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Les racines de l’homme de la Terre étaient visibles sur sa planète natale. Il pouvait apprécier tout le chemin parcouru depuis la vie primitive jusqu’à la pensée, chemin parcouru pendant des millions de siècles de souffrance, de naissance et de mort de la matière vivante toujours renouvelée.

Les sols de Tormans avaient conservé les preuves du développement historique de la vie atteignant un niveau égal à celui de l’animal avec une intelligence très inférieure à celle des chevaux, des chiens, des éléphants – sans même parler des espèces cétacées – de la Terre. Ici, la paléontologie attestait que l’homme était un étranger et conservait les preuves d’une destruction criminelle de la vie antérieure de Tormans, même si l’homme dissimulait son origine dans les Étoiles Blanches. Les steppes immenses de l’Hémisphère de Queue, aujourd’hui poussiéreuses et désertes, avaient connu de toute évidence une vie aussi riche que les plaines infinies à l’herbe haute ondulant sous des millions de troupeaux d’animaux et d’essaims d’oiseaux, plaines détruites en Amérique du Nord et du Sud et en Afrique. Tivissa se souvenait clairement d’un tableau à la Maison de l’Histoire de l’Afrique et de la Zone Tropicale. Une plaine brûlée par un soleil implacable, avec des pins parasols éparpillés çà et là, jonchée de squelettes de bêtes sauvages, blanchis et tombés en poussière. Appuyé au radiateur d’une machine ultra-rapide, un homme apparaît au premier plan tenant une carabine à répétition. La fumée de la cigarette collée à ses lèvres lui fait cligner des yeux. Le titre écrit en vieil anglais est un jeu de mots qui signifie à la fois : « Fin de la vie primitive » et « fin du jeu ».

— Qu’as-tu Tivissa ? demanda Tor Lik.

— Je réfléchissais ! Apporte les appareils. Nous ferons des gologrammes. Tivissa plissa ses yeux bridés, fatigués par la lumière vive.

Les trois voyageurs et leurs fidèles Neufpattes finirent leur ascension et s’enfoncèrent dans l’ombre des ravins violet foncé du massif principal.

Les rayons de l’astre glissaient déjà parallèlement à la surface du plateau, lorsque le défilé s’élargit. L’horizon s’éloigna. Au fond, se trouvait une large combe garnie d’une forêt primitive. En avant, vers l’Équateur, s’étendait un chaos de pierres de toutes sortes, érodées avant même l’épuisement de la planète. Crêtes, créneaux, cônes réguliers et pyramides à étages, défilés faisant penser à des plaies lacérées, pans de murs aux colonnades régulières, éboulements et cours d’eau desséchés, tout cela s’entremêlait en un labyrinthe bigarré, parsemé de taches d’ombres épaisses tantôt bleues, tantôt d’un noir-mauve.

Très loin, dans la brume éclairée par l’astre pourpre bas, des accumulations chaotiques s’étaient nivelées formant une transition imperceptible vers la steppe déserte de la plaine de Men-Zine.

À travers un horizon voilé de poussière, on voyait à peine l’eau étinceler. La brume pourpre se transformait en une bande déchiquetée de nuées bleues, posées bas au-dessus des steppes.

Ici, il faisait frais et les Terriens descendirent la montagne en courant. Par endroits, des éboulements barraient la route sinueuse. Les voyageurs coururent pendant des heures. Près d’eux, les trois SVP soulevaient la poussière sans arrêt. Plus bas, s’étendait une zone de sables que le vent des temps passés avait apportés sur les pentes montagneuses. Des monceaux de sable aux arêtes pointues coupaient la route dans ses virages.

Tivissa respirait avec peine, Tor et Ghen étaient très fatigués. L’astrophysicien s’arrêta soudain.

— Pourquoi courons-nous à ce rythme ? Nous sommes encore éloignés de l’eau et il commence à faire nuit maintenant. En fait, nous n’avions pas fixé de délai précis pour notre séjour à Kin-Nan-Té.

Tivissa se mit à rire et reprit son souffle.

— Vraiment ? Il y a sûrement en nous un désir inconscient et irrésistible de nous éloigner de ces forêts déplaisantes et de leurs habitants. Repos !

Les Terriens s’installèrent au pied d’une colline, entrecoupée verticalement de cristaux de gypse. Par mesure de sécurité, ils placèrent les SVP autour du campement sans brancher le champ mais en s’entourant d’une barrière de rayons invisibles, reliée au relais automatique de défense.

— Ceci au cas où des mangeurs de têtes viendraient, dit Ghen Atal, en souriant, et il installa la protection.

Tor Lik essaya sans succès d’entrer en contact avec l’astronef au moyen du rayon réflecteur. La puissance du SVP était insuffisante pour créer son propre canal, et sans lui, un contact aussi éloigné exigeait la connaissance des conditions atmosphériques.

Tivissa fut réveillée par un léger bruit un peu avant l’aube. Elle ne réalisa pas immédiatement qu’il s’agissait du bruissement du vent venu des vastes plaines de Men-Zine. Les bosquets épineux ressemblaient à des nains voûtés et tristes, aux cheveux emmêlés tombant jusqu’au sable. Ils bruissèrent, secouant la tête d’un air chagrin. Un sentiment de nostalgie surgit et disparut aussitôt. Tivissa ignorait s’il provenait du murmure du vent qu’elle n’avait pas entendu depuis longtemps – compagnon éternel de la vie sur la Terre – ou de la végétation désolée du désert de Tormans.

Ils repartirent. La route s’améliorait. Les SVP rétractèrent leurs courtes pattes dures qu’ils remplacèrent par des crocs cylindriques et firent sortir des porte-pieds munis au centre d’une barre de soutien et de direction. Les amateurs de ce sport voyageaient sur les SVP sans soutien en comptant sur leur réaction instantanée et sur leur sens développé de l’équilibre. Tout déplacement devenait alors un sport véritable. Dans son scaphandre grenat foncé garni de rose, ses cheveux noirs flottant comme une crinière, Tivissa, se balançant avec grâce et adresse sur les porte-pieds, galopa à travers le désert. Ghen Atal qui l’admirait faillit tomber la tête la première lorsque son SVP freina à un virage.

Tivissa imprima un tel rythme à la course que, deux heures plus tard, ils descendaient vers la large colline fluviale. Là, autrefois, coulait un fleuve puissant. Le bassin versant qui l’alimentait ayant disparu avec la coupe des forêts, le fleuve, entouré de barrages, se transforma en une cascade de lacs, dont l’évaporation devint d’autant plus forte qu’il restait moins d’eau et que le climat se faisait plus sec. Très vite, seuls quelques petits lacs saumâtres et isolés s’étendirent le long de la zone la plus profonde de l’ancien cours d’eau. Les bords de la plaine se recouvrirent d’un sable dur comme le béton, dont la couleur rouge s’éclaircissait au bord de l’eau, tandis qu’autour des lacs, le jeu des cristaux lumineux – turquoise, mauve, améthyste – blessait les yeux. Ces mêmes cristaux recouvraient les fragments devenus salés de vieux troncs morts, dont les souches tordues émergeaient çà et là de l’eau bleue peu profonde et se désagrégeaient sous la chaleur lourde surplombant la zone immobile des petits lacs.

Les Terriens perdirent un certain temps à parcourir la fange ; ils traversèrent le lit du fleuve là où deux collines de la berge élevée formaient la vallée d’un affluent et allégeaient la montée d’une centaine de mètres. Même ici leur sens de l’orientation ne fut pas trompé. À peine les voyageurs eurent-ils gravi la berge, qu’ils virent une grande ville s’étendant à quelques kilomètres du fleuve. Seules la hauteur de la berge et la réfraction particulière de l’air incandescent au-dessus des lacs salés avaient empêché les Terriens de voir plus tôt la plus grande ville de l’Hémisphère de Queue, Kin-Nan-Té. Bien qu’encore éloignés, ils remarquèrent que la partie ancienne de la ville était mieux conservée que les quartiers construits ultérieurement. Des tours, ressemblant aux pagodes d’autrefois sur la Terre, s’élevaient orgueilleusement au-dessus des ruines pitoyables, situées à la périphérie de la vieille ville.