Выбрать главу

« L’ingénieur a bien tourné son compliment » pensa le souverain, mais il y a aussi autre chose à laquelle le pauvre n’a même pas osé penser. C’est une femme qui a les mêmes origines que toutes les autres femmes et qui doit donc obligatoirement se soumettre à la volonté et à la force de l’homme. D’ailleurs, je ne pense pas que cette fille de la Terre froide, gaie et présomptueuse soit une meilleure maîtresse que mon Er Vo-Bia. Mais il faudrait peut-être essayer ! »

Et, comme tous les souverains de tous les temps et de tous les pays, le Président du Conseil des Quatre décida de mettre son projet immédiatement à exécution.

Il se leva. Aussitôt, Zet Oug et Ghen Shi en firent autant. Er Vo-Bia resta assise, les jambes croisées, remuant ses escarpins ornés de lampions en forme d’étoiles. Les rayons de ces lampions dirigés verticalement éclairèrent ses jambes bien faites que l’on devinait à travers la fine étoffe de la robe.

Croyant la soirée finie, Faï Rodis se leva également, pensant au tableau de sa chambre. Après sa conversation avec Tael, elle voulait se remettre au plus tôt à ses pinceaux et à ses couleurs. Mais Tchoïo Tchagass déclara qu’il devait sans tarder discuter d’une question importante avec elle. Les deux membres du Conseil saluèrent et sortirent, contents, semble-t-il, de quitter leur président. Er Vo-Bia se leva, jeta un regard chargé d’une question muette à Tchoïo Tchagass. Elle se mit à haleter, ses dents fermes et bleutées s’entr’ouvrirent en un sourire affecté. Mais Tchoïo Tchagass feignit de ne pas remarquer son appel. Er Vo-Bia se dirigea alors vers la sortie sans un adieu et sans un regard, belle, méchante et blessée.

Pour la première fois, Tchoïo Tchagass se mit à rire devant Rodis et elle s’étonna de ce rire vulgaire. Le souverain releva le rideau et conduisit Rodis dans un corridor d’une clarté aveuglante. Deux gardes vêtus de vert étaient assis l’un en face de l’autre. Sans faire attention à eux, Tchoïo Tchagass marcha vers une porte située en bout du corridor et manipula un instant les verrous. La lourde porte s’ouvrit et Faï Rodis entra dans la chambre du souverain cachée derrière les murs épais du palais et dont l’accès était interdit à quiconque.

Un énorme prisme de cristal servait de fenêtre et reflétait un coucher de soleil flamboyant. Tchoïo Tchagass actionna une manette, le prisme pivota, le ciel sombre de Tormans apparut, tandis que dans la chambre s’allumaient automatiquement des luminaires oranges. Un grand miroir à cinq angles renvoya l’image de la maharani blanche et dorée et du souverain à ses côtés portant un vêtement noir brodé de serpents argentés.

Tchagass avança d’un pas vers un large divan recouvert d’une couverture en laine ornée d’anneaux entrecroisés. Il s’arrêta derrière Rodis et regarda par-dessus son épaule leur image reflétée dans le miroir. Elle comprit ce qui allait se passer. Le jeu une fois commencé, il faudrait aller jusqu’au bout sans entrer dans des contradictions confuses. Rodis répondit au souverain par un regard indulgent et indifférent. Les grandes mains de Tchoïo Tchagass entourèrent sa taille. Encore un instant, et Rodis appuierait son dos contre lui, poserait sa tête sur son épaule… Rien d’analogue ne se produisit. Une force incompréhensible lui fit lâcher les mains, sa suffisance disparut sur le champ et n’eût été son désir, il se serait détourné d’elle, tellement il était stupéfait.

— Mieux vaut nous en tenir à la situation antérieure, dit Rodis doucement.

Tchoïo Tchagass s’écroula sur le divan, cherchant à tâtons son attirail de fumeur qui se trouvait sur la petite table.

Tranquillement et sans dire un mot, Rodis s’assit de biais sur le bord du divan. Complètement dérouté, Tchoïo Tchagass se mit à fumer. Pour la première fois depuis de nombreuses années, il ne savait que faire : fallait-il feindre qu’il ne s’était rien passé ou se mettre en colère ?

Rodis vint à son secours. Le jeu était fini, il ne restait plus rien de la maharani, si ce n’est le sari blanc.

— Est-il possible que le souverain de la planète soit soumis lui aussi à ses instincts, comme le « Cvic » le plus ignorant ? demanda-t-elle en utilisant l’étymologie de Ian-Iah.

Tchagass rejeta, indigné, cette supposition.

— Je ne m’explique pas comment j’ai pu m’abandonner à votre charme, mais c’est vous même qui en êtes responsable !

Rodis exprima de tout son être une incompréhension silencieuse.

— Quelques rencontres avec une femme différente des autres suffisent donc à vous faire brûler d’une passion violente ? demanda-t-elle prenant le ton pensif qui agissait le plus fortement sur le souverain. On peut le comprendre chez des gens qui font rarement des rencontres et qui se trouvent au bas de votre système hiérarchique. Pour ceux-là, d’accord, c’est inévitable, mais pour vous !

Le visage du souverain prit, pendant quelques instants, une couleur violette. Mais il se maîtrisa rapidement.

— Vous parlez ainsi sans comprendre quels sont mes motifs véritables. Je voulais être convaincu de votre charme avant de vous demander une chose très sérieuse.

— Et maintenant, vous êtes convaincu ?

— Je le suis !

Un méchant sourire altéra un moment le visage du souverain et ne s’effaça que grâce à un effort de sa volonté.

— Savez-vous que c’est la première fois que je demande et que je n’ordonne pas…

— C’est regrettable. Un tel despotisme gâte inévitablement les gens. Même lorsque vous étiez enfant, puis adolescent, vous n’avez fait que donner des ordres ? Pourtant, votre pouvoir n’est pas héréditaire ?

— Malheureusement non. Les souvenirs des humiliations de mon enfance et de ma jeunesse, bien que s’atténuant au cours des années, me brûlent parfois comme le feu !

— Naturellement ! Le complexe de culpabilité et de vengeance est inévitable pour tous ceux qui arrivent au pouvoir. Mais, toute prière est-elle réellement humiliante ? Ne vous est-il vraiment jamais arrivé de demander quelque chose à votre mère, à votre père, à vos maîtres ou vos mentors ? À votre première maîtresse ?

— Nous nous éloignons. Revenons à ma demande, dit sèchement le souverain. Avec votre intuition infinie et votre douce sympathie, vous me semblez la femme la plus géniale que j’aie jamais vu, sans parler de votre savoir, de votre puissance psychologique et enfin de votre beauté ce qui est aussi très important.

— Je me souviens de notre conversation sur les flatteries, dit Rodis en riant, pourquoi voulez-vous m’humilier ?