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— Qu’est-ce que c’était ? D’où ? demanda Tchedi en poussant un soupir.

— « Adieu à la planète de tristesse et de fureur », 5e période de l’ERM. Les vers sont encore plus anciens, et je soupçonne le poète d’y avoir mis jadis une certaine intention lyrique. Le désir de supprimer totalement la vie malheureuse sur la planète qui a envahi ses descendants a été en partie réalisé lors de la fuite des ancêtres des Tormansiens.

— Et malgré tout cela, notre Terre a connu une renaissance claire et pure.

— Oui, mais cela n’a pas été le cas de l’humanité toute entière. Ici, sur Tormans, tout se répète.

Tchedi se serra contre Faï Rodis comme une fillette cherchant la protection de sa mère.

Chapitre VII

LES YEUX DE LA TERRE

Posée sur la steppe littorale aride et déserte, « La Flamme sombre » faisait penser à un canard sauvage. Le vent avait déjà recouvert d’une couche nervurée de sable fin et de poussière le sol qui avait brûlé autour de l’astronef. Aucune trace d’être vivant ne sillonnait les rides des crêtes. Parfois, par les filtres à air perméables aux sons parvenaient jusqu’aux Terriens les conversations – les vociférations plutôt – des gardes patrouillant alentour et le bruit retentissant des moteurs des voitures.

Les astronavigants comprirent que la garde ne restait pas là pour les protéger des personnes prétendument mal intentionnées, mais bien pour empêcher tout contact entre les Tormansiens et eux-mêmes. Une nuit, le gouvernement tenta de fomenter une attaque contre « La Flamme sombre ». Elle ne prit pas les astronavigants au dépourvu et les appareils de prise de vue nocturne enregistrèrent les détails du « combat ». Le combat n’eut, d’ailleurs, pas lieu. Les « violets », qui s’étaient mis soudain à tirer dans la galerie et à se précipiter dans le souterrain, furent repoussés par le champ de protection et blessés par leurs propres tirs. Manquant d’expérience, Neïa Holly en fit trop et brancha brutalement le champ et à grande puissance. À dater de ce moment, plus personne n’approcha « La Flamme sombre ». Tout homme qui venait là pour la première fois pouvait croire que l’astronef avait été abandonné depuis longtemps.

L’équipage attendit de s’être complètement acclimaté avant de construire une galerie découverte et d’ouvrir les écoutilles du vaisseau permettant d’économiser la réserve d’air terrestre. Div Simbel et Olla rêvèrent d’une excursion en mer, tandis que Grif Rift et Sol Saïn pensèrent avant tout à établir un contact avec la population de Tormans. Ils essayèrent – mais ce fut difficile – de comprendre la vie de la planète si proche d’eux par son peule, mais si éloignée par son histoire, sa structure sociale, son mode de vie et ses buts ignorés… L’attente patiente était l’une des qualités essentielles de l’éducation terrienne, aussi aurait-elle été supportée aisément sans l’anxiété constante qu’ils éprouvaient pour leurs sept camarades, plongés dans la vie de la planète étrangère et soumis au bon vouloir de lois inconnues. À tout instant, les astronavigants devaient être prêts à aider leurs camarades.

Tous les canaux de liaison furent réduits à deux : le segment 46 dans l’Hémisphère de Queue et un double canal dirigé sur la ville du Centre de la Sagesse. On les plaça au-dessus de la planète à la hauteur de la couche de réflexion transatmosphérique d’où ils se propagèrent en cascade, couvrant la grande aire en forme de cratère. Dans la coupole de « La Flamme sombre », les émetteurs du canal principal ressemblaient à des yeux. Ils brillaient d’un bleu vitreux le jour et d’une flamme jaune la nuit. Ces yeux vigilants effrayèrent les Tormansiens. Au cœur du vaisseau, à l’intérieur de la cabine sphéroïdale de pilotage, se tenait en permanence une personne chargée de suivre les sept petites lumières vertes situées sur la bande supérieure du tableau de bord incliné. Les hommes prenaient généralement les gardes de nuit selon l’ancienne tradition spécifique à ce sexe d’organiser des veillées nocturnes, tradition qui s’est perpétuée depuis ces temps immémoriaux où dès la tombée de la nuit, de dangereuses bêtes de proie erraient près des habitations ou des campements.

Les semaines s’écoulèrent. Les entrevues régulières avec les camarades par TVP adoucissaient la rigueur de la séparation et des dangers. Div Simbel proposa même de reconvertir les indicateurs optiques en alarme sonore et de se passer de l’homme de quart près du tableau de bord. Grif Rift refusa ce perfectionnement illusoire.

— Nous n’avons pas le droit de priver nos camarades de nos pensées pleines de sollicitude. Grâce à elles, ils se sentent soutenus et gardent un lien avec cette parcelle du monde terrestre, dit le commandant de l’astronef en enveloppant le vaisseau d’un geste large et fier. Là-bas, sur la Terre, chacun d’entre nous se trouvait dans un champ psychique de tendre attention et de prévenances. Ici, tout est toujours étrange, incohérent et mauvais. Nous n’avons encore jamais été aussi isolés, mais la solitude morale est encore pire que l’éloignement de son monde familier. C’est très éprouvant lors d’épreuves difficiles.

Un soir, Grif Rift s’assit devant le tableau des signaux personnels, posa ses coudes sur le bureau laqué et appuya sa tête lourde sur ses poings. Sol Saïn apparut derrière lui sans bruit et sans hâte.

— Qu’avez-vous à flâner, Sol ? demanda Rift sans se retourner. Quelque chose ne va pas ?

— Je suis comme un coureur qui donne tout ce qu’il peut et s’arrête bien avant le finish. Il est difficile de supporter cette inaction forcée.

— N’êtes-vous pas chargé de réunir les informations ?

— C’est dérisoire. Nous n’avons pas réussi à obtenir grand chose de valable. Le malheur est que les Tormansiens ne collaborent pas avec nous et qu’ils nous gênent même parfois.

— Attendez encore un peu. Nous allons entrer en liaison avec les gens et non avec les institutions en place.

— Pourvu que cela arrive vite ! On a tellement envie de les aider. Et plus encore de réussir. Mais pour le moment, c’est tout juste si on n’a pas envie de fumer un narcotique léger.

— Que dites-vous là, Sol ?

— Peut-être est-ce inévitable dans les conditions où nous sommes ?

— À quoi pensez-vous, Sol ?

— À l’impuissance. Le mur le plus transparent d’entre tous, le mur psychologique qui nous entoure, est impossible à traverser.

— Pourquoi est-ce impossible ? À votre place, j’aurais utilisé vos connaissances et votre talent de constructeur pour préparer des instruments très importants pour les habitants de Tormans. Ils en ont vraiment besoin.

— Et lequel serait le plus important, d’après vous ?

— Un indicateur d’hostilité et des armes, miniaturisés à l’extrême de la taille d’un bouton, d’une petite agrafe ou d’une boucle d’oreille ?

— Des armes ?

— Oui. De la bombe UBT aux perceurs de rayons.

— L’UBT ? Et vous pouvez penser à une arme de ce genre et trouver immoral mon désir passager de fumer ? Combien de vies a ôté, il y a deux mille ans, l’UBT chez nous et dans les autres planètes !

— Et combien en a-t-elle sauvé en détruisant les hordes de tueurs !

— Je ne peux admettre que vous ayez raison. Cela a été indispensable autrefois et nous ne l’avons appris que par les livres. Je ne peux…

Sol Saïn se tut en voyant le commandant se redresser brusquement.

L’œil vert supérieur gauche s’éteignit, clignota deux fois, puis reprit sa couleur normale. Le visage contracté de Grif Rift se détendit, ses grands poings qui s’étaient instinctivement serrés se relâchèrent. Sol Saïn poussa un soupir de soulagement. Tous les deux restèrent silencieux un long moment.