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Plusieurs ouvrages d’art descendirent de plus en plus profondément au cœur de la Terre. Des machines hydrothermales auto-régénératrices remplacèrent les mines épuisées de jadis et furent reliées aux courants sous-corticaux du manteau de la Terre, dans les zones de séparation des eaux juvéniles ; ces mêmes sources hydrothermales jaillissant à la surface furent utilisées pour les installations énergétiques et le chauffage.

Mais ce qui étonna le plus les Tormansiens fut la très grande diffusion des arts. Tout homme pratiquait un genre artistique qu’il changeait au cours des différentes époques de sa vie. La facilité d’utiliser les informations correspondait à la possibilité de voir n’importe quel tableau, n’importe quelle sculpture, d’obtenir les enregistrements électroniques de n’importe quelle œuvre musicale, de n’importe quel livre. Les innombrables Maisons de l’Astrographie, du Livre, de la Musique, de la Danse étaient, au fond, des palais où tous ceux qui le souhaitaient, pouvaient dans le calme et le confort jouir du spectacle du Cosmos, de ses planètes peuplées et de toute la richesse inépuisable de la créativité humaine accumulée pendant des milliers d’armées d’histoire. En vérité, un nombre inimaginable d’œuvres d’art avaient été réalisées pendant les deux mille années écoulées depuis l’époque de l’ERM – Ère de Réunification Mondiale !

Les Tormansiens virent des écoles, remplies d’enfants heureux et vigoureux, des fêtes merveilleuses où tous semblaient également jeunes et infatigables. Les habitants de Ian-Iah ne furent pas étonnés par le système d’éducation. Ils furent bien plus frappés par le fait qu’il n’y avait ni gardes ni personnalités influentes vivant à l’écart du monde dans des palais et des jardins protégés. Sur les milliers de visages qui défilèrent devant les Tormansiens, pas une fois ils ne lurent une expression de peur ou de circonspection égocentrique, même si la prudence et l’angoisse apparaissaient sur les visages des médecins-éducateurs et des entraîneurs sportifs. Les spectateurs furent frappés par l’absence de bruit, de musique et de paroles bruyantes, de fracas et de fumée de voitures dans les villes de la Terre ; ils furent étonnés par les rues et les routes semblables à de calmes allées, où personne n’osait déranger l’autre. Musique, chants, danses, allégresse, parfois jeux espiègles acharnés avaient lieu dans des emplacements spécialement conçus pour cela, sur terre, sur mer et dans les airs.

Les gens gais ne se mêlaient pas aux gens moroses, les enfants aux parents. Un autre trait de la vie sur Terre appela l’incrédulité. Les demeures particulières des gens de la Terre, meublées simplement, donnèrent aux habitants de Ian-Iah une impression de pauvreté, et semblèrent à moitié vides.

— Pourquoi devons-nous avoir autre chose que l’indispensable ? répondait Olla Dez à l’inévitable question. Si nous pouvons, à n’importe quel moment, utiliser tout le superflu des demeures communes ?

Effectivement, les habitants de la Terre travaillaient, réfléchissaient, se reposaient et s’amusaient dans de grands ensembles confortables, entourés de jardins, comprenant des chambres et des salles bien meublées : palais et temples de l’art ou de la science. Les amateurs d’antiquité appréciaient les maisons sévères aux murs épais, aux fenêtres étroites et à l’ameublement massif et volumineux. Les autres, au contraire, construisaient des jardins suspendus au soleil et à tous les vents, donnant sur la mer ou accrochés aux pentes des montagnes à une hauteur vertigineuse.

— Mais, disaient les Tormansiens, chez nous, les établissements publics, les parcs et les palais sont très bruyants et pleins de monde. Ils ne peuvent rester propres à cause de la multitude des visiteurs, ni conserver la délicatesse de leur décoration. C’est pourquoi nos appartements particuliers ressemblent à des forteresses. Nous nous y cachons du monde extérieur et nous y cachons tout ce qui nous est particulièrement cher.

— Il est difficile de comprendre d’emblée en quoi consiste la différence, dit Olla Dez. Apparemment, vous aimez le bruit, la cohue, les concours de foule.

— Non, nous haïssons cela, comme la plupart de gens qui ont un travail intellectuel. Mais inévitablement, chaque belle place, chaque Palais de Repos nouvellement construit se retrouve bondé.

— Je crois avoir compris, dit Sol Saïn, Vos ressources ne correspondent pas à la masse de la population. Vous manquez donc d’édifices publics pour le repos et les distractions.

— Et chez vous, il y en a assez ?

— C’est le premier problème du Conseil d’Économie. La base d’une vie confortable et d’une stabilisation des ressources de la planète ne peut exister que si le chiffre de la population correspond à celui des possibilités économiques.

— Mais comment y parvenez-vous ? Par la régulation des naissances ?

— Par cela aussi, et en prévoyant toutes les éventualités, les fluctuations des succès et des échecs, les cycles cosmiques. L’homme doit connaître tout cela, sinon à quoi sert d’être un homme ? Le seul but essentiel de toutes les sciences est le bonheur de l’humanité.

— Et sur quoi est bâti votre bonheur ?

— En partie sur une vie confortable, tranquille et libre, mais surtout sur une autodiscipline très sévère, sur une insatisfaction constante, sur le désir d’embellir la vie, d’élargir la connaissance, de reculer les limites du monde.

— Mais tout se contredit !

— Au contraire, c’est une unité dialectique, et c’est ce qui permet, par conséquent, le développement !

Des conversations de ce genre accompagnaient chaque démonstration de stéréofilms et se transformaient parfois en cours ou en discussions agitées. Les Tormansiens ne différaient pas des Terriens par la tournure de leur esprit. Ils avaient une préhistoire commune. C’est pourquoi la vie terrestre actuelle leur était accessible dans ses traits généraux. Même l’art de la Terre fut accepté aisément par les habitants de Ian-Iah. En ce qui concerne la science, ce fut plus difficile. Les Terriens étaient déjà trop avancés dans la compréhension des plus fines structures du monde.

Les stéréofilms du Grand Anneau furent accueillis avec encore plus de réticences : êtres étranges, parfois semblables aux Terriens, dont les paroles, les mœurs, les distractions, les constructions, les voitures étaient incompréhensibles ; absence apparente d’habitants sur les planètes proches du Centre de la Galaxie où, sous des voûtes longues de plusieurs kilomètres, des disques transparents émettant une lumière bleue se figeaient ou effectuaient de lentes rotations. Dans d’autres mondes, on rencontrait des formes pseudo-stellaires bordées de milliers de globes d’un mauve éblouissant orientées verticalement. Les Tormansiens furent aussi intrigués par ceci : des machines, qui condensaient une forme quelconque d’énergie ou qui incarnaient la mentalité d’êtres pensants, désiraient rester indéchiffrables même pour les récepteurs du Grand Anneau.

Les planètes des soleils infra-rouges semblèrent tout à fait sinistres. Elles étaient peuplées d’une vie supérieure et faisaient partie de l’Anneau. Les enregistrements avaient été faits avant l’introduction des inverseurs d’ondes, inventés sur la planète de l’étoile Bêta et permettant de voir, dans n’importe quelle condition, l’éclairage de l’univers de Shakti. Les contours à peine définis d’immeubles gigantesques, de monuments, d’arcades noircissaient mystérieusement sous les étoiles et le mouvement des populations nombreuses semblait terrible. Une musique belle et indicible se répandait dans les ténèbres et une mer invisible clapotait avec le même bruit hexamétrique que sur la Terre et la planète Ian-Iah.