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L’apparition de Tivissa provoqua les cris de la foule emplissant la place. Tivissa leva les mains pour indiquer qu’elle voulait parler. Des deux côtés, s’avancèrent ceux qui, à l’évidence, étaient les meneurs – l’homme à moitié nu aux cheveux noués et le tatoué – accompagnés de leurs compagnes. Les femmes, qui se ressemblaient comme des sœurs, marchaient en faisant onduler leurs hanches maigres.

— Qui êtes-vous ? demanda Tivissa dans la langue de Tormans.

— Et vous ? demanda à son tour le tatoué. Il s’exprimait dans le dialecte primitif « inférieur » de la planète, prononçant les mots de manière confuse, avalant les consonnes et élevant brusquement le ton à la fin des phrases.

— Vos invités de la Terre !

Les quatre éclatèrent de rire, les doigts tendus vers Tivissa. Le rire se communiqua à la foule.

— Pourquoi riez-vous ?

— Nos invités ! hurla l’homme à moitié nu en appuyant sur le premier mot. Bientôt, tu seras notre… et il fit un geste qui ne pouvait laisser aucun doute quant au destin de Tivissa.

La Femme de la Terre ne se troubla pas et, sans sourciller, dit :

— Vous ne comprenez donc pas que vous roulez dans un gouffre sans retour et que la méchanceté qui s’est accumulée en vous se retourne contre vous-mêmes ? Que vous deviendrez pareils à vos bourreaux et à vos tortionnaires ?

L’air mauvais, l’une des femmes se hérissa comme un chat furieux et s’approcha soudain de Tivissa :

— Vengeance ! Vengeance !, s’écria-t-elle.

— Contre qui ?

— Contre tous ! Contre lui ! Que meure comme une bête muette celui qui implore la vie en servant de laquais aux souverains.

— Et qu’est-ce qu’un laquais ?

— Un esclave infâme qui cherche à justifier son esclavage, celui qui trompe les autres, rampe devant le souverain, celui qui trahit et tue sournoisement. Oh, comme je les hais !

« Cette femme a enduré une terrible humiliation et des violences qui l’ont conduite au bord de la folie » pensa Tivissa qui demanda doucement :

— Mais qui vous a offensée ? Vous en particulier ?

Le visage de la femme se déforma.

— Ah, tu es pure, belle, tu sais tout ! Frappez-la, frappez-la tous ! Qu’attendez-vous, froussards ! dit-elle en poussant des cris perçants.

« Une psychopathe », pensa Tivissa. Elle regarda le visage de ceux qui approchaient et eut peur : aucune pensée ne s’y reflétait. L’âme sauvage et sombre, aussi plate qu’une soucoupe, l’âme d’un enfant arriéré, la regardait par les yeux de ces gens.

Tivissa recula vers le portail, juste à temps. Ghen Atal, qui avait suivi la conversation, la main sur l’interrupteur, rebrancha la protection. Les poursuivants, jetés de tous côtés, roulèrent sur les dalles de la vieille place.

Tivissa se mordit la joue, comme elle le faisait toujours dans les instants de désespoir.

— Que peux-tu faire de plus, Tivi ? demanda Tor Lik, lui donnant le petit nom intime qu’il lui avait inventé à l’époque des Exploits d’Hercule.

— Si seulement Faï Rodis était ici à ma place ! dit Tivissa avec amertume.

— Même elle, je le crains, n’aurait obtenu d’eux rien de bon. Peut-être aurait-elle employé sa force d’hypnose collective… Elle les aurait arrêtés, mais après ? Nous aussi, nous les avons arrêtés, mais nous ne pouvons les tuer au laser pour sauver nos précieuses vies !

— Oh, non, certainement pas. Tivissa se tut, écoutant le bruit de la foule qui parvenait jusqu’à eux à travers l’enceinte du cimetière.

— Peut-être leur faut-il des drogues ? demanda Ghen Atal. Souvenez-vous comme l’usage des drogues était répandu autrefois, surtout lorsque la chimie fabriqua des drogues ayant plus d’effet que l’alcool et le tabac, et moins chères.

— Je me doute bien qu’ils ont les moyens de se droguer. Il suffit de regarder la façon dont ils se déplacent. Mais le fond du problème est ailleurs : il est dans la perte d’humanité. Autrefois, il arrivait que des bêtes sauvages élèvent des petits enfants, accidentellement abandonnés à leur sort. On connaît les enfants-loups, les enfants-babouins et même un garçon-antilope. Bien sûr, seuls purent survivre les individus doués d’une santé particulière et de bonnes facultés mentales. Et pourtant, ils ne sont pas devenus des êtres humains. Les enfants-loups ont perdu la capacité de marcher sur deux jambes. Voilà ce qu’il advient de l’homme, lorsque les instincts et les exigences directes de son corps ne sont pas disciplinés par l’éducation.

— Ce n’est pas étonnant, dit Tor Lik. On sait depuis longtemps que le cerveau de l’homme ne se fortifie que s’il s’épanouit dans son milieu social. Les premières années de la vie d’un enfant sont bien plus significatives qu’on ne le pensait autrefois. Mais…

— Mais c’est la société – et non un troupeau – qui a éduqué l’homme, reprit Tivissa. L’homme vit en groupe, mais n’est pas un animal de troupeau. La foule, elle, est un troupeau, elle ne peut ni amasser, ni conserver l’information. Il est criminel de priver les gens de la connaissance, de la vérité ; le mensonge répugnant a conduit les hommes à une dégradation totale. Guidés uniquement par les instincts les plus frustes, ils s’assemblent en troupeau et leur distraction principale consiste en des plaisirs sadiques. Et, comme pour les enfants-loups, il est impossible de réorganiser leur mentalité en s’adressant directement à leurs sentiments humanitaires. Il faut réfléchir à d’autres méthodes… Ce qui ne m’empêche pas de déplorer l’absence de Rodis.

— Pourquoi ne pas la faire venir ici ? demanda Tor.

— Aphy, n’as-tu vraiment pas deviné que Rodis est restée prisonnière dans le palais du souverain ? dit Ghen Atal. Et qu’elle y restera jusqu’à notre retour à « La Flamme sombre » ?

— Regardez, s’écria Tivissa, ils ont franchi le mur !

Les assaillants avaient deviné que le champ de protection ne couvrait que le portail et étaient passés par-dessus le mur. Très vite, en une meute hurlante ils se précipitèrent dans le cimetière, se serrant et se bousculant les uns les autres entre les monuments. Les assaillants furent repoussés près des colonnes bleues vitrifiées. Les deux SVP étaient entrés en action. Ghen Atal fixa une tension minimale au champ de protection, le rendant perméable à la lumière et à toute arme puissante, arme que les assaillants ne possédaient pas.

Jamais les Terriens n’auraient pu imaginer qu’un homme put atteindre ce degré de bestialité. Rendus fous de rage par leur échec, les habitants de Kin-Nan-Té se mirent à crier des injures, à faire des grimaces, à cracher, à se déshabiller et à exhiber les parties honteuses – selon leur point de vue – de leurs corps ; ils se mirent même à uriner et à déféquer.

Le signal grave – comme un coup de tonnerre éloigné – de l’astronef apporta un soulagement indicible. La lueur bleue du SVP vira au jaune. « La Flamme sombre » demandait le contact. Tor Lik coupa le champ près du portail où Ghen montait la garde et le troisième SVP commença la transmission.

Grif Rift demanda :

— Quelle peut être la durée de la protection circulaire ?

Et Tor répondit :

— Tout dépend du nombre d’attaques que nous aurons à subir.

— En calculant le pire.

— 48 heures au maximum.

Grif Rift vérifia la carte de Tormans.

— Notre disconef effectuera ces 7 000 km en 5 heures. Cette fusée rapide pourrait arriver en 1 heure, mais on ne peut la guider avec une précision absolue, car on connaît mal le relief de la planète. Pourriez-vous tenter de sortir de la ville ?

— Impossible. Je crains qu’on ne puisse sortir sans faire de victimes.