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— Comment déterminer ceux qui sont bien et ceux qui ne le sont pas ? dit Tchoïo Tchagass avec un sourire dédaigneux.

— Mais c’est si simple ! Même dans la nuit des temps, on savait reconnaître les gens. Est-il possible que vous ignoriez des mots anciens comme sympathie, charme, influence de la personnalité ?

— Et quel est celui qui me convient, à votre avis ? demanda Tchoïo Tchagass.

— Vous êtes intelligent. Vous êtes pourvu de dons, mais vous êtes un homme très méchant et, pour cette raison, vous êtes dangereux.

— Comment l’avez-vous déterminé ?

— Vous vous connaissez bien, d’où votre méfiance et votre complexe de supériorité, votre besoin d’écraser toujours les gens qui sont meilleurs que vous. Vous voulez dominer tout le monde sur la planète. Bien que vous compreniez que ce désir soit irrationnel, vous n’y pouvez rien. Vous refusez même toute relation avec les autres mondes, parce qu’il vous est impossible de les dominer. Là peuvent se trouver des gens plus grands, plus purs et meilleurs que vous.

— Quelle réflexion digne de considération !

Tchoïo Tchagass s’efforça de camoufler ses sentiments sous son expression habituelle d’orgueil méprisant.

— Depuis quelque temps… depuis quelque temps, je veux dominer aussi ce qui n’est pas, ce qui n’a jamais été sur ma planète.

Tchoïo Tchazass se retourna brusquement et sortit de la salle.

Tivissa s’éveilla de l’auto-hypnose, grâce à laquelle les Terriens pouvaient, à tour de rôle, échapper au spectacle – difficilement soutenable – de la foule possédée.

« Les Vengeurs » jouissaient d’une résistance extraordinaire. La vue des trois Terriens, impassibles et immobiles, assis les jambes repliées sur les dalles de pierre rendit la foule furieuse.

« Peut-être aurions-nous dû feindre la frayeur pour qu’ils se calment un peu » pensa Tivissa. Presque 5 heures s’étaient écoulées depuis l’entretien avec l’astronef. Tivissa ne doutait pas que le secours arriverait à temps, mais les dernières heures d’attente passive dans le jardin semblaient incroyablement longues. Et après le réveil, l’angoisse augmenta de minute en minute. La plupart des gens de la Terre, à l’époque des Mains qui se Touchent, étaient capables de prévoir les événements. Autrefois, les gens ne comprenaient pas que la perception de la corrélation des événements et la possibilité de prévoir l’avenir n’avaient rien de surnaturel, mais étaient, au fond, analogues à un calcul mathématique. Avant la théorie de la prévision, seules pouvaient prédire l’avenir les personnes qui ressentaient tout particulièrement que les phénomènes étaient liés dans le temps et l’espace. On considérait qu’ils avaient le don de seconde vue.

Maintenant, l’entraînement psychique permettait à chacun de posséder ce « don » naturellement, mais à des degrés différents.

Depuis des temps immémoriaux, les femmes étaient plus douées en cela que les hommes.

Tivissa prêta attention à ses sensations ; elles totalisaient nettement un bilan tragique : une mort inévitable, comme si derrière le portail, cette pagode colossale menaçait de tomber sur eux. Dans le désir mélancolique de reculer la connaissance de l’inévitable, Tivissa s’assit près de Tor paisiblement endormi et regarda tristement le visage infiniment cher, à la fois mûr et d’une naïveté enfantine. La conscience qu’il n’y avait pas d’issue devint de plus en plus forte, en même temps que grandirent la tendresse et la terrible sensation d’une faute, comme si c’était à cause d’elle et qu’elle n’avait pas su protéger son bien-aimé.

L’astrophysicien, sentant le regard de Tivissa, se leva et réveilla Ghen Atal. Les hommes regardèrent tout d’abord les SVP.

— Le dispositif de dépense minimum fonctionne bien, dit Tor Lik doucement, mais les réserves sont infimes.

— Deux fils sur vingt-sept et uniquement un pompage de la résonance, approuva Ghen Atal, accroupi devant les SVP.

— Le mien en a trois…

— Au cas où les avions n’arrivent pas dans les délais fixés, appelons « La Flamme sombre ».

Grif Rift, inquiet, les informa que Rodis était allée trouver le souverain lui-même et que, d’après elle, l’ordre avait été donné. Les secours devaient arriver d’une minute à l’autre. Rift demanda de ne pas couper le canal, le temps qu’il aille prendre des renseignements.

Une demi-heure encore s’écoula… Quarante minutes. Les avions ne se montraient pas au-dessus de Kin-Nan-Té. L’ombre crépusculaire de l’énorme pagode envahit tout le cimetière. Même « les vengeurs » s’étaient calmés : installés dans les allées et sur les tombes, les genoux serrés dans les mains, ils observaient les Terriens. Avaient-ils deviné que le champ de protection qui, au début, cachait les voyageurs sous un fin rideau de brume, devenait de plus en plus transparent ? De temps en temps, l’un d’eux lançait un couteau comme pour essayer la force du champ de protection. Le couteau volait, heurtait les pierres et tous se calmaient à nouveau.

La voix de Grif Rift parlant dans la douce langue de la Terre rompit soudain le silence vigilant du cimetière, provoquant en réponse un murmure venu de la foule.

— Attention ! Tivissa, Ghen, Tor ! Rodis vient de parler à Tchoïo Tchagass. Les avions traversent une tempête qui fait rage sur la plaine de Men-Zine. Ils seront en retard. Économisez les batteries autant que vous le pourrez. Informez-nous de votre situation à tout moment, je ne bouge pas !

« Une tempête soudaine ici, dans les latitudes les plus calmes de Tormans ? Et pourquoi, n’apprend-on cela que maintenant, alors que le dernier fil est en train de se consumer dans les indicateurs de batterie ? » Tor Lik ouvrit d’un air soucieux la trappe arrière du SVP. Avant même qu’il en ait extrait la sonde périscope atmosphérique, Ghen Atal avait déjà sorti la sienne.

— Mettons-les ensemble, la sonde pourra s’élever jusqu’à 500 mètres.

Tor Lik acquiesça en silence. Parler devenait de plus en plus difficile. Le champ de protection n’étouffait déjà plus les hurlements de la foule. Le cylindre étincelant, volant dans le ciel, contraignit « les vengeurs » au calme. Il ne fallut que deux minutes pour se convaincre du calme total de l’atmosphère à des milliers de kilomètres allant de Kin-Nan-Té à l’Équateur et de l’absence d’avions à 1 heure de vol de là.

— Tchoïo Tchagass ment. Pourquoi veulent-ils notre mort ? s’écria Tivissa.

Les hommes se turent. Ghen Atal appela « La Flamme sombre ».

— Je prends l’astronef ! Tenez bon et coupez le champ, dit brièvement Grif Rift.

Ghen Atal fit mentalement un calcul rapide : trois heures pour le décollage et le vol, une heure de plus pour l’atterrissage. Non ! Trop tard !

— Allez dans la ville et dispersez la foule à coups d’infrasons, cria le commandant.

— Inutile. Nous n’irons pas loin. Nous avons attendu trop longtemps, car nous faisions confiance à Tchagass, autrement, nous aurions tenté de nous enfermer dans l’un de ces bâtiments, dit l’ingénieur de protection blindée avec une note de culpabilité. Nous ne pouvions prévoir… Appelez tout le monde, Rift, nous allons faire nos adieux. Mais vite, il ne reste que quelques minutes.

L’adieu fut bref et austère. Ghen Atal ne put accéder aux vœux des astronavigants et coupa l’émission, il éteignit même la lumière jaune de l’appareil : ils voulaient rester seuls durant les dernières minutes précédant leur mort. Ils avaient fait tout ce qui était en leur pouvoir, ils avaient deviné qu’ils étaient trahis et l’avaient dit. Les cloches indestructibles des SVP conserveraient l’intégralité des informations recueillies.

Tivissa enlaçant ses amis, dit à Tor Lik avec une tendresse infinie : « J’ai toujours été merveilleusement bien avec toi, Aphy, et il en sera ainsi jusqu’au bout. Je n’ai pas peur, seulement, c’est triste que ce soit ici et que ce soit tellement… inimaginable. Aphy, j’ai avec moi le cristal de « Gardiens des Ténèbres »…