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Comme à l’accoutumée, Faï Rodis posa ses doigts sur la main de l’ingénieur, établissant le contact physique qui l’aidait à comprendre les sensations d’un homme si éloigné de ce qu’elle connaissait et pourtant si proche par ses aspirations.

Tael la regarda pensif et triste. Le sentiment, très souvent éprouvé des gouffres cosmiques qui semblaient s’ouvrir juste derrière Rodis, l’envahit à nouveau et le Tormansien tressaillit.

Rodis appuya un peu plus fort sa main et demanda doucement :

— Soyez franc avec moi, Tael. Qu’est-ce qui vous menace, qu’est-ce qui pèse sur vos épaules et sur celles de chaque habitant de Ian-Iah ?

— C’est d’être considéré comme coupable. Si je transgresse l’obligation de faire un rapport, je risque le bannissement. Je devrais partir dans une ville lointaine, car je ne trouverai plus de travail dans la capitale.

— Mais si on s’aperçoit que vous avez utilisé vos relations avec nous pour transmettre à vos camarades nos informations ?

— On m’accusera de haute trahison. On m’arrêtera, on me torturera pour que je donne mes complices. Ceux-ci seront torturés à leur tour et ils donneront ceux qui restent, ainsi que quelques centaines d’autres qui n’y sont pour rien, simplement pour éviter des souffrances intolérables. Ensuite, tout le monde sera tué.

Rodis frissonna, bien qu’elle sût déjà tout cela. Mais ce qui se déroulait devant elle maintenant n’était pas l’histoire, n’était pas noyé dans les milliers de siècles de souffrance des anciens peuples de la Terre. La vie même de Tormans incarnée par l’ingénieur Tael la regardait avec douceur et tristesse. Et cette tranquillité renfermait une tragédie plus grande qu’un hurlement de désespoir. Il sembla à Faï Rodis que la pièce protégée par le SVP bourdonnant doucement était un frêle radeau sur un océan hostile dont les berges étaient trop éloignées et inaccessibles.

— Ils ne me font pas peur, dit Tael, mais ce n’est pas parce que je suis sûr de ma force. Personne ne peut leur résister. Ce que l’on raconte dans les légendes sur les gens inflexibles est soit un mensonge, soit la preuve que le tortionnaire n’était pas assez « doué ». Il existe des gens d’un très grand héroïsme, mais si on leur inflige des tortures suffisamment prolongées et fortes, ils se briseront comme les autres. L’homme devient une bête abrutie et terrorisée qui exécute les ordres dans une demi-inconscience.

— Sur quoi comptez-vous ?

— Sur ma faiblesse. Au début, les tortionnaires détruisent l’homme physiquement. La seconde étape est la transformation psychique. Je mourrai au cours de la première étape et ils n’obtiendront rien !

Faï Rodis se redressa et poussa un soupir. Le Tormansien ne pouvait détacher ses yeux de sa haute poitrine. Ce regard était particulièrement indécent et obscène selon la morale de Ian-Iah, mais la Femme de la Terre le reçut comme un hommage naturel.

Faï Rodis pensa que la nature, malgré l’inlassable cruauté du processus de l’évolution, était plus humaine que l’homme. Celui-ci, fabriquant des armes fines et pénétrantes – flèches, lances, balles – avait accru l’inferno des tourments sur la Terre et avait rejeté la tactique guerrière des rapaces, basée sur le choc dès le premier coup, la rupture des gros vaisseaux et la mort sans douleur par hémorragie. Les victimes de l’homme périssaient dans d’atroces souffrances dues à de graves lésions internes. Lorsque des psychopathes se livrèrent au sadisme, ils élaborèrent des tortures démoniaques rapidement utilisées à des fins politiques et militaires.

Et voilà que les enfants de la Terre se retrouvaient dans l’un de ces mondes, depuis longtemps effacés de la surface de leur planète !

Faï Rodis passa sa main sur les cheveux de l’ingénieur.

— Écoutez, Tael ! Continuez à leur donner des informations. Vous savez que nous n’avons pas de secret. Nous vous emmènerons sur « La Flamme sombre » pour vous soigner, redonner des forces à votre corps et vous faire subir un entraînement psychique. Vous arriverez à maîtriser votre corps, vos sentiments, à soumettre les gens à votre volonté si cela vous est nécessaire. Et vous reviendrez ici en étant un autre homme. C’est une affaire de deux ou trois mois, pas plus !

Le Tormansien se leva du divan et secoua la tête d’un air décidé.

— Non, Rodis – il prononça le nom terrien étrange pour la langue rude de Tormans d’un ton tendre et chantant – je ne peux jouir d’une santé idéale alors que les habitants de ma planète sont malades. Je ne le puis, parce que je sais combien de temps et de force sont nécessaires pour se maintenir à ce niveau. Je n’ai pas hérité de mes ancêtres un corps idéal. Approcher seulement de votre force, exigerait de consacrer à soi-même l’attention qui me manqueront pour des choses plus importantes la bonté, l’amour, la pitié et le souci de son prochain. Il y a si peu d’amour et de bonté dans notre monde ! Rares sont les gens doués qui ne gaspillent pas leurs forces spirituelles à des bêtises telles que carrière, richesse matérielle ou puissance. Je suis né faible, mais plein d’amour envers les gens et je ne sortirai pas de cette voie. Merci, Rodis !

Rodis regarda l’ingénieur en silence, puis ses cils s’abaissèrent sur ses yeux « étoilés ».

— D’accord, Tael ! Vos motivations sont belles. Vous êtes réellement un homme fort. Le futur de votre planète est entre les mains d’hommes tels que vous. Mais acceptez un seul cadeau de ma part. Il vous délivrera du danger de tortures possibles et vous mettra hors d’atteinte des tortionnaires. Si vous le jugez nécessaire, vous pouvez en faire don à un autre…

Elle regarda à nouveau l’ingénieur : comprenait-il ?

— Oui, vous avez deviné juste. Je vais vous apprendre comment mourir à n’importe quel moment, sans rien utiliser d’autre que les forces intérieures de votre organisme. De tout temps, les tyrans ont détesté ceux qui échappaient volontairement à leur emprise. Le droit de vie et de mort a été le droit imprescriptible du seigneur. Et les gens croyaient dans ce fétichisme soutenu par l’église chrétienne. Au cours des civilisations, qui se sont succédé sur la Terre pendant des millénaires, les modes de suicide qui ont pu être inventés étaient tous douloureux ou simplistes. Seuls les sages de l’Inde ont compris très tôt qu’en rendant l’homme maître de sa propre mort, ils le libéraient de la peur de la vie…

Rodis réfléchit un instant et demanda :

— Mais peut-être qu’à cause de l’obligation de « mort précoce », cela n’est pas aussi essentiel pour vous qu’autrefois sur la Terre ?

— C’est très important ! s’écria Tael. Le droit à « la mort douce » est entièrement entre les mains de l’oligarchie et personne ne peut entrer dans sa Demeure sans autorisation. Pour nous, citoyens lettrés à-la-vie-longue, notre vie et notre mort dépendent totalement des souverains.

— Choisissez votre moment, dit Rodis résolument. Nous ferons quelques exercices, parce que vous manquez d’entraînement psychique.

— Il en faut tellement ?

— Cela ne s’apprend pas sans maître expérimenté. Il faut savoir comment arrêter son cœur au moment souhaité. Dès qu’un homme ordinaire de Ian-Iah commence à freiner son cœur, son cerveau, ne recevant plus l’oxygène nécessaire et continu et n’étant plus alimenté, lui donne un coup de fouet. C’est pourquoi, on ne peut freiner son cœur qu’en endormant le cerveau, mais on perd alors son self-control et la « leçon » se termine par la mort. Mon rôle est de vous apprendre à ne pas perdre votre self-control jusqu’au dernier souffle de vie.