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Les membres du Conseil des Quatre, leurs femmes, quelques hauts fonctionnaires et l’ingénieur Tael regardèrent, en retenant leur souffle, se dérouler devant eux les images de la nature et de la vie des gens de la Terre.

Au grand étonnement des Tormansiens, il n’y avait rien de secret ou d’incompréhensible dans tous les domaines de cette merveilleuse demeure de l’humanité : machines géantes, usines automatiques, laboratoires souterrains et sous-marins. Ici, dans des conditions physiques invariables se poursuivait le travail inlassable des machines, remplissant de produits les bâtiments discoïdes des entrepôts souterrains, d’où partaient les voies de transport, également enfouies sous terre. Par contre, sous le ciel bleu s’étendait un vaste espace réservé à l’habitation de l’homme. Les Tormansiens découvrirent des parcs énormes, d’immenses steppes, des rivières et des lacs purs, la blancheur immaculée des montagnes enneigées et la calotte glaciaire au centre de l’Antarctique. Après une longue lutte économique, les villes furent définitivement remplacées par un système de villages en forme d’étoile et de spirale, entre lesquels furent répartis des centres de recherche et d’information, des musées, des maisons de la culture reliées en un réseau harmonieux qui couvrit les zones subtropicales modérées plus adaptées à l’habitat.

Un autre tracé de plans distinguait les jardins des écoles des différents cycles. Ils étaient disposés sur l’axe méridional et offraient aux générations futures du monde communiste des conditions de vie variées.

Au début, les habitants de Ian-Iah trouvèrent les Terriens trop sérieux et trop réfléchis. Leur laconisme, leur aversion pour les traits d’esprit et leur hostilité totale envers toute bouffonnerie, leur travail constant et l’expression retenue de leurs sentiments apparurent comme des traits ennuyeux, privés de contenu véritablement humain aux yeux des Tormansiens bavards, impatients, peu développés du point de vue psychique.

Ce n’est qu’ensuite que les gens de Ian-Iah comprirent que les Terriens étaient pleins d’une gaieté insouciante qui n’était due ni à la légèreté, ni à l’ignorance, mais venait de la conscience de leur propre force et de leur souci vigilant de l’humanité toute entière. La simplicité et la sincérité des Terriens étaient basées sur une conscience très profonde du sentiment de responsabilité envers tout acte et sur la fine harmonie de la personnalité, que les efforts de milliers de générations avaient rendue conforme à la société et à la nature.

Ici, on ne cherchait pas un bonheur aveugle, aussi, les gens n’étaient ni déçus ni versatiles. Il n’existait pas de gens psychologiquement faibles, ressentant vivement une infériorité qui les rendait jaloux et sadiques. Leurs visages vigoureux et réguliers ne reflétaient ni trouble, ni dangers menaçants, ni inquiétude quant à leur propre avenir ou celui de leurs proches, ni solitude de l’homme séparé de ses compagnons.

Les Tormansiens ne virent pas un seul homme accablé d’ennui. Ils s’isolaient lorsqu’ils réfléchissaient, étaient émus ou se reposaient une fois leur travail fini. Mais leur immobilité passagère et leur repos profond étaient prêts à tout instant à faire place à une puissante activité du corps et de la pensée.

Les tableaux animés de la belle Terre éveillèrent une nostalgie aiguë qui ne s’était jamais manifestée auparavant chez le petit groupe de Terriens coupés de leur patrie par le gouffre inimaginable de l’espace. Les Tormansiens essayèrent de repousser l’attraction irrésistible du monde qu’ils venaient de voir, de se convaincre qu’on leur avait montré des scènes particulières. Mais le grand écran et l’échelle planétaire du spectacle témoignaient de la véracité des stéréofilms. Et, se rendant à l’évidence, les habitants de Ian-Iah furent sous l’emprise d’une tristesse presque comparable à celle ressentie par les gens de la Terre. Mais leur tristesse avait une toute autre cause. Cette vision d’une vie féérique avait été montrée ici, au sommet de la colline, dans la forteresse des terribles souverains, dans la demeure de la peur et de la haine réciproques. Comme si on les avait conduit vers les portails largement ouverts du jardin sans rien cacher à leurs yeux avides, mais tout en restant inaccessibles, alors que, plus bas, des milliers de gens entassés se serraient dans la ville du Centre de la Sagesse, dont le nom sonnait de façon ironique sur cette planète poussiéreuse et pauvre.

— C’est peut-être suffisant pour une première fois ? demanda Faï Rodis, en remarquant les visages fatigués des spectateurs.

Tchoïo Tchagass regarda autour de lui. Sa femme, Iantre, serra de toutes ses forces ses mains sur sa poitrine. L’ingénieur Tael leva la tête et essaya discrètement de chasser les larmes qui avaient roulé sur sa barbe fournie. Tchoïo Tchagass vit que Zet Oug aussi était en larmes. Un accès inexplicable de colère l’amena à hausser le ton :

— Oui, c’est assez ! vraiment assez !

Regardant le souverain d’un air perplexe, Faï Rodis coupa la liaison avec l’astronef. Les SVP éteignirent leurs émetteurs et les remirent sous leurs couvercles. Les spectateurs rentrèrent chez eux, tandis que Faï Rodis s’approchait de Tchoïo Tchagass qui lui fit signe de s’arrêter. Lorsqu’ils ne furent plus que tous les deux dans la salle vide, Tchoïo Tchagass prit Rodis par le coude, fit une légère grimace et la lâcha. Rodis se mit à rire.

— Je m’étais habitué à votre visage sans écran et j’ai oublié que tout le reste était métallique. Il me semble parfois que les Terriens sont de simples robots qui ont des têtes de personnes vivantes, plaisanta le souverain, conduisant son invitée dans la pièce aux tentures vertes qu’elle connaissait déjà.

— Peut-être ne sommes-nous réellement que des robots ? demanda Rodis, mettant dans son regard et dans son sourire un peu de coquetterie et de défi féminins.

Tchoïo Tchagass dut tendre toute sa volonté pour ne pas céder à la puissante attirance de la femme de la Terre. Il se retourna, ouvrit une armoire noire et prit quelque chose d’assez semblable à une pipe ancienne. S’installant dans un fauteuil en face de Rodis, il se mit à fumer. Le souverain de la planète examina Faï Rodis à travers la fumée qui sentait fort. Ses petits yeux s’embuèrent du voile de l’oubli. Son silence dura si longtemps que Rodis parla la première :

— Que signifie votre exclamation « vraiment assez ! » ? Vous n’avez pas aimé la Terre ?

— Techniquement, les films sont merveilleux. Nous n’en avons jamais vu de semblables.

— Est-ce vraiment une question de technique ? C’est à notre planète que je pensais.

— Je ne juge pas les contes de fée. Comment puis-je discerner la vérité du mensonge, puisque je ne connais rien de votre planète en dehors de ces images ?

Faï Rodis se leva, s’appuyant à peine au rebord de la table baroque et regarda attentivement Tchoïo Tchagass.

— Maintenant, vous mentez, dit-elle d’un ton égal, évitant de lever ou de baisser le ton comme le font habituellement les Tormansiens. Aidez-moi à vous comprendre. Pourquoi, vous, un homme d’une remarquable intelligence, évitez-vous de parler directement et sincèrement et d’exprimer vos convictions et vos objectifs ? Que craignez-vous ?

L’air froid et arrogant, Tchoïo Tchagass se leva lentement. Faï Rodis ne trembla pas, lorsqu’il s’arrêta auprès d’elle, allongeant le cou et s’appuyant de ses poings serrés sur la table. Leur duel silencieux dura jusqu’à ce que le souverain recule et s’essuie le front avec un mouchoir jaune très fin.

— Nous aurions pu vous anéantir – ricana-t-il avec un sourire méchant et déplacé –, et voilà que je suis obligé de vous rendre des comptes.

— Ce sacrifice vous pèse-t-il tant ? dit Rodis avec une intonation moqueuse non dissimulée. Craignez-vous que le second astronef arrive et que les deux vaisseaux détruisent votre ville, vos palais, vos usines ? Je sais que vous et vos acolytes êtes prêts à accepter calmement la perte de millions d’habitants de Ian-Iah, la destruction du travail de milliers de siècles, la disparition des grandes œuvres du génie humain, pourvu que vous restiez en vie ! N’est-ce pas vrai ? s’écria Rodis d’une voix soudain tranchante.