Выбрать главу

Faï Rodis admira la beauté éclatante de l’inconnue et l’art avec lequel elle se mettait en valeur : chaque boucle de ses cheveux négligemment coiffés était disposée selon un effet calculé.

La femme regarda tranquillement l’invitée terrienne, clignant légèrement ses yeux froids, sa bouche, ferme et bien dessinée mais cruelle, entr’ouverte.

Tchoïo Tchagass attendit quelques secondes, comme pour laisser aux deux femmes le temps de s’examiner mutuellement, ce qui lui permit aussi de les comparer sans se gêner.

— Er Vo-Bia, mon amie et ma conseillère dans les affaires de l’État, finit-il par déclarer, et voici la souveraine des Terriens que tout le monde connaît sur la planète.

L’amie de Tchagass se mit à rire et détourna sa tête fière, comme pour dire : « moi aussi, tout le monde me connaît sur la planète ! »

Elle tendit la main à Faï Rodis, qui lui tendit la sienne, selon la coutume de Ian-Iah. La main robuste et brûlante de la femme serra fortement ses doigts.

— Je pensais que les voyageurs du Cosmos s’habillaient autrement, dit-elle sans cacher son étonnement devant le vêtement de Rodis.

— En voyage, bien sûr. Mais dans la vie ordinaire, on s’habille comme cela nous passe par la tête.

— Et aujourd’hui, il vous est passé par la tête de mettre ce vêtement ? demanda Er Vo-Bia.

— Aujourd’hui, répondit Rodis, j’ai eu envie d’être une femme des peuples anciens de la Terre.

Er Vo-Bia haussa les épaules, semblant dire « je vois clair dans votre jeu ».

Le Président du Conseil des Quatre était d’excellente humeur. Il tendit lui-même une coupe à Rodis.

Faï Rodis décida de profiter du moment. Après sa conversation avec Tael et Rift, elle n’avait cessé de penser à la légèreté avec laquelle ils avaient décidé de projeter les films malgré l’interdiction des oligarques. Les puissants étrangers ne craignaient pas, c’était vrai, les maîtres de Tormans. Les tentatives des dirigeants d’empêcher le peuple de connaître la belle patrie dont ils étaient originaires, s’étaient heurtées à leur force. Mais, en même temps, les sages dialecticiens de la Terre avaient oublié le second aspect de l’affaire ; ceux à qui ils avaient transmis l’information interdite étaient ainsi amenés à commettre un délit. Aussi cruel que cela puisse paraître aux habitants du monde communiste de la Terre, ceux qui étaient avides de connaissances étaient menacés de châtiment sérieux. Et, c’étaient eux, les astronautes, qui avaient provoqué cela ! Eux-mêmes invulnérables, ils avaient conduit les malheureux habitants de Tormans à entrer ouvertement en conflit avec le terrible appareil du pouvoir, de l’oppression, de la trahison et de l’espionnage.

— Mes amis et moi avons réfléchi à nos actes, après ma conversation avec vous, commença doucement Rodis.

— Et ? s’impatienta Tchoïo Tchagass, maussade, ne voulant de toute évidence, pas parler d’affaire ici.

— Et nous sommes arrivés à la conclusion que nous avons eu tort. Nous avons interrompu les projections et nous vous présentons nos excuses.

— Ah, oui ? dit Tchoïo Tchagass, étonné et radouci. Bonne nouvelle. Je vois que nos conversations servent à quelque chose.

— Oh oui ! s’écria Rodis avec un enthousiasme non feint et tout à fait sincère, ce qui rendit le souverain encore plus content.

Tchoïo Tchagass demanda à Rodis où en était son tableau. Elle en fut un instant surprise, mais cela ne dura pas. Il ne pouvait en être autrement. On avait sûrement dû « rapporter » plusieurs fois ce qu’elle faisait.

— Je pensais l’avoir terminé, mais il me faut le modifier. Il y a eu erreur dans la conception ! Sortir de l’inferno nécessite de la Mesure plutôt que de la Foi.

— Dommage… dit Tchagass avec indifférence. Je projetais d’aller le voir… un de ces jours.

Er Vo-Bia s’empourpra tout à coup et ses yeux brillèrent. Iangar, le chef des « violets » entra sans cérémonie, s’approcha du souverain et lui parla à mi-voix. Faï Rodis se leva et se dirigea vers un petit meuble pour admirer une œuvre ancienne. Mécontent, Tchoïo Tchagass écarta Iangar, et demanda pourquoi Rodis était sortie. Le souverain de la planète n’aimait pas que l’on se lève en sa présence sans son autorisation.

— Je ne voulais pas vous déranger. Sur votre planète, tout est secret et urgent.

— C’est faux. Il n’y a rien d’important, dit Tchoïo Tchagass, mécontent, alors que Iangar fixait l’invitée de la Terre, escomptant la troubler par son regard froid de juge et de bourreau.

Tchoïo Tchagass congédia d’un geste brusque Iangar et s’appuya sur les accoudoirs de son fauteuil tout près de Rodis.

Er Vo-Bia continua d’observer indirectement Rodis. Soudain, elle ne put se retenir et lui demanda sans façon où et comment on apprenait sur la Terre l’art de séduire.

— Si vous sous-entendez par là, savoir se conduire et plaire aux hommes dans le jeu merveilleux de l’attirance réciproque, c’est depuis l’enfance. Chaque femme de la Terre sait mettre en valeur ce qui chez elle est original, intéressant et beau. Il me semble que la « séduction » à laquelle vous pensez est un peu différente.

— C’est celle de savoir se faire aimer d’un homme, dit la Tormansienne.

— Alors, il n’y a pas de différence. Ce n’est peut-être pas une question de savoir-faire, mais plutôt de don. J’avais l’impression que vous aviez prononcé ce mot avec une nuance de reproche, comme s’il s’agissait de quelque chose de mal.

— La séduction est toujours dans une certaine mesure, une tromperie, un mensonge. Je vous vois pour la première fois, mais on m’a dit que ce n’est pas votre genre.

— Toutes les personnes présentes sauf vous me connaissent sous d’autres traits… différents.

— Et quels sont vos traits réels ?

— Ceux sous lesquels j’apparais le plus souvent. Ici, sur la planète Ian-Iah, je prends les traits du chef de l’expédition de la Terre, de l’historienne, mais ces traits ne sont pas constants et changent avec le temps. Je serai tout à fait différente sur la Terre, acheva-t-elle rêveusement.

Er Vo-Bia porta la coupe à ses lèvres, but une gorgée et dit quelque chose à voix basse à Zet Oug. Physiquement, l’amie de Tchoïo Tchagass faisait plus d’effet que Rodis. Les écrivains et les poètes courtisans de Ian-Iah écrivaient que son charme agissait à la manière d’un courant électrique. Sa nature féminine était tout simplement éclatante. Les hommes de lettres de Ian-Iah faisaient remarquer qu’elle provoquait un désir d’une telle violence que même un animal attaché était capable d’arracher ses liens à sa vue. Er Vo-Bia irradiait le mystère. Elle semblait rester sur une ligne, au-delà de laquelle s’étendait une zone interdite. Ce mystère féminin millénaire avait promis beaucoup plus qu’il n’avait donné et pourtant, il restait attirant même pour les personnes averties.

Er Vo-Bia sourit et, soudain, de fines rides parcoururent sa peau jeune et lisse, montrant que cette femme peu ordinaire avait connu pas mal d’expériences, au cours de sa vie de femme.

Faï Rodis, malgré son masque de maharani, restait la même femme droite, ouverte, froide, que celle qui avait frappé le souverain lors de leur première rencontre. On sentait que dans son monde intérieur régnaient l’équilibre et la faculté de recouvrer rapidement son calme, qualités qui n’étaient possibles que grâce à une volonté et à une force psychologique intenses. C’est justement pour cette raison que, par contraste avec la mentalité déplorable de Ian-Iah, ses brillantes qualités humaines – absence totale d’hostilité, de méfiance et de suffisance – n’attiraient pas les Tormansiens vers elle. Un fossé infranchissable la séparait des autres et même de Tchagass. « Même de lui, grand et tout-puissant ! » avouait le souverain indigné. Il se souvint d’une conversation entre l’ingénieur Tael et Faï Rodis dont on lui avait rapporté des passages. Rodis expliquait à Tael que l’un des principes psychologiques les plus importants de la vie créatrice faisait totalement défaut sur la planète Ian-Iah : le principe de la conscience de l’infinité de l’espace, de ses frontières inaccessibles et innombrables et de mondes que l’homme n’avait pas encore découverts. Les profondeurs infinies du cosmos existent même en dehors des connaissances du Grand Anneau et dans les combinaisons les plus inattendues des lois du mode matériel. L’ingénieur avait répondu que Rodis lui apparaissait comme l’incarnation de cet infini et que son âme était aussi différente de leur mentalité que l’infini diffère du monde clos et ennuyeux de Ian-Iah essentiellement axé sur une sévère hiérarchie.