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Ghen Atal aimait le jeu des couleurs sur la poupe, tandis que Tivissa Henako et Tor Lik admiraient la pureté extraordinaire de la mer. Deux Tormansiens, en uniforme violet, étaient assis dans l’avancée en trièdre, aux leviers de commande. Ils regardaient sans cesse devant eux et échangeaient de loin en loin des exclamations laconiques.

Ils avaient mis le cap sur une montagne escarpée en forme de tonneau. La masse pierreuse d’un gris sombre était striée d’une roche rouge dont les ramifications faisaient penser à des artères sanguines.

À gauche, au pied de la montagne, la berge était recouverte de dalles de pierre. Au-delà du quai, s’élevaient les bâtiments situés en retrait de la mer et sans ordonnance. La ville abandonnée de Tchendine-Tot était proche d’un bocage en défens, le dernier de la planète Ian-Iah. Ici, avait existé pendant longtemps le domaine des « Partisans de la Nature » qui avaient refusé l’urbanisation générale et s’étaient installés dans cette zone au climat malsain. L’accroissement excessif de la population de la planète obligea à construire même à l’intérieur de la zone réservée. « Les Partisans de la Nature » se fondirent dans la masse commune des citadins. Toutefois, une fraction de la forêt primitive échappa à la consommation dévorante des seize milliards de Tormansiens. Ce ne fut, en réalité, qu’un hasard. La catastrophe éclata avant que le dernier bosquet ne soit abattu. Plusieurs villes furent décimées et celles qui se trouvaient dans des zones moins accueillantes ne furent jamais repeuplées.

On approchait de la berge. Les Terriens voulurent monter sur le toit de la cabine transformé en petit pont, mais leurs guides s’y opposèrent énergiquement. Ils parlaient très vite avec l’accent des habitants de l’Hémisphère de Queue et en avalant les consonnes. Les Terriens, habitués à la prononciation claire des émissions radio gouvernementales et au discours lent des fonctionnaires, comprenaient difficilement leurs compagnons. Il apparut qu’il y avait des limaïs dans la Mer de Miroir. De leurs longs tentacules, ces monstres voraces attrapent tout ce qui bouge à la surface des ponts et l’entraînent au fond. Ils sont en nombre incalculable.

— La ressemblance avec les mers de la Terre est étonnante, dit Tivissa. Lorsqu’on tua les cachalots, à l’Ère du Monde Désuni, les grands céphalopodes se multiplièrent et il fallut mener une véritable guerre contre eux. En général, l’extermination de chaque espèce a lentement détruit l’équilibre millénaire de la nature. En vertu de la tendance sélective de toute action néfaste que nous appelons maintenant La Flèche d’Ahriman, on exposa à l’anéantissement plantes et animaux – surtout les plus beaux et les plus intéressants qui sont aussi les moins aptes à supporter de nouvelles conditions de vie. Il ne resta, au fond, que les espèces nuisibles, qui se multiplièrent, parfois à une vitesse fantastique et inondèrent littéralement d’énormes surfaces avec les ondes de leur biomasse. La loi de la survie prépondérante des formes nuisibles, là où la nature a été maladroitement défigurée par l’homme, a été élaborée par les Tormansiens d’après leur propre expérience.

— Quel dommage que cette mer de cristal si belle recèle une telle abomination ! J’aurais aimé me baigner ici, si je n’avais pas eu de scaphandre, termina tristement Tivissa.

— Ne remarques-tu pas, interrogea Tor Lik, que régulièrement, sur Tormans, dans toutes les belles places, les beaux édifices et même chez les gens, ce qui est mauvais est caché ? C’est étrange.

— Aphy chéri (Aphy était le diminutif tendre donné aux astrophysiciens), dit Tivissa en ébouriffant les cheveux de Tor, tu devrais retourner maintenant sur l’astronef. Tu es trop souvent nostalgique…

— Tu as raison. Je foule cette planète dévastée comme un jardin desséché dont on ne peut sortir !

— Est-ce l’homme qui a tellement changé la planète entière ? demanda Ghen Atal, qui, en un instant, se représenta la générosité inépuisable de la Terre.

Tor répondit :

— Les ressources de chaque planète sont limitées, il ne faut rien prendre sans donner en échange. Rendre ce qui a été pris peut être la voie d’une bonne organisation de la planète. Sinon, comme cela s’est également produit chez nous sur la Terre, on ne peut éviter la destruction des formes de vie restantes ou l’appauvrissement des ressources énergétiques accumulées pendant des millions de siècles, ce qui condamne à la misère et à l’indigence les générations suivantes. Nous nous trouvons en ce moment sur une planète dévastée non seulement par la guerre mais aussi par un lapinisme excessif. En exploitant les richesses de la planète, les Tormansiens n’ont calculé que les bénéfices sans penser aux déficits qui existent également dans les ressources humaines.

— Oui, nous avons vu beaucoup de misère, reconnut Tivissa, toutes les bêtes sauvages, les gros oiseaux, les poissons que l’on pêche, les mollusques comestibles et les algues ont été massacrés. Tout cela est devenu nourriture au moment du Siècle Catastrophique de la Famine. La course après la quantité, le bon marché et la production de masse, sans prévision à long terme, a fini par empoisonner les fleuves, les lacs et les océans. Les fleuves se sont asséchés après la destruction des forêts et la forte évaporation des réservoirs des centrales électriques, les lacs se sont ensablés et sont devenus salés. Presque partout l’eau douce est plus chère que la nourriture. Il en reste juste assez pour l’agriculture de cette triste planète. L’énergie est insuffisante pour entreprendre le dessalement. Il n’y a pas de calotte polaire importante ici… donc, il n’y a pas de réserves de glace douce. Quant à l’élevage… Avez-vous vu leurs troupeaux ? Biologiquement, ce sont les mêmes chèvres que celles qui ont, autrefois, sauvé la civilisation biblique mais détruit toute la végétation des rives de la Méditerranée.

— Mais, ont-ils au moins compris ce qu’ils ont fait ? demanda Ghen Atal. Avez-vous rencontré des savants dans les instituts biologiques ?

— Il me semble qu’ils comprennent. Mais leur biologie est dépassée et aboutit essentiellement à la sélection et à l’anatomie pratique, à la physiologie et à ses branches médicales. Ils n’ont même pas réussi à étudier comme il faut leurs animaux et ceux-ci ont disparu… perdus à jamais.

— « À jamais » ! Ce que j’entends le plus souvent ici, ce sont ces mots insupportables pour l’homme, dit Tor Lik, qui regarda la mer en silence.

La mer transparente se couvrit de rides vers l’avant. Au début, les Terriens crurent que des algues entrelacées flottaient. Mais un fourré de tentacules contorsionnés d’un bleu-vert se dressa au milieu d’une masse indéterminée. Ces tentacules se soulevèrent à 4 mètres au-dessus de la surface de la mer, en virevoltant et secouèrent dans tous les sens leurs extrémités rouges aplaties.

Le navire décrivit un virage aigu qui projeta les Terriens contre le mur de la cabine, tandis que le « cigare » noir du flotteur s’élevait au-dessus de l’eau. Les moteurs hurlèrent et le monstre disparut dans une vague déferlante.

Les deux Tormansiens se disputèrent à voix basse. Ce fut le barreur qui l’emporta. Il fit un geste énergique de la main en direction de la rive dallée.

— Nous n’accosterons pas directement en ville, expliqua le second Tormansien aux passagers. Les fonds sont trop profonds au débarcadère et les limaïs peuvent attaquer. Personne ne les avait encore rencontrés si près de la ville. Il y a de ce côté un banc de sable où les limaïs ne peuvent aller et où nous accosterons. Il faudra seulement marcher un peu plus longtemps.