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— Oui ! reconnut Tchoïo Tchagass en tressaillant. Et que faut-il plaindre ? La canaille, les petites gens sans intérêt avec des sentiments à deux sous ? Le vieux bric-à-brac de l’art suranné gisant en tas inutile dans des dépôts poussiéreux ? Les « Cvil » qui sont de dangereux rêveurs ?

— Mais, enfin, ce sont des gens ! s’écria Rodis.

— Non, encore non !

— Et si vous les aidiez à devenir des gens ? Je ne peux vous comprendre. Aider les autres est ce qu’il y a de plus beau dans la vie, particulièrement, lorsqu’on a la puissance, la force, la possibilité de le faire. Peut-il exister une joie plus grande ? N’y avez-vous vraiment pas pensé, malheureux ?

— Non, c’est vous qui êtes malheureuse ! s’écria le souverain. Le vieux dicton qui dit que pour les femmes, seul le présent et le futur existent, qu’il n’y a pas de passé, est juste. Quelle historienne êtes-vous, si vous ne comprenez pas qu’un océan d’âmes vides s’est répandu sur la planète, buvant, s’empiffrant et l’abîmant dans tous ses coins et recoins.

Faï Rodis s’était déjà calmée.

— Savez-vous que le cerveau de l’homme possède la faculté remarquable de corriger les déformations du monde extérieur ? Non seulement, les déformations visuelles, mais les déformations de la pensée, issues de la déviation des lois de la nature dans une société mal structurée ? Le cerveau lutte contre la distorsion et essaye de la rétablir dans le sens du beau, du bien, de l’apaisement. Je parle, bien entendu, de gens normaux, et non des psychopathes ayant un complexe d’infériorité. Ne savez-vous donc pas que les visages des gens sont toujours beaux de loin, que la vie étrangère, vue superficiellement parait intéressante et significative ? Que la science inconnue semble très importante ? Par conséquent, chaque homme possède en lui des rêves de beauté, qui ont mis des milliers de générations à se former et notre subconscient nous attire plus fortement vers le bien que nous ne le pensons. Comment peut-on parler des gens comme s’ils étaient les déchets de l’histoire ?

— Votre franchise commence à me plaire, dit Tchoïo Tchagass, avec un sourire forcé, mais, continuez.

— Je sais que maintenant vous ne doutez plus de la pureté de nos intentions. Que de fois, vos gens ont tenté de surprendre, ne serait-ce qu’un brin d’hostilité chez l’un d’entre nous, même après la tentative d’attaquer l’astronef ! Et sur votre ordre, car rien ne se fait ici sans un ordre du Conseil des Quatre ?

— Exact, confirma le souverain, cédant à nouveau à l’étrange magnétisme de la femme de la Terre.

— S’il en est ainsi, il s’agit d’une menace illusoire, puisqu’elle viendrait soi-disant de nous. J’ai compris que vous vouliez interdire de montrer au peuple de Ian-Iah la vie sur la Terre. Mais vous agissez obligatoirement selon les convictions dictées par votre vision du monde, par votre système. Nous autres, Terriens, n’avons vu dans votre propagande primitive aucun souci profond de perfectionner votre société ou votre peuple. La conservation de la structure existante n’est nécessaire qu’à une poignée de dirigeants. Dans l’Histoire de la Terre, cela a entraîné la perte de centaines de gouvernements et la mort de millions de personnes. Vous avez vous-mêmes récemment subi une surpopulation catastrophique…

Faï Rodis s’interrompit et regarda, étonnée, les traits altérés du souverain de Tormans. Pour la première fois, Tchoïo Tchagass n’était plus maître de lui.

— Ça suffit ! Je ne veux rien de la Terre ! Je la déteste ! Je déteste la Terre maudite, planète de la souffrance illimitée de mes ancêtres !

— Vos ancêtres ! s’écria Faï Rodis, – sa gorge se serra – son hypothèse était confirmée.

— Oui, oui, les miens et les vôtres. C’est un secret gardé depuis de nombreux siècles, et dont la divulgation est punie de mort.

— Pourquoi ?

— Afin de ne pas donner à rêver du passé, d’un autre monde qui minerait les bases de notre vie. L’homme ne doit pas connaître son passé, chercher sa force en lui. Cela lui donne des certitudes et des idées incompatibles avec la sujétion au souverain. Il faut couper l’histoire de ses racines et commencer au moment où l’arbre de l’humanité a fait son apparition sur Ian-Iah.

Tchoïo Tchagass se leva une minute pour réfléchir, puis se rassit, désignant son fauteuil à Rodis. Il fuma, regardant attentivement le globe de cristal, tandis que l’invitée venue de la Terre, assise, gardait une immobilité de statue. Le silence des appartements du souverain était total. Tchoïo Tchagass coula un regard vers la silhouette éloignée de Rodis, puis, se leva, sa décision prise. Il tira d’un endroit secret, un assortiment d’objets ressemblant à de vieilles clés. À l’aide de l’une d’elles, il ouvrit une petite porte invisible en métal épais, tourna quelque chose à l’intérieur, puis la referma soigneusement.

— Allons, dit-il en rabattant le rideau vert qui cachait un interstice qui tenait lieu de porte.

Faï Rodis le suivit sans hésiter. Tchoïo Tchagass parcourut, tête baissée, sans regarder autour de lui, le long couloir à peine éclairé par la lumière terne des lampes à gaz. Il ne se retourna qu’à la porte de l’ascenseur, pour laisser Rodis entrer dans la cabine. Le grincement de l’appareil peu utilisé se fit entendre. La cabine arriva rapidement en bas. Faï Rodis qui s’attendait, on ne sait pourquoi, à monter, en eut le souffle coupé. Ils descendirent à une relative profondeur et empruntèrent un corridor. Le long de l’un de ses côtés, il y avait des traverses de fer et des rails. Après avoir jeté un coup d’œil alentour, Tchoïo Tchagass amena sa compagne dans un petit wagon sombre et s’installa aux leviers de commande. Il alluma un projecteur de route. Le wagon s’enfonça dans les ténèbres avec un grondement digne des vieilles machines de la Terre.

Rodis, souriant au souverain troublé, se mit à chantonner doucement, s’abandonnant au scintillement hypnotique des signaux bigarrés, brillant à la verticale. Elle remarqua que Tchoïo Tchagass écoutait attentivement et la regardait souvent dans les éclairs fulgurants des luminophores indicateurs.

— Que dit cette chanson ? demanda-t-il abruptement, accélérant davantage la course folle du wagon.

Rodis commença à traduire les paroles dans la langue de Ian-Iah : « Plonger impétueusement et de son plein gré dans un bassin profond et stagnant et chercher à se sauver des fonds boueux… »

— C’est tout ? s’écria Tchoïo Tchagass.

— Qu’attendiez-vous ?

— Quelque chose de belliqueux. C’est une mélodie très vive et très rythmée, dit le souverain en freinant brusquement devant un luminophore carré de couleur violette.

Ils sortirent dans l’obscurité du souterrain. Seules, les petites lignes des indicateurs brillaient faiblement au sol, semblant flotter dans les ténèbres.

Avec précaution, Tchoïo Tchagass prit le bras de Rodis. En s’approchant, il trouva dans un pilier carré une petite trappe qu’il ouvrit. Il prêta l’oreille.

— Il faut s’assurer que l’interrupteur de ma chambre fonctionne, expliqua-t-il à Rodis silencieuse, sinon on pourrait être tué sur-le-champ en essayant d’ouvrir le coffre-fort à porte-relais.

Il ouvrit une autre trappe avec la seconde clé du trousseau, saisit une poignée semblable à une flèche qu’il tira à lui avec force. Une barre argentée se déplaça et, au même instant, les lourdes portes s’ouvrirent toutes grandes avec un grincement aigu. Elles donnaient sur une vaste salle brillamment éclairée. À peine entrés, le souverain appuya sur un bouton et les portes se refermèrent bruyamment.