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Sous ses sourcils arqués, le regard de ses yeux allongés et légèrement bridés était fixe et autoritaire, mais sa grande bouche aux commissures relevées et étroitement serrées, exprimait le mécontentement.

La femme s’arrêta et observa sans façon son invitée. Rodis alla la première à sa rencontre.

— Ne vous méprenez pas – dit-elle à voix basse – vous êtes d’une beauté irréprochable, mais vous ne pouvez être la plus belle, personne ne le peut dans l’univers. Les nuances de la beauté sont d’une variété infinie et c’est ce qui fait la richesse du monde.

L’épouse du souverain cligna ses yeux noisette et étendit la main en un geste majestueux dans lequel on décelait quelque chose de prémédité et d’enfantin. Faï Rodis qui avait déjà assimilé les salutations de Tormans serra avec égard la main fine.

— Comment vous appelez-vous, invitée de la Terre ? demanda la femme d’une voix haut perché et saccadée, comme si elle donnait un ordre.

— Faï Rodis.

— Cela sonne bien, même si nous sommes habitués à une autre combinaison de son. Moi, je suis Iantre Iahah, mon diminutif habituel est Ian-Iah.

— On vous a donné le nom de la planète ! s’écria Rodis. Quel nom bienheureux pour la femme du souverain suprême !

Un sourire méprisant courut sur les lèvres de la femme de Tormans.

— Que croyez-vous ! C’est la planète qui a reçu mon nom.

— Impossible ! Il faudrait changer le nom de la planète à chaque nouvelle souveraine. Quel travail énorme et vain que de changer toutes les appellations dans les textes, quelle confusion dans les livres !

Tchoïo Tchagass intervint :

— À quoi bon se faire du souci pour ça ! Nos gens manquent d’occupation, et on trouvera toujours des volontaires !

Faï Rodis se troubla pour la première fois et resta silencieuse devant le souverain de la planète et sa belle épouse.

Tous les deux interprétèrent son trouble à leur manière, et décidèrent que c’était le moment idéal pour mettre fin à l’audience.

— Un ingénieur vous attend en bas, dans la salle jaune. Il doit vous aider à obtenir les informations. Il devra toujours se trouver ici et surgira à votre premier appel.

— Vous avez dit un ingénieur ? interrogea Rodis. Je comptais sur un historien. En fait, j’ignore les questions de technologie. De plus, chez nous, sur la Terre, l’histoire est la branche la plus importante de la connaissance, la science des sciences.

— Il faut un ingénieur pour s’occuper des informations, c’est comme ça chez nous.

Tchoïo Tchagass eut un sourire indulgent.

— Je vous remercie, dit Rodis en s’inclinant.

— Oh ! nous aurons encore l’occasion de nous rencontrer ! Quand me montrerez-vous les films de la Terre ?

— Quand vous voudrez.

— Bien. Je choisirai le moment et vous en informerai. Ah, oui.

Tchoïo Tchagass hôcha la tête en direction des tentures.

— Faites-leur reprendre leur état normal.

— Vous pouvez donner le signal, ils sont libres.

Tchoïo Tchagass claqua des doigts et, à la seconde même, les deux gardes sortirent de leurs cachettes, la tête basse. Rodis suivit l’un d’eux du corridor jusqu’à la salle couverte de tentures et de tapis noirs. De là, un escalier de pierre noire en deux demi-cercles menait à une salle basse d’un jaune vif. Le garde s’arrêta près de la balustrade et Faï Rodis descendit toute seule, ressentant un étrange soulagement, comme si l’inquiétude quant à l’avenir de l’expédition était restée là-haut dans la salle noire et morose.

Un homme se tenait debout, au milieu de la pièce, sur le tapis jaune. Il était plus pâle que ne le sont généralement les Tormansiens. Une barbe noire, courte et fournie le faisait ressembler à un portrait ancien de l’époque de l’EMD. Un front puissant, des yeux fanatiques et légèrement globuleux sous des sourcils épais, des moustaches noires finement arquées… Comme en transes, l’homme regarda la femme de la Terre qui descendait l’escalier noir, et dont les traits étonnamment réguliers et fermes étaient à demi-cachés par un écran transparent.

Un rayonnement qui n’était pas tout à fait humain émanait de ses grands yeux verts. Sous la ligne des sourcils, son regard semblait refléter un lointain infini connu d’elle seule. Le Tormansien comprit aussitôt qu’elle était la fille d’un monde, qui ne se limitait pas à une seule planète, mais était ouvert aux vastes espaces de l’univers. Surmontant un trouble momentané, l’ingénieur s’avança :

— Je suis Honteel Tollo Frael. Il prononça distinctement son nom composé de trois mots, marque d’un rang inférieur.

— Je suis Faï Rodis.

— Faï Rodis, je suis à vos ordres. Mon nom est compliqué, surtout pour des hôtes étrangers. Appelez-moi simplement Tael, dit l’ingénieur, avec un bon sourire intimidé.

Rodis comprit que c’était le premier homme véritablement bon qu’elle rencontrait sur la planète Ian-Iah.

— Y a-t-il chez vous, comme chez nous sur la Terre, des préfixes accolés au nom qui expriment le respect, l’esprit remarquable, le travail, l’héroïsme ?

— Non, il n’y a rien de tel. On donne à tous le diminutif de « Cvic », Citoyen-à-la-vie-courte ; les savants, les techniciens, les artistes qui ne sont pas sujets à la mort précoce, sont les « Cvil », Citoyens-à-la-vie-longue ; lorsqu’on s’adresse aux dirigeants, on les appelle « grand », « tout-puissant », ou « maître ».

Faï Rodis réfléchit à ce qu’elle venait d’entendre, tandis que l’ingénieur arpentait nerveusement le tapis. Ses chaussures étaient solides et bruyantes à la différence des souliers silencieux et souples des « porte-serpents ».

— Peut-être voulez-vous aller au jardin ? proposa-t-il, un peu hésitant. Nous pourrons ainsi…

— Allons-y, Ta… Tael, dit Rodis, gratifiant l’ingénieur d’un sourire.

Celui-ci pâlit, se retourna et partit en avant. Sortant par la porte-fenêtre, ils descendirent dans le jardin et les allées étroites au tracé analogue aux allées de la Terre.

Faï Rodis regarda autour d’elle, essayant de se rappeler où elle avait vu quelque chose de semblable. Était-ce en Amérique du Sud, dans une de ces écoles du 3e Cycle ?

Des fleurs-disque sans pétale, jaune vif à l’extrémité et violet foncé au centre, oscillaient sur de fines tiges nues au-dessus de l’herbe turquoise et ne faisaient en rien penser à la Terre. Les arbres jaunes en forme d’entonnoirs semblaient bizarres. Autour d’une clairière ovale, d’autres fleurs d’un bleu vif retombaient en grappes d’un buisson, et leur parfum épicé était à peine perceptible à travers le biofiltre. Faï Rodis s’approcha d’un grand banc, dans l’intention de s’asseoir, mais d’un geste énergique, l’ingénieur montra un autre endroit où une tonnelle en forme de couronne aux dentelures émoussées, dominait une petite colline conique.

— Ces fleurs donnent un repos paisible, expliqua-t-il, il suffit de rester là quelques minutes pour se trouver plonger dans une torpeur sans pensées, sans peur et sans souci. Les dirigeants suprêmes aiment à se reposer ici, et des serviteurs viennent les chercher au moment fixé, sinon on pourrait y rester indéfiniment.