Выбрать главу

L’Hellade – joyau de la culture ancienne – devenant un pâturage à chèvres au début des Siècles Obscurs ; disparition des civilisations encore plus anciennes des peuples marins de la Crète ; funérailles des rois de l’Égypte ancienne, comme celles du pharaon Djer, dans la tombe duquel ont été tués 587 personnes ou celles des chefs scythes à Kouban et à Pritchernomorie sur les tombes desquels périrent des dizaines de personnes et des centaines de chevaux, imprégnant les restes insignifiants de leur sang et les recouvrant de cadavres ; culture de l’ancienne Russie effacée par les sabots des hordes asiatiques ; massacres épouvantables des aborigènes d’Afrique du Sud envahis par des bandes de guerriers venus du Nord tout cela était déjà connu et n’appelait pas de nouvelles associations. Mais, Rodis n’avait jamais eu l’occasion de voir des documentaires ou des extraits de films sur les dernières périodes de l’EMD. Avec l’augmentation de la population de la planète et l’amélioration de la technique, les massacres massifs prirent un caractère encore plus monstrueux. Immenses camps de concentration – usines de la mort – où la faim, le travail exténuant, les chambres à gaz, les armes spéciales déversant des torrents de balles anéantirent les gens par centaines de milliers, par millions. Ces monceaux de cendres humaines, ces tas de cadavres et d’ossements n’auraient pu être imaginés par les anciens tueurs de l’espèce humaine. Des bombardements atomiques ont détruit en quelques secondes des villes immenses. Autour du centre complètement incendié, où des centaines de milliers de personnes, d’arbres et de constructions ont disparu en un instant, s’étend un cercle d’édifices en ruines entre lesquels se traînent les victimes aveugles et brûlées. Des décombres parviennent les hurlements sans fin d’enfants appelant leurs parents et quémandant de l’eau. Et, à nouveau, défilèrent les scènes de répression massive en alternance avec les batailles où des milliers d’avions, de canons blindés sur terre ou des porte-avions sur mer, s’affrontaient dans d’énormes rafales de métal hurlant et de fer crépitant. Des dizaines de milliers de soldats mal armés s’obstinaient à traverser le gigantesque rideau de feu des tirs à répétition jusqu’à ce qu’une montagne de cadavres comble l’ouvrage fortifié, ce qui rendit les soldats fous et priva l’ennemi de la possibilité de tirer. Bombardement des villes au cours desquels des hommes courageux du passé ont photographié les immeubles en ruines et en flammes. Pilotes d’avions-suicide condamnés à la mort volant à toute allure à travers un rideau de balles, se fracassant sur le pont de navires géants en soulevant des trombes de feu et survolant les gens, les canons, les épaves des machines. Sous-marins surgissant à l’improviste des profondeurs des eaux pour déverser sur leurs ennemis des fusées à charge thermonucléaire.

— Revenez à vous, habitante de la Terre, entendit Faï Rodis.

Elle sursauta et Tchoïo Tchagass éteignit le projecteur.

— Vous ignoriez tout cela ? demanda Tchoïo Tchagass sur un ton ironique.

— Nous n’avons pas conservé autant de films des temps passés, dit-elle, en reprenant ses esprits. Après le départ de vos astronefs, il y a eu encore une grande guerre. Nos ancêtres n’ont pas pensé à enfouir les documents sous terre ou dans la mer et la plupart de ces documents ont disparu.

Tchoïo Tchagass jeta un coup d’œil à sa montre. Rodis se leva.

— Je vous ai pris beaucoup de votre temps. Je vous remercie et m’excuse de vous avoir dérangé.

Le Président du Conseil des Quatre s’arrêta, pensant à quelque chose.

— Je ne peux réellement rester plus longtemps avec vous. Mais si vous voulez…

— Bien sûr !

— Il vous faudra plus d’une journée !

— Je peux rester assez longtemps sans nourriture. Je n’ai besoin que d’un peu d’eau.

— Vous en avez ici. Tchoïo Tchagass ouvrit une autre petite porte avec une troisième clé. Vous voyez le robinet vert ? C’est ma ligne d’approvisionnement en eau, dit-il en riant, buvez sans crainte. Vous serez enfermée, mais je laisserai ouverte l’armoire de signalisation. N’essayez pas de sortir toute seule. C’est truffé de pièges ici. Il vous faudra au moins deux jours pour examiner les matériaux du siècle dernier. Tiendrez-vous le coup ?

Faï Rodis opina de la tête silencieusement.

— Je viendrai moi-même vous voir. Les microbobines et les photocopies des originaux sont dans ces caisses. Bon séjour ! comme on dit chez nous.

Faï Rodis tendit d’un geste amical terrien la main au souverain qui la retint serrée un instant et regarda son invitée au fond de ses yeux brillants « étoilés », si différents de tout ce qu’il avait vu et sur sa planète natale et dans les films anciens de cette Terre que ses ancêtres avaient reniée.

Soudain, cet homme étrange lâcha – ou plutôt repoussa – la main de Rodis et disparut derrière la porte. L’énorme dalle blindée se referma avec un bruit saccadé rappelant le son d’un marteau mécanique.

Rodis fit des exercices de respiration et de concentration pour charger son corps de l’énergie nécessaire au travail qu’elle devait accomplir. Il ne fallait pas seulement regarder, mais conserver le souvenir de ce qu’elle verrait. Il était trop tard pour penser à enregistrer le tout par l’entremise du SVP et il était douteux que le versatile souverain de la planète accepte de renouveler son geste.

En étudiant les bobines, Rodis s’aperçut que Tchoïo Tchagass n’avait montré qu’un seul groupe portant, d’après les hiéroglyphes qu’elle déchiffra, l’inscription : « L’homme à l’égard de l’homme ». Sur les deuxième et troisième caisses étaient marqués « l’homme à l’égard de la nature » et « la nature à l’égard de l’homme ».

Les films appartenant à la caisse « l’homme à l’égard de la nature » montrèrent comment les forêts disparurent de la Terre, les fleuves s’asséchèrent, les sols fertiles – dispersés ou devenus salés – furent anéantis, les lacs et les mers submergés par les déchets industriels et le pétrole furent détruits.

Immenses étendues de terre ravinées par les industries minières, encombrées de terrils ou transformées en marécage par suite de tentatives ratées de retenir l’eau douce après la rupture de l’équilibre du renouvellement en eau des continents. Films accusateurs pris aux mêmes endroits, mais à quelques dizaines d’années d’intervalle. Buissons malingres là où il y avait eu des bosquets de cèdres, de séquoias, d’eucalyptus, d’arbres géants des forêts tropicales très denses à la majestueuse beauté. Arbres silencieux, dépouillés de leurs feuilles, dévorés par les insectes une fois que les oiseaux avaient été exterminés. Champs entiers de cadavres de bêtes sauvages empoisonnées par des produits chimiques utilisés n’importe comment. Et aussi, charbon, pétrole, bois et gaz accumulés pendant les milliards d’années d’existence de la Terre et brûlés par milliards de tonnes, sans souci d’économie. Verre cassé, bouteilles, bouts de fer, plastique non biodégradable accumulés en véritables montagnes. Chaussures usées et entassées par millions de paires, ce qui représente des tas hideux plus hauts que les pyramides égyptiennes.

La caisse de films sur « La nature à l’égard de l’homme » contenait des choses encore plus affreuses. Dans les terribles films des derniers siècles où les forces destructrices de la technique se heurtèrent aux masses énormes de gens, toute individualité humaine fut gommée en dépit d’une souffrance accrue et l’homme se trouva plongé dans un océan de terreur et de peines générales. L’homme – unité intégrale dans la foule en lutte ou condamnée à être détruite – devint d’une importance égale à une balle de revolver ou à un tas de détritus. L’anti-humanité et l’infamie sans fin que constituaient la chute de la civilisation et celle de son échelle de valeurs étouffèrent tellement le psychisme, qu’il n’y eut plus de place pour la compassion individuelle et la compréhension des tourments de l’homme.