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— Mais vous avez appris à maîtriser cette force grâce à des produits chimiques, des médicaments ?

La question fut posée par un neurochirurgien connu d’Evisa.

— Il vaut mieux ne pas intervenir dans le problème très complexe des hormones qui sont la base psychologique de l’individu, mais emprunter la voie naturelle de l’éducation érotique.

— Et vous enseignez l’érotisme aux jeunes hommes et aux jeunes filles ? C’est inouï ! s’écria le neurochirurgien.

— Il y a quelques millénaires qu’on a commencé à le faire sur la Terre. L’érotisme des temples de l’Hellade, de la Phénicie, de l’Inde, appartient au culte religieux. Les Dévadâsi sont les danseuses du temple qui ont appris et pratiqué l’érotisme intensément afin de supprimer complètement les tendances sexuelles et ramener l’homme à d’autres pensées. Il existe aussi des rites tantriques pour les femmes.

— Cela signifie-t-il que sur la Terre le culte de la passion et des femmes a toujours existé ? demanda une auditrice âgée. Ici, on commence à peine à parler de licence et de dépravation…

— Pas du tout ! Dans les sociétés primitives, bien avant l’ère communiste, les femmes étaient descendues au niveau de la bête de somme. Il y avait des rites soi-disant « sacrés » consistant en des opérations spéciales, comme la clitorectomie, qui privaient la femme de toute jouissance sexuelle.

— Dans quel but ? s’écrièrent les Tormansiens effrayés.

— Afin que la femme n’exige rien et accomplisse humblement ses obligations de servante et de machine à procréer.

— Comment étaient leurs enfants ?

— C’étaient des sauvages sombres et cruels. Comment aurait-il pu en être autrement ?

— Et vous avez réussi à changer tout cela ?

— Nous autres ici nous sommes les descendants de toutes les races de la Terre…

— Par le Grand Serpent ! Que d’obstacles sur la route menant à la bonté véritable et à l’amour ! pensa à voix haute une jeune Tormansienne assise au premier rang, les jambes croisées.

— Tout est réalisable, lorsqu’on aborde les questions sexuelles de façon sensée et sérieuse. Rien n’est plus préjudiciable et plus humiliant pour un homme qu’une femme qui exige l’impossible de lui. La femme ressent comme une offense la nécessité d’une restriction volontaire, l’obligation de « sauver son amour », comme on disait autrefois. Les deux sexes doivent considérer avec le même sérieux l’aspect sexuel de la vie…

Un reniflement dédaigneux se fit entendre. Un médecin de haute taille, portant sur la poitrine une sorte de broche brillante, se leva et avança, regardant Evisa avec arrogance.

— J’attendais d’autres révélations d’une envoyée de la Terre. Tout cela est vieux comme les Étoiles Blanches. Pratiquez-vous, comment dire, la connaissance préliminaire de chaque couple ?

— Bien sûr ! Afin de rester longtemps un couple d’amoureux.

— Et si cela ne dure pas longtemps ?

— Tous les deux y auront gagné, puisqu’ils sont éduqués par Éros !

— C’est impossible chez nous ! Ou alors, les Terriens ne possèdent pas le sentiment essentiel à tout amour : la jalousie. Dire à tout le monde : voilà ma femme !

— Ce genre de jalousie n’existe pas. C’est une séquelle du choix primitif sexuel : entrer en rivalité pour une femelle ou pour un mâle, peu importait. Plus tard, avec l’instauration du patriarcat, la jalousie fondée sur l’instinct de responsabilité a fleuri, puis s’est éteint momentanément lors de la réglementation érotique des temps anciens pour refleurir à l’époque du féodalisme sous la forme du complexe d’infériorité né de la crainte qu’on établisse des comparaisons. D’ailleurs, la terrible intolérance de vos dirigeants est un phénomène du même ordre. On se proclame le meilleur, pour que personne n’ose placer quelqu’un au-dessus de vous !

» Chez nous sur la Terre, les hommes et les femmes, forts et tranquilles ne sont pas jaloux et acceptent même une incompréhension passagère. Car ils savent que le bonheur suprême de l’homme est à leur portée !

Le contradicteur enveloppa Evisa d’un regard connaisseur.

— C’est sûrement possible, parce que vous les Terriens, êtes si froids que votre étonnante beauté physique repousse au lieu d’attirer. Une partie des hommes applaudit en signe d’approbation.

Evisa eut un rire sonore.

— En venant ici, j’ai entendu une conversation entre des personnes qui sont présentes et qui appréciaient mes qualités en termes tout à fait différents. Et je sens maintenant que l’on s’intéresse à mes jambes. Evisa regarda ses genoux ronds, croisés sous sa courte robe. Je n’ai pas cessé une minute de ressentir que l’on me désirait. Par conséquent, la froideur n’empêche pas l’attirance et mon contradicteur a tort.

Les femmes médecins remercièrent Evisa par des applaudissements approbateurs.

— Nous sommes réellement froids, tant que nous ne nous abandonnons pas à l’érotisme, mais alors…

Evisa se leva et se redressa lentement, toute tendue, comme si un danger la menaçait. Et les Tormansiens assistèrent à la métamorphose de l’astronavigante. Ses lèvres s’entr’ouvrirent comme pour chanter ou parler, ses yeux « tigrés » devinrent presque noirs. La poitrine de la jeune femme, déjà provocante et haute, se souleva davantage. Son cou élancé sembla se séparer de ses épaules étroites et droites d’une pureté et d’un satiné incroyables dont la partie dénudée et hâlée se colora d’émotion. À la place du savant aimable qui discutait tranquillement se trouvait une femme – l’essence même de son sexe – d’une beauté provocante et d’une force dangereuse, attirante et légèrement méprisante…

La métamorphose était si étonnante que les auditeurs reculèrent.

— Serpent ! Ô Serpent ! chuchotèrent les Tormansiens stupéfaits.

Profitant du trouble, Evisa se dirigea vers la clairière et personne n’osa l’arrêter.

Tchedi marchait lentement dans la rue, fredonnant doucement et s’efforçant de retenir la chanson qu’elle avait dans la tête. Elle voulait aller sur la grande place, l’espace lui manquait. Les chambrettes-cellules exiguës, dans lesquelles elle se trouvait constamment l’oppressaient de manière insupportable. « Sans pouvoir, par instants, venir à bout de son chagrin, n’ayant ni la force de regarder, ni celle de respirer ». Tchedi se mit à errer, évitant les petits squares et les places misérables. Elle voulait aller dans le parc. Elle sortait le plus souvent seule maintenant. Parfois, des « violets » ou des gens portant le signe de « l’œil » sur la poitrine l’arrêtaient. Chaque fois, la petite carte la tirait d’embarras. Tsasor lui fit remarquer une petite ligne de signes soulignée d’un trait rouge signifiant « montrer une attention particulière ». Comme le lui expliqua Tsasor, c’était un ordre catégorique adressé à tous les Tormansiens quel que soit leur lieu de travail – restaurant, magasin, salon de coiffure ou transport – ordre qui leur enjoignait de servir Tchedi le plus vite et le mieux possible. Lorsque Tchedi sortait avec Tsasor, elle n’utilisait pas la petite carte, sachant par expérience, combien il était difficile à un simple habitant de la capitale d’avoir non seulement des relations particulières, mais des relations ordinaires et bonnes. Mais à peine la petite carte apparaissait-elle que des gens grossiers se courbaient en humbles saluts, tout en s’efforçant de se débarrasser au plus vite de la visiteuse dangereuse. Ces revirements causés par la peur répugnaient tellement à Tchedi qu’elle n’utilisait sa carte que pour se protéger des « violets ».