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— J’ai vu mes amis. Ils m’ont incité à venir vous voir. Après la projection des films de votre – de notre, corrigea-t-il –, histoire, ils ne pensent qu’au moyen de rendre la vie semblable à celle de la Terre. Avant de nous quitter pour la Terre lointaine, vous devez nous laisser une arme.

— L’arme sans la connaissance n’apporte que du mal. Sans but clair, bien-fondé, contrôlé, vous ne créerez qu’une anarchie temporaire, qui ne pourra être suivie que d’une tyrannie encore pire.

— Que faire alors ?

— Selon la loi dialectique du double aspect, le régime oligarchique est à la fois très solide et très fragile. Il faut étudier ses points cruciaux de fixation afin de les atteindre systématiquement et de permettre l’écroulement de l’édifice tout entier qui ne tient que par la peur et dont le monolithisme n’est qu’apparent. Par conséquent, partant du niveau le plus bas et allant jusqu’en haut, il ne vous faut pour détruire l’oligarchie que quelques personnes courageuses, audacieuses, intelligentes et pour édifier une véritable société, il vous faut beaucoup de gens tout simplement bons.

— C’est pour cela que vous insistez sur la préparation du peuple ? demanda Tael.

— Le paradoxe dialectique réside dans le fait que pour édifier une société communiste, le développement de l’individualité est indispensable, mais non l’individualisme de chacun. Des conflits spirituels, des déceptions, le désir d’améliorer le monde doivent exister. La frontière entre le « moi » et la société doit se maintenir. Si elle s’efface, on obtient une foule – une masse adaptée – qui s’éloigne d’autant plus du progrès que son adaptation est plus grande. Rappelez-vous toujours que le présent n’existe pas, qu’il n’y a que le processus de passage du futur au passé. Ce processus ne doit pas être retenu et encore moins stoppé. Si votre oligarchie a freiné le développement de la société de Ian-Iah dans son chemin véritable vers le communisme, c’est surtout parce que vous avez aidé l’oligarchie à renforcer son pouvoir. Malgré les honneurs, les privilèges, la corruption, vos savants ne doivent pas devenir des assassins. Rappelez-vous que votre système social est basé sur l’asservissement et la terreur. Tout perfectionnement de ces méthodes se retournera contre vous.

» Le malheur est que les « Cvic » vous traitent d’assassins et ils ont raison, quoique le fait d’attiser les erreurs réciproques soit un procédé éprouvé de l’oligarchie.

— Vous ignorez jusqu’à quel point les gens sont dégoûtés, dit Tael avec insistance. Je pense à la démagogie qui prétend que tous les gens sont égaux et qu’il suffit de les traiter en conséquence, de les élever (de la même manière) pour que nous ayons une unité de pensées et d’aptitudes. C’est en réalité le contraire qui s’est produit : l’inégalité de fait a engendré une jalousie personnelle, la jalousie a engendré un complexe d’infériorité qui a fait perdre toute conscience de classe, le but et le sens de la lutte contre le système, « Cvic » contre nous, nous contre eux, et c’est ainsi que, des siècles durant, le système est resté intact. C’est une intoxication générale de haine et d’incompréhension profondes.

— Est-ce vous, Tael, qui dites cela ? Commencez-vous à être las ? Et l’exemple de la Terre ? Seuls, des efforts sérieux et prolongés transformeront le cercle vicieux de l’inferno en une spirale se déroulant indéfiniment. Nous sommes maintenant arrivés à ce par quoi nous avons commencé.

— Non, pas encore. Vous êtes d’accord avec les « Cvic » pour nous accuser ?

— Oui, Tael. Dans une oligarchie capitaliste, plus une classe ou une autre, un groupe ou une couche intermédiaire, se trouve haut placé dans l’échelle hiérarchique, plus on y rencontre de crimes, directs ou indirects, potentiels ou réels. Il existe différentes catégories de criminels : ceux qui sont conscients et ceux qui ne le sont pas. Les uns agissent sur ordre des souverains, les autres par ignorance, dans le cas d’un poste d’intérêt capital occupé par un homme obscur et illettré. Les « Cvil » sont, pour la plupart, des gens compétents et ce sont généralement des intellectuels, même s’il y a parmi eux un petit nombre d’ignorants et d’obscurs. En devenant des criminels, ils sont deux fois coupables. Le crime revêt différents aspects : on tue lorsque le travail accompli et les conditions dans lequel il a été effectué ne correspondent pas. Les déchets des usines et les produits de lessive chimiques empoisonnent les fleuves et les nappes d’eau souterraines ; les médicaments défectueux et fabriqués à la hâte, les insecticides, une nourriture moins chère mais frelatée sont aussi des poisons. On tue en détruisant la nature sans laquelle l’homme ne peut vivre, on tue en construisant des villes et des usines dans des lieux où il est dangereux d’habiter, ou dans des climats qui ne conviennent pas. Le bruit que rien ni personne ne limite, les écoles et les hôpitaux mal outillés tuent également. Enfin, une direction incompétente, provoquant une série de malheurs personnels qui conduisent au large spectre des maladies nerveuses, peut être cause de mort. De tout cela, les « Cvil » – savants et techniciens – sont les premiers responsables, car qui, sinon eux, analysent les causes qui entraînent des conséquences meurtrières. Et les cas où les « Cvil » agissent en véritables meurtriers en armant les forces de sécurité destinées à tuer les dissidents ? Lorsqu’on perfectionne la torture et la répression psychologique, lorsqu’on fabrique les instruments d’une tuerie massive ? Selon les lois du Grand Anneau, ces hommes sont passibles de peines allant de la suppression de toute occupation scientifique à l’exil dans des planètes sauvages.

L’ingénieur Tael se tenait immobile devant Rodis. Il eut à nouveau cette expression d’enfant perdu, qu’elle connaissait bien. Faï Rodis compris qu’il fallait relever le moral non entraîné du Tormansien et de ses amis.

— Vous n’avez besoin que de l’appareil indispensable pour déceler les filatures, les enquêtes, les violences. Il s’agit de l’IMC – l’Incubateur de pulsation de la Mémoire Courte. On en a fabriqué quelques dizaines sur le vaisseau, mais vous ne pourrez vous en servir que lorsque vous en aurez fabriqué des centaines de milliers d’exemplaires.

— Je ne saisis pas le sens de l’IMC, dit Tael d’un ton las.

— Vous savez qu’il existe deux genres de mémoire ? Ils dirigent dans le cerveau les différents systèmes des mécanismes moléculaires. Si l’on prive l’homme de la mémoire longue, il devient idiot. Mais si on lui ôte la mémoire courte, c’est-à-dire si on supprime les informations récentes et les clichés psychiques qui lui ont été inculqués, on neutralise l’ennemi le plus dangereux, tout en lui laissant la possibilité de continuer toute activité.

— Même son ancienne activité ?

— Même elle. Mais il doit recommencer à zéro et il en est de même pour ses maîtres.

— Mais c’est merveilleux ! Si cet appareil n’est pas grand…

— Il est miniaturisé et est à peine plus grand que l’ornement que l’on portait autrefois aux doigts. Il faut y ajouter un minuscule dissecteur ADP, qui permet de reconnaître le psychisme de l’homme.

Tombant à genoux, Tael prit brusquement la main de Faï Rodis, et posa ses lèvres sur le bout des doigts de Rodis qui sursauta et pensa que ce geste d’adoration suranné n’était pas aussi désagréable qu’elle se le serait imaginé autrefois.

Chapitre VIII

LES TROIS SPHÈRES DE LA MORT

Le bateau à deux flotteurs en forme de cigare, glissait sur la surface de l’eau. Le golfe allongé de l’Océan Équatorial ne portait pas en vain le nom de Mer de Miroir. Située dans la zone de calme atmosphère, proche du pôle de Queue, la mer ne connaissait pratiquement pas de tempêtes. Comme aucun fleuve important ne se jetait dans ses eaux, elles avaient gardé leur pureté originelle, sombres en profondeur et d’un scintillement aveuglant sous les rayons rouges de l’astre de Tormans.