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— D’accord, dit-il en tendant la main.

— Et, dites que c’est Evisa Tanet qui vous a envoyé.

— Evisa Tanet, quel nom !

Les six hommes disparurent dans le parc. Un groupe bruyant de médecins de l’hôpital Central approcha et se dirigea vers Evisa. Ils étaient venus en voiture collective.

Le médecin-chef sortit du fourré, leur demanda de l’aide et, en silence, ils emmenèrent le malade vers la voiture.

— Qui est-ce ? demanda Evisa à l’un de ses collègues de l’hôpital.

— Un écrivain célèbre. Qu’est-ce qu’ils lui ont mis ! Son interlocuteur eut un sourire content, comme s’il était tout à fait du côté des « Cvic ».

Perplexe, Evisa franchit l’étroit portail d’entrée en compagnie des médecins.

Le style à l’intérieur de l’édifice était celui que l’on trouvait normalement sur Tormans. De lourdes portes donnaient sur un large vestibule, un grand escalier montait vers une salle encadrée d’une double colonnade. Beaucoup de gens se pressaient dans le vestibule. Leurs regards se tournèrent aussitôt vers Evisa. On conduisit l’invitée tout en haut et on l’installa dans une galerie latérale sur un divan râpé. Tous les arrivants restèrent en bas dans le corridor animé.

— Ils attendent quelqu’un ? demanda Evisa, passant près d’un homme âgé en blouse jaune.

— Bien sûr, répondit-il brièvement. Les présidents de l’Assemblée Supérieure doivent nous honorer de leur présence.

— Pourquoi « honorer de leur présence » et pas tout simplement venir ?

L’interlocuteur regarda Evisa effrayé, puis autour de lui et disparut derrière les colonnades.

L’attente se prolongea pendant plus d’une demi-heure, puis, il devint évident que les dignitaires ne viendraient pas. La foule qui était en bas se déchaîna. À grand renfort de bruit et de rires, ils se précipitèrent tous vers l’escalier menant à la salle. Le médecin-chef vint chercher Evisa pour la conduire sur une estrade où avaient pris place les médecins de la capitale les plus connus et les invités d’honneur des autres points de la planète. Evisa refusa, assurant qu’elle ne méritait absolument pas d’être placée là, étant un simple médecin de la Flotte Stellaire. Elle s’installa près d’une colonne à une extrémité de la salle, sentant sur elle le regard de toute l’assistance et préoccupée par son intervention prochaine.

Les orateurs se succédèrent sans se presser. Ils parlèrent longuement de choses tout à fait évidentes, stipulant à l’avance la tendance des exposés, ce que les Tormansiens appellent un bref discours inaugural. On sentait partout que ce flot de banalité n’intéressait personne. Evisa le vit aux visages ennuyés, au bruit de la salle qui couvrait à peine le murmure des haut-parleurs transmettant le discours des orateurs.

Enfin, le président de séance déclara que le médecin venu de la Terre désirait s’adresser aux médecins de Tormans.

Evisa traversa la salle et alla à la tribune. La jeunesse, ravie, l’accueillit en sifflant et en frappant vigoureusement sur les bras des fauteuils. Aussi sauvage que fussent de tels hurlements et de tels bruits, cela venait de bons sentiments. S’inclinant, Evisa remercia les Tormansiens. Lorsqu’elle se mit à parler avec son doux et ineffable accent terrien que les haut-parleurs n’arrivaient pas à durcir, un silence incroyable régna dans la salle. Les Tormansiens ne quittèrent pas Evisa des yeux. Leurs regards s’attardèrent sur ses yeux topazes gais et attentifs, et descendirent jusqu’à ses pieds musclés chaussés d’étranges souliers bleus et brillants. Ils s’efforçaient de comprendre en quoi cette femme ressemblait et ne ressemblait pas aux femmes de Ian-Iah.

— Vos aînés ont souhaité que je connaisse la médecine de Ian-Iah, afin que j’analyse les erreurs des médecins et que je parle des réalisations de la Terre. Mais mes connaissances de la science de Ian-Iah sont minces et, surtout, je n’ai ni les critères de base indispensables pour juger de n’importe quelle science, ni la notion du rôle qu’elle joue dans le bonheur de l’homme. C’est pourquoi, agir en tant que conseiller ou critique, aurait été de ma part présomptueux et injustifié. Tout ce que je peux faire, c’est vous parler des obstacles que la Terre a surmonté…

» L’enseignement de n’importe quel sujet, particulièrement des différents départements de la science, commence chez nous par l’examen du développement historique et de toutes les erreurs commises en cours de route. Ce faisant, l’humanité lutte avec la tendance spécifique d’oublier ce qui est désagréable, elle se protège contre les chemins erronés et les répétitions des échecs passés, si nombreux au cours de l’histoire pré-communiste. Déjà à l’EMD, on se rendit compte de l’étonnante différence entre les forces et les moyens matériels dépensés dans la médecine et la science d’intérêt militaire et technique.

» Les esprits supérieurs s’intéressèrent à la physique, la chimie et les mathématiques. En progressant, la biologie et la médecine ont eu une vision du monde qui les a amenées à se séparer des sciences physiques et mathématiques, même si elles utilisaient apparemment et, à une grande échelle, leurs méthodes et leurs appareils de recherche.

» Finalement, le milieu naturel de l’homme et l’homme lui-même en tant que partie de ce milieu apparurent aux yeux de l’humanité comme quelque chose d’hostile qui devait être temporairement subordonné aux buts de la société.

» Les savants oubliaient que le grand équilibre de la nature et la construction de l’organisme étaient le résultat d’un chemin historique d’une durée et d’une complexité inimaginables, ayant des liens de réciprocité et de dépendances. L’étude, même superficielle, de cette complexité a exigé un travail de plusieurs siècles. Avant d’y parvenir, l’humanité de la Terre s’est mise à adapter inconsidérément et à la hâte la nature à des fins utilitaires éphémères sans tenir compte des conditions biologiques indispensables aux gens. Et l’homme – héritier du chemin tourmenté parcouru pendant des milliards d’années par la planète – s’est mis, comme un fils ingrat et sot, à gaspiller, à transformer en entropie le capital de base qui était parvenu jusqu’à lui : énergie accumulée dans la biosphère qui, comme un ressort tendu, a été utilisée pour faire faire un bond technique à l’humanité…

Evisa s’arrêta et aussitôt, on entendit dans la salle le bruit des mains tapant sur le bois des fauteuils. Le thème abordé était trop proche de la planète Ian-Iah totalement ruinée par la folie de leurs ancêtres.

Evisa qui n’était pas habituée à une réaction de ce genre de la part de l’assistance regarda, immobile et désemparée, l’auditoire bruyant jusqu’à ce que le président calme l’enthousiasme des auditeurs.

Elle ne voulait absolument pas échauffer les passions de l’auditoire irascible, ce qui aurait conduit à perdre toute perception critique et sensée. Elle décida d’être plus prudente.

Elle parla du triomphe de courte durée de ceux qui, croyant avoir vaincu certains syndromes isolés de maladies grâce à des procédés chimiques, fabriquèrent annuellement des milliers de nouveaux médicaments tout à fait illusoires. En supprimant de menus phénomènes, les savants ne s’aperçurent pas des conséquences énormes. Écrasant la maladie sans guérir les malades, ils provoquèrent une grande quantité d’allergies dont la forme la plus terrible et la plus répandue fut le cancer. L’étroitesse des appartements, des écoles, des magasins et des salles de spectacle furent cause d’allergies, nées de ce que l’on appelle l’hypertension artérielle, tandis que les transports rapides aériens eurent pour conséquence un va-et-vient incessant de nouvelles espèces de microbes et de virus d’un bout de la planète à l’autre… Dans ces conditions, les filtres bactériologiques – comme par exemple les amygdales, les sinus ou les ganglions lymphatiques – élaborés par l’organisme au cours de l’évolution biologique devinrent des foyers d’infection. De même que l’usage exagéré de médicaments et de la chirurgie fut nocive pour les structures défensives de l’organisme, de même l’usage exagéré de la puissance détruisit les structures défensives de la société que sont la loi et la morale.