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— Vous humilier ! Serpent tout-puissant ! Je veux vous élever plus haut que toute la planète Ian-Iah, je veux que vous vous donniez à moi !

Faï Rodis se redressa.

Tchoïo Tchagass poursuivit imperturbablement :

— Afin de donner naissance à un fils. J’espère que sur la Terre on sait orienter la génétique et que vous pouvez avoir un enfant du sexe désiré ?

— Pourquoi voulez-vous un fils de moi ? Des millions de femmes sont à votre disposition !

— Elles sont bien loin de vous égaler en santé, en perfection physique et morale. Votre fils sera le premier souverain héritier de la planète Ian-Iah, à moins qu’il ne lui donne un autre nom. Peut-être le vôtre !

Rodis devint rouge d’indignation, mais cela ne se vit pas à cause de sa peau hâlée.

— Ainsi, vous rêvez d’un pouvoir héréditaire ? Pourquoi ?

— Mon but est clair : pour améliorer la vie sur la planète. On peut y parvenir en renforçant le pouvoir jusqu’à ce qu’il soit totalement absolu. Le souverain doit être infiniment supérieur à tous les autres, il doit être le dieu de la planète et du peuple qui y vit.

— Il me semble que vous avez déjà atteint votre but, dit Rodis en cachant son trouble. Vous et vos acolytes, vous vous trouvez tout en haut, au-dessus de la population de Ian-Iah ; il en a été de même sur notre Terre, mais seulement dans les états très anciens.

Tchoïo Tchagass fronça les sourcils et soudain se pencha confidentiellement vers son interlocutrice et murmura :

— Comprenez donc que mon esprit n’est pas suffisamment universel pour que mes sujets s’inclinent tous sincèrement devant lui !…

— Mais vous êtes suffisamment intelligent pour le comprendre ! Comprendre qu’il est impossible à un seul homme d’embrasser la somme colossale de connaissances qu’exige une direction scientifique de la planète.

» Vous avez des savants qui peuvent vous aider. Dommage que vous n’ayez pas confiance en eux. Vous n’avez, d’ailleurs, confiance en personne.

— C’est vrai ! Je ne peux me passer d’eux, me passer de ces « Cvil », mais je ne leur fais pas confiance. Les savants sont des menteurs, des lâches et de mauvais serviteurs ! Pendant de nombreuses générations, ils ont trompé les dirigeants et le peuple de Ian-Iah et, pour autant que je sache, il en a été de même autrefois sur la Terre. Ils avaient promis que la planète pourrait nourrir une quantité illimitée de gens, mais ils n’avaient pas prévu que la Terre allait s’épuiser bien avant d’atteindre les chiffres limites qu’ils avaient fixé. Ils n’avaient pas étudié les dommages causés par les engrais chimiques qui empoisonnèrent les plantes et le sol, ils n’avaient pas appris que chaque individu devait disposer d’une surface vitale déterminée. Ignorant tout cela, ils ne se sont pas gênés pour tirer des conclusions catégoriques et il en est résulté une terrible catastrophe. Quatre-vingts ans de Famine et de Meurtres ! C’est vrai qu’ils ont payé pour leurs fautes et leur impudence. Des milliers de savants furent pendus, tête en bas, aux portes des villes ou devant les instituts scientifiques. Les savants nous ont toujours trompés, nous les souverains, et tout particulièrement les mathématiciens et les physiciens, car personne ne peut s’y retrouver dans leurs succès en dehors d’eux-mêmes. Ce sont des gens mesquins, vaniteux, gâtés par une vie facile et qui croient connaître les secrets du destin !

Faï Rodis, très intéressée par cette franchise, sourit d’un air pensif.

— Leurs erreurs sont dues au fait qu’ils n’utilisent pas de réflexion double, de dialectique véritable. Ils n’ont pas compris que dans un monde immense et varié, les méthodes mathématiques sont semblables à la langue : la langue n’est que l’une des structures les plus logiques de la pensée de l’homme. On peut jouer avec les mots, prouver tout ce que l’on veut et on peut y ajouter les preuves mathématiques que l’on veut. Les savants de la Terre se sont souvent amusés à de telles plaisanteries.

— Sans être pris ?

— Pourquoi punir pour une plaisanterie ? Il ne faut pas prendre cela au sérieux, ne soyez pas susceptible et mesquin. D’ailleurs, vous ressemblez aux mathématiciens : vous prenez des décrets et des lois et vous croyez que les mots peuvent changer les développements de la société et la marche de l’histoire.

— Qui peut le changer alors ?

— Seuls les gens eux-mêmes le peuvent !

— Mais nous exerçons une influence sur eux !

— Pas comme ça ! Toute violence engendre obligatoirement une contre-violence qui se développera implacablement. Elle ne se manifestera pas d’un seul coup, mais elle est inévitable et peut surgir là où on ne l’attend pas.

— Avez-vous des exemples ?

— Suffisamment. Prenez l’avancement des gens dans une société basée sur les rangs et les titres. Un tel système engendre automatiquement et inéluctablement une incompétence à tous les niveaux de la hiérarchie.

— Voilà pourquoi, je veux consolider tout le système en commençant par le haut. J’ai parlé des savants pour que vous compreniez que je veux donner à Ian-Iah un souverain dominant par la force de son intelligence les savants-laquais de son époque. Ils ont obtenu de moi beaucoup de moyens en promettant des réalisations techniques élevées. Il apparaît, en réalité, que chaque pas dans la voie de grandes découvertes coûte affreusement cher et excède de plus en plus les possibilités de la planète. Ce n’est pas par hasard que nous avons interdit les vols cosmiques. La science mène à une impasse. Je ne peux pas la supprimer, mais je suis incapable de prévoir ses erreurs et ses mensonges. Je ne peux que maintenir mes savants-laquais dans la terreur de lâcher sur eux n’importe quand la masse des « Cvic » qui les traiteront avec une telle cruauté que le souvenir en restera gravé des siècles durant !

— Un tel souvenir est déjà resté gravé sur Ian-Iah et sur la Terre après le pseudo-socialisme chinois.

— L’histoire se répète.

— C’est vous qui l’avez répétée. Mais puisque vous comprenez qu’il s’agit d’une erreur de l’humanité, pourquoi, une fois que vous l’avez admis, acceptez-vous sa répétition ?

— Pour réussir là où nos ancêtres ont échoué !

— Et vous rêvez d’un fils à l’intelligence remarquable auquel vous confieriez la planète ? demanda doucement Rodis.

— Exactement ! Quel noble but ! Vous affirmez que vous êtes venus ici pour le bien de mon peuple. Et voilà que vous avez la possibilité de faire réellement le bien !

Et Tchoïo Tchagass s’humecta les lèvres avec une émotion sincère.

— Comme vous êtes naïf, vous le souverain de la planète ! dit soudain Faï Rodis à voix haute.

— Quoi ?

Rodis tendit la main vers lui dans un geste apaisant.

— Excusez ma brusquerie injuste. Vous ne pouvez sortir de la noosphère de Ian-Iah. Tous les préjugés, les stéréotypes et le conservatisme de la pensée inhérents à l’homme règnent chez celui qui se trouve à la tête du gouvernement. Réflexions, pensées, rêves, idées, images accumulées dans l’humanité existent en vous sans qu’on s’en aperçoive, elles ont agi pendant des millénaires sur des générations successives. Parallèlement à ces images claires de maîtres, de créateurs de la beauté, de chevaliers du roi Arthur ou de bogatyrs russes, ont été créées les sombres chimères de tueurs-démons, de femmes sataniques et de sadiques. Existant sous la forme de clichés durables, d’expressions de la noosphère, elles ont pu provoquer non seulement des hallucinations mais produire aussi des résultats réels en agissant psychiquement sur la conduite des hommes. Au prix d’énormes difficultés, les hommes de la Terre ont purifié la noosphère du mensonge, du sadisme, des idées d’une méchanceté maniaque. Ici, chez vous, je sens physiquement une noosphère hérissée de grossièretés et de méchanceté. C’est vrai que les savants que vous détestez tant ont leur part de responsabilité dans cela. Voulant changer l’homme en machine, ils sont tombés dans une erreur dangereuse et ont répandu dans la noosphère une mentalité étroite, logiquement linéaire, considérée comme l’essence de l’esprit.