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— Effectivement. L’argent a été intégralement restitué le mois dernier, avec les intérêts.

— Et vous n’en avez jamais discuté avec moi ?

— Non, Alex, répondit tranquillement le Chinois. Pourquoi l’aurais-je fait ? Comme vous l’avez dit, c’est votre boîte.

— Oui, évidemment. Merci, LJ.

— Pas de souci.

Hoffmann se retourna sur le seuil de la porte.

— Et ce n’est pas de ça que vous parliez avec Gana et Pieter ?

— Non.

Hoffmann se dépêcha de regagner son bureau. 42 millions de dollars ? Il était certain de n’avoir jamais demandé le transfert d’une telle somme. Il n’aurait pas pu oublier. Ce ne pouvait être qu’un détournement de fonds. Il passa devant Marie-Claude, occupée à taper sur son clavier, à son poste de travail, juste devant la porte, et se rendit directement à son terminal. Il se connecta et ouvrit sa boîte de réception. Il y trouva effectivement sa demande de transférer 42 032 127,88 dollars vers la Royal Grand Cayman Bank Limited datée du 17 juin de l’année précédente. Et, juste en dessous, une notification de la banque du hedge fund concernant un remboursement de 43 188 037,09 dollars en provenance du même compte et daté du 3 avril.

Il effectua un rapide calcul dans sa tête. Quel fraudeur remboursait le capital qu’il avait détourné en y ajoutant très exactement 2,75 % d’intérêt ?

Il revint en arrière et examina ce qui était censé être son mail d’origine. Il ne portait ni formule de politesse ni signature, mais simplement l’instruction standard habituelle de transférer le montant X sur le compte Y. LJ avait dû la faire exécuter sans la moindre hésitation, sans douter un instant de la sécurité de leur Intranet protégé par les meilleurs pare-feu disponibles sur le marché, et du fait qu’il y aurait de toute façon, le moment venu, une conciliation électronique des comptes. Si l’argent s’était présenté sous forme de lingots d’or ou de valises de billets, ils se seraient certainement montrés plus attentifs. Or, il ne s’agissait pas à proprement parler d’argent au sens physique du terme, mais de chaînes et suites de caractères lumineux sans plus de substance qu’un protoplasme. C’est comme ça qu’ils trouvaient le sang-froid de faire ce qu’ils faisaient.

Il vérifia l’heure à laquelle il était censé avoir envoyé le mail ordonnant le transfert : minuit pile.

Il se renversa en arrière sur son siège et examina le détecteur de fumée au plafond, au-dessus de la table. Il lui arrivait souvent de travailler tard au bureau, mais jamais jusqu’à minuit. Ce message, s’il était authentique, devait donc forcément provenir de son ordinateur personnel. Y avait-il une possibilité qu’en vérifiant les messages envoyés depuis chez lui il puisse trouver trace de ce mail ainsi que de la commande au bouquiniste hollandais ? Souffrait-il d’une sorte de syndrome à la Jekyll et Hyde qui voulait que la moitié de son cerveau agisse à l’insu de l’autre moitié ?

Pris d’une impulsion soudaine, il ouvrit le tiroir de son bureau, en sortit le CD et l’inséra dans le lecteur de son ordinateur. Le programme mit un moment à charger, puis l’écran se remplit d’un catalogue de deux cents images monochromes de l’intérieur de son crâne. Il les fit défiler rapidement, cherchant à trouver celle qui avait attiré l’attention de la radiologue, mais c’était sans espoir. Visionné à cette vitesse, son cerveau parut émerger du néant, enfler jusqu’à devenir un nuage de matière grise, puis se contracter à nouveau pour redevenir néant.

Il appela son assistante sur l’interphone.

— Marie-Claude, si vous voulez bien chercher dans mon agenda personnel, vous trouverez les coordonnées du docteur Jeanne Polidori. Vous voulez bien me prendre un rendez-vous avec elle pour demain après-midi ? Dites-lui que c’est urgent.

— Oui, docteur Hoffmann, pour quelle heure ?

— N’importe quelle heure. Et puis je voudrais aller à la galerie où ma femme fait son exposition. Vous connaissez l’adresse ?

— Oui, docteur Hoffmann. Quand voulez-vous partir ?

— Tout de suite. Vous pouvez m’avoir une voiture ?

— Vous avez un chauffeur à disposition à n’importe quelle heure de la journée, maintenant. C’est M. Genoud qui s’en est occupé.

— Oh, oui, c’est vrai, j’avais oublié. Bon, dites-lui que je descends.

Il éjecta le CD et le rangea dans le tiroir, avec le volume de Darwin, puis il prit son imperméable. En traversant la salle des marchés, il jeta un coup d’œil vers la salle de conférence. À un endroit où les stores n’étaient pas complètement tirés, il aperçut à travers les lamelles Elmira Gulzhan et son petit ami avocat penchés au-dessus d’un iPad, sous le regard de Quarry, qui avait les bras croisés. Il paraissait plein de suffisance. Étienne Mussard, qui présentait son dos voûté aux autres, entrait des chiffres sur une grande calculatrice de poche avec une lenteur de vieux monsieur.

Sur le mur d’en face, Bloomberg et CNBC affichaient des colonnes de flèches rouges, toutes en baisse. Les marchés européens avaient déjà perdu leurs gains d’ouverture et commençaient à dévisser. Cela affecterait très certainement l’ouverture des cotations américaines, ce qui aurait pour effet de rendre les positions du hedge fund beaucoup moins exposées dès le milieu de l’après-midi. Hoffmann sentit le soulagement l’envahir. Il éprouva même une bouffée d’orgueil. Une fois de plus, le VIXAL se montrait plus malin que les humains qui l’entouraient.

Sa bonne humeur persista dans l’ascenseur qui l’amena au rez-de-chaussée et lorsqu’il pénétra dans le hall, où une silhouette trapue en costume sombre bas de gamme se leva pour l’accueillir. De toutes les manies des nantis, Hoffmann n’en avait jamais trouvé aucune aussi absurde que celle d’avoir un garde du corps qui vous attende à la sortie d’une réunion ou d’un restaurant ; il s’était souvent demandé de qui les riches avaient aussi peur, sinon, peut-être, de leurs actionnaires ou d’un membre de leur famille. Mais, ce jour-là, il fut heureux de trouver cet homme poli au physique de brute qui l’attendait et lui montra sa carte en se présentant comme étant Olivier Paccard, l’homme de la sécurité *.

— Si vous voulez bien attendre un instant, docteur Hoffmann, demanda Paccard. (Il leva la main afin de réclamer poliment le silence et regarda au-dehors. Il avait un fil relié à son oreille.) C’est bon, dit-il. On peut y aller.

Il s’avança rapidement vers l’entrée et appuya sur le bouton d’ouverture avec le bas de sa paume à l’instant même où une longue Mercedes sombre se garait contre le trottoir, conduite par le même chauffeur qui était venu chercher Hoffmann à l’hôpital. Paccard sortit le premier, ouvrit la portière arrière et fit monter Hoffmann. Il effleura brièvement la nuque du physicien et, avant même qu’Hoffmann fût complètement installé sur la banquette, Paccard s’était déjà assis à l’avant, toutes portières refermées et verrouillées, et la voiture se glissait dans la circulation de midi. L’ensemble de la procédure n’avait pas dû prendre plus de dix secondes.

Ils tournèrent brusquement à gauche, faisant crisser les pneus, et foncèrent dans une petite rue sombre qui débouchait sur le lac et tout un paysage de montagnes lointaines. Le soleil n’avait toujours pas réussi à percer les nuages. La colonne blanche du Jet d’eau dressait ses cent quarante mètres contre le ciel gris pour se dissoudre en son sommet en une pluie glaciale qui retombait en cataracte sur la surface noire du lac. Les flashes des appareils des touristes qui se photographiaient au pied du jet lançaient des éclairs dans la pénombre.

La Mercedes accéléra pour prendre un feu rouge de vitesse, puis opéra un nouveau virage serré vers la gauche, emprunta la rue à quatre voies et se retrouva immobilisée devant le Jardin anglais, coincée par un obstacle invisible. Paccard tendit le cou pour voir ce qui se passait.