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Tchoïo Tchagass détestait son entourage mais ne pouvait sortir de l’impasse où l’avait conduit la poursuite de la politique du Sage Refus. Tchoïo Tchagass frappa la table de l’arête de sa main. « Et d’ailleurs, pourquoi chercher une issue ? Ce sont ces gens venus de notre lointaine patrie ancestrale qui ont apporté avec eux la confusion. La Terre est infiniment trop éloignée dans le temps et dans l’espace. Au fond, elle est inaccessible. Bientôt, l’astronef repartira et tout redeviendra comme avant. Qu’ils continuent à perdre leur temps inutilement et qu’ils repartent au plus vite ! Aujourd’hui, il s’était laissé à rêver comme un “Cvic” stupide et ce n’était pas la première fois ! Sa beauté, non, quelque chose d’incompréhensible dans cette sorcière brise sa volonté… Assez ! Tu penses, un otage ! Il me suffit d’appuyer sur le bouton d’appel… non, il y a sur le promontoire, près de la mer, cet astronef de malheur et, de plus, un autre peut arriver à la rescousse. L’envoyer en ville ? Je doute que ce soit sensé. Avec son esprit très fin et sa séduction satanique, elle mettra les esprits en effervescence. Je vais ordonner à Tael de la conduire aux Archives de l’Histoire. Qu’elle fouille dans les montagnes de documents, pendant que ses aides passeront en ville le temps qui leur est imparti. Les Archives se trouvent dans un vieux temple, entouré d’un jardin et d’un rempart, et les “yeux du souverain” veilleront avec l’aide de Tael à ce qu’elle ne quitte pas ce lieu. Mais si Tael tombait aussi sous son influence ? Sottises, il est trop minable pour se considérer comme l’ami de Rodis ! D’ailleurs, nous les surveillerons tous les deux. Quelque chose l’a également effrayée. Peut-être est-ce Tael ? Si elle a accepté de ne plus projeter les films, cela signifie que les Terriens commencent à comprendre qui est le maître ici ! »

Tchoïo Tchagass tendit la main vers la petite armoire, tripota un ressort secret. Une petite boîte surgit. Il en retira une boulette d’une substance noire parfumée qu’il mit dans la bouche. Il mâcha lentement en fixant le globe de cristal.

Pendant ce temps, Faï Rodis, fronçant les sourcils, l’air mécontent, s’examinait dans le miroir. Elle sentit la présence d’espions. Cette observation incessante commençait à l’irriter. Elle brancha l’écran et caressa son SVP noir, seul être proche et fidèle…

« Assez joué ! » dit-elle en rangeant sa robe de maharani sous la cloche du Neufpattes. Faï Rodis prit une douche ionique qui la lava de toute sensation, comme si elle avait été salie. Elle enfila une robe confortable à la jupe courte et ample et monta sur les tréteaux. Un pinceau à la main, elle regarda pendant quelques minutes, la silhouette de la femme. Elle n’était pas du tout satisfaite de son travail.

On entendit l’appel de « La Flamme sombre ».

— Êtes-vous fatiguée, Rodis ? demanda Grif Rift.

— Non, simplement mécontente de moi. Ça ne marche pas. Je comprends mal cette vie et je commets erreurs sur erreurs… Oh, non rien de sérieux, dit-elle pour le calmer en remarquant leurs visages angoissés.

— Tout va très bien chez nous, dit Olla Dez. Il y a une heure, nous nous sommes baignés dans la mer de Tormans. Et nous éprouvons tous un sentiment bizarre de déception sans comprendre pourquoi.

— Je viens juste de deviner pourquoi, dit Neïa Holly. Ici, la teneur en sel et la concentration sont différentes de celles de la Terre.

— Alors, même la mer ne peut apporter de joie aux Tormansiens, dit Faï Rodis, car leur sang a comme le nôtre hérité de la teneur en eau de l’Océan Mondial de la Terre. Ils portent dans leur sang la mer terrestre et, bien sûr, sa nostalgie…

La courte entrevue prit fin. Rodis se remit à son tableau, sans avoir recouvré sa sérénité habituelle. Elle dessina une femme vigoureuse et compétente symbolisant la Mesure. La femme était penchée sur les gens, la main tendue, prête d’un bond à faire monter le premier qui arriverait jusqu’à elle. Son visage avait la même certitude dans la victoire finale que celui de Tael. Ayant vu peu de temps auparavant une variante de ce portrait, Tael avait dit à Rodis que la « Mesure » lui ressemblait.

Rodis travailla presque toute la nuit, ne soupçonnant pas qu’il lui faudrait bientôt quitter les Jardins de Tsoam.

Chapitre X

LA FLÈCHE D’AHRIMAN

Tchedi Daan ne s’était pas encore habituée au bruit de la capitale de Tormans. Des sons inattendus parvenaient jusqu’à sa chambre minuscule, au quatrième étage d’une maison située dans la partie basse de la ville du Centre de la Sagesse. Construits en matériaux bon marché, non insonorisés, les murs et les plafonds bourdonnaient du bruit des gens du dessus. On entendit une musique aiguë, discordante. Tchedi s’efforça de déterminer d’où venait ce vacarme, cherchant à comprendre pourquoi les gens étaient si bruyants, alors qu’ils savaient pertinemment que leurs voisins en seraient gênés. Toute la maison résonnait, on avait sans cesse les oreilles blessées par des coups, des craquements, des grincements ou par la vibration des conduites d’eau longeant les murs peu épais.

Tchedi comprit que les maisons avaient été construites n’importe comment et n’avaient pas été prévues pour un nombre aussi grand de locataires, que la rue, tracée sans tenir compte de la résonance, amplifiait encore le tapage. Elle essaya par tous les moyens d’atténuer le chahut afin de pouvoir se concentrer, mais ce fut peine perdue. Dès que Tchedi s’isolait du chœur discordant des bruits, des coups sourds et aigus se faisaient entendre. C’étaient les portes des maisons ou des voitures qui claquaient. Claquer les portes le plus bruyamment possible était considéré comme très chic par les Tormansiens, généralement mal élevés. Tout d’abord, il apparut clairement que les Tormansiens ne savaient absolument pas s’adapter aux conditions de leur vie à l’étroit et qu’ils continuaient à se conduire comme s’ils avaient quitté la veille des steppes immenses.

Tchedi alla à la fenêtre qui donnait sur la rue. Les vitres fines et inégales déformaient les contours de la maison opposée, dont la masse sombre cachait le ciel. Les yeux perçants de Tchedi remarquèrent la petite fumée des gaz saturés en oxyde de carbone et en plomb, qui sortait des tunnels réservés aux poids lourds.

Au début, Tchedi perçut physiquement – et non en se référant à son imagination comme dans les cours d’histoire – l’étroitesse, la chaleur étouffante et l’incommodité de la ville construite uniquement pour nourrir et ravitailler à bon marché une masse indispensable et anonyme, quantité abstraite de personnes à qui il fallait de l’eau et des vivres.

Inutile de penser à se concentrer et à se reposer, avant d’apprendre à s’isoler de la cacophonie incessante.

Il lui fallut également s’habituer à porter des vêtements. Tchedi contraignit tous les muscles de son corps à remuer, massant sa peau qui la démangeait sous les vêtements. Rien à dire sur ce qu’elle portait : une blouse couleur acier à grands revers, retenue par une ceinture noire souple, un pantalon large en tissu agréable. Mais elle fut obligée de porter des sous-vêtements, tout à fait inconnus des habitantes de la Terre : soutien-gorge et jupon rêches. Ses nouveaux amis lui affirmèrent que sortir dans la rue sans ces articles étranges pouvait provoquer un scandale.