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— Pour faire court, la réponse est oui, presque certainement.

Rajamani était un jeune homme soigné et précis, pénétré de sa propre importance. Son travail était de surveiller les niveaux de risque du fonds et de s’assurer de la légalité des opérations. Quarry l’avait débauché de la Financial Services Authority de Londres six mois plus tôt pour leur servir plus ou moins de vitrine.

— Oui ? répéta Quarry. Même s’il était impossible que nous sachions ce qui allait se produire ?

— La procédure est automatique. Les algorithmes des régulateurs auront détecté toute activité anormale autour des titres de la compagnie aérienne juste avant l’effondrement des cours. Ça les conduira directement à nous.

— Mais nous n’avons rien fait d’illégal.

— Non, à moins d’avoir saboté cet avion.

— Mais on ne l’a pas fait, n’est-ce pas ? dit Quarry en parcourant la pièce du regard. Je sais bien que j’encourage les initiatives personnelles…

— Mais ce qu’ils vont vouloir savoir, néanmoins, reprit Rajamani, c’est pourquoi nous avons vendu à découvert douze millions et demi de titres à ce moment précis. Je sais que ça paraît complètement absurde, Alex, mais le VIXAL a-t-il eu un moyen quelconque d’être au courant du crash avant le reste du marché ?

Hoffmann laissa à contrecœur retomber les lamelles du store dans un cliquetis, puis se retourna vers ses collègues.

— Le VIXAL a un accès numérique direct à Reuters — cela lui donne peut-être un avantage d’une seconde ou deux sur un trader humain, mais rien de plus que plein d’autres systèmes algorithmiques.

— On n’aurait pas pu faire grand-chose dans ce laps de temps de toute façon, déclara van der Zyl. Une position de l’ampleur de la nôtre aurait pris des heures à organiser.

— Quand a-t-on commencé à prendre les options ? demanda Quarry.

— Dès l’ouverture des marchés européens, répondit Ju-Long. À 9 heures.

— On ne pourrait pas passer à autre chose ? fit Hoffmann avec irritation. Il ne nous faudra même pas cinq minutes pour montrer au plus borné des régulateurs que la vente de ces titres à découvert faisait partie de tout un ensemble de paris sur la baisse. Ça n’avait rien de particulier. C’était une coïncidence. Point.

— Bon, en me plaçant du point de vue du régulateur borné, dit Rajamani, je dois dire que je suis d’accord avec vous, Alex. C’est l’ensemble qui importe, et c’est bien pour ça, en fait, que je voulais vous parler, plus tôt dans la matinée, si vous vous rappelez.

— Oui, je suis désolé, mais j’étais en retard pour la présentation.

Quarry n’aurait jamais dû engager ce type, songea Hoffmann. Régulateur un jour, régulateur toujours — c’est comme un accent étranger : on n’arrive jamais à dissimuler complètement d’où on vient.

— Ce sur quoi nous devons vraiment nous concentrer, c’est notre niveau de risque si les cours reprennent — Procter & Gamble, Accenture, Exelon, il y en a des dizaines : des dizaines de millions d’options prises depuis mardi soir. Et chaque fois on se retrouve avec des mises gigantesques et personne pour contrer.

— Et puis il y a aussi le problème de notre exposition au VIX, qui m’inquiète depuis plusieurs jours, maintenant, ajouta van der Zyl. Je vous en ai parlé la semaine dernière, Hugo, vous vous rappelez ?

Il avait autrefois enseigné l’ingénierie à l’Université de technologie de Delft et en avait gardé une approche pédagogique des choses.

— Où en sommes-nous sur le VIX ? s’enquit alors Quarry. J’ai été tellement occupé à préparer cette présentation que je n’ai pas vraiment vérifié nos positions depuis un moment.

— La dernière fois que j’ai regardé, nous arrivions à vingt mille contrats.

— Vingt mille ? répéta Quarry en coulant un regard vers Hoffmann.

— Nous avons commencé à accumuler les futures VIX en avril, quand l’indice était à dix-huit, précisa Ju-Long. Si nous avions vendu plus tôt dans la semaine, nous aurions fait une très bonne opération, et je supposais que c’était ce que nous allions faire. Mais, au lieu de suivre la logique et de vendre, nous continuons d’acheter. Encore quatre mille contrats à 25 la nuit dernière. Ça fait un sacré niveau de volatilité implicite.

— Je suis sérieusement inquiet, avoua Rajamani. Franchement. Nos carnets d’ordres ne ressemblent plus à rien. On est longs en or. On est longs en dollars. On est short sur tous les indices de contrats à terme.

Hoffmann les dévisagea tour à tour — Rajamani, puis Ju-Long et van der Zyl — et il eut soudain la certitude qu’ils s’étaient tous arrangés avant la réunion. C’était un guet-apens — un guet-apens de bureaucrates de la finance. Aucun d’entre eux n’était qualifié pour être un quant. Il sentit la colère monter. Il demanda :

— Alors, Gana, qu’est-ce que vous proposez ?

— Je crois qu’on devrait commencer à liquider certaines de ces positions.

— C’est bien la pire connerie que j’aie jamais entendue, répliqua Hoffmann qui, dans son emportement, frappa d’un revers de main les lamelles de store contre la vitre. Putain, Gana, on a fait près de 80 millions de dollars la semaine dernière. On en a engrangé 40 millions rien que ce matin. Et vous voudriez qu’on ne tienne pas compte de l’analyse du VIXAL et qu’on en revienne au trading discrétionnaire ?

— Il ne s’agit pas de ne pas en tenir compte, Alex. Je n’ai jamais dit ça.

— Laisse-le tranquille, Alex, intervint Quarry. Ce n’était qu’une suggestion. C’est son boulot de se préoccuper des risques.

— Non, il n’est pas question que je le laisse tranquille. Il voudrait qu’on renonce à une stratégie qui présente un alpha considérable, et c’est exactement ce genre de réaction insensée et illogique, fondée sur la peur de la réussite, que le VIXAL est conçu pour exploiter ! Et si Gana ne croit pas à la supériorité des algorithmes sur le cerveau humain quand il s’agit de jouer en Bourse, c’est qu’il n’est pas à sa place ici.

Rajamani ne se laissa pas démonter par la tirade du patron de la société. Il avait la réputation de ne jamais rien lâcher et, à la FSA, il s’en était pris carrément à Goldman.

— Je dois vous rappeler, Alex, répliqua-t-il, que dans la brochure de la société, on promet au client une exposition à la volatilité annuelle n’excédant pas 20 %. Si je vois que les limites de risque contractuelles sont sur le point d’être dépassées, je suis obligé d’intervenir.

— Ce qui signifie ?

— Ce qui signifie que si on ne ramène pas notre niveau d’exposition, je devrai en avertir les investisseurs. Ce qui signifie que je dois absolument en référer au conseil d’administration.

— Mais c’est ma boîte.

— Et c’est l’argent des investisseurs. En grande partie.

Dans le silence qui suivit, Hoffmann se massa vigoureusement les tempes du bout des doigts. Il avait à nouveau très mal à la tête et il lui fallait un antalgique.

— Le conseil d’administration ? marmonna-t-il. Je ne suis même pas sûr de savoir qui ça comprend.

C’était en fait une entité juridique purement technique, enregistrée aux îles Caïmans pour raisons fiscales, qui contrôlait l’argent des clients et réglait au fonds de placement ses frais de gestion et ses primes.

— D’accord, dit Quarry, je ne crois pas qu’on en soit encore là, loin s’en faut. Comme on dit à l’armée, du calme et on avance, ajouta-t-il avant de gratifier l’assemblée d’un de ses sourires les plus conquérants.