des sottes flatteries, mais le visage de Tchoïo Tchagass resta impassible.