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— Oui, reconnut patiemment Rajamani, mais c’est un bénéfice purement théorique qui pourrait disparaître à l’instant où le marché remonte.

— Et est-ce que le marché remonte ?

— Non, je reconnais que, pour le moment, le Dow est en baisse.

— Eh bien, messieurs, voilà le dilemme. Nous sommes tous d’accord sur le fait que le fonds doit être couvert, mais nous devons aussi reconnaître que le VIXAL a jusqu’à présent mieux évalué que nous les places financières.

— Oh, allons, Hugo ! Il y a de toute évidence quelque chose qui cloche ! Le VIXAL est censé opérer dans les limites de certains paramètres de risques, et ce n’est pas ce qu’il fait. Donc, il y a dysfonctionnement.

— Je ne suis pas d’accord. Il a eu raison pour Vista Airways, non ? C’était carrément extraordinaire.

— C’était une coïncidence. Même Alex en est convenu. (Rajamani se tourna vers Ju-Long et van der Zyl.) Allons, les gars, soutenez-moi, là. Pour que ces positions soient défendables, il faudrait que ce soit le monde entier qui s’écrase dans les flammes.

Ju-Long leva la main, comme un écolier.

— Puisqu’on en parle, Hugo, je pourrais vous poser une question sur la vente à découvert de Vista Airways ? Quelqu’un a vu les dernières infos ?

Quarry se laissa retomber lourdement sur le canapé.

— Non, pas moi. Je n’ai pas eu le temps. Pourquoi ? Qu’est-ce qu’ils disent ?

— Que le crash n’était pas dû à une défaillance technique mais à un genre de bombe terroriste.

— D’accord. Et ?

— Il semble qu’il y a eu un avertissement posté sur un site jihadiste alors que l’avion était encore en vol. Les services de renseignements n’ont rien vu et, bien sûr, ça suscite pas mal de réactions de colère. Ça s’est passé à 9 heures ce matin.

— Désolé, LJ, je suis un peu lent à la comprenette. En quoi ça nous concerne ?

— C’est juste que c’est à 9 heures exactement que nous avons commencé à shorter les titres Vista Airways.

Il fallut une seconde ou deux à Quarry pour réagir.

— Vous voulez dire que nous sommes branchés sur les sites Internet jihadistes ?

— C’est ce qu’il semble.

— En fait, ce serait tout à fait logique, commenta van der Zyl. Le VIXAL est programmé pour chercher sur le Web les occurrences de termes liés à la peur et en tirer les corrélations avec les marchés. Que trouver de mieux ?

— Mais il y a un saut quantique, n’est-ce pas ? demanda Quarry. Entre voir l’avertissement, en tirer les déductions et vendre le titre à découvert ?

— Je ne sais pas. Il faudra demander à Alex. Mais c’est un algorithme d’intelligence artificielle. Théoriquement, il ne cesse de se développer.

— Dommage qu’il ne se soit pas développé au point d’avertir la compagnie d’aviation, alors, dit Rajamani.

— Oh, je vous en prie, répliqua Quarry, arrêtez d’être aussi hypocrite. C’est une machine à faire du fric, pas un putain d’ambassadeur de bonne volonté des Nations unies. (Il appuya la tête contre le dossier du canapé et leva vers le plafond des yeux agités, s’efforçant d’intégrer toutes les implications.) Nom de Dieu. Je n’arrive juste pas à y croire.

— Bien sûr, tempéra Ju-Long, il pourrait s’agir d’une simple coïncidence. Alex a fait remarquer lui-même ce matin que la vente des titres de la compagnie entrait dans un schéma bien plus vaste de paris sur la baisse.

— Oui, mais, même comme ça, c’est la seule VAD où on a effectivement vendu les titres et encaissé les bénéfices. Pour les autres, on s’accroche encore. Ce qui soulève une question : pourquoi est-ce qu’on s’accroche ? (Il sentit un frisson lui parcourir l’échine et ajouta :) Je me demande ce qu’il pense qu’il va se passer.

— Il ne pense rien, décréta Rajamani avec impatience. C’est un algorithme, Hugo — un outil. Il n’est pas plus vivant qu’une clé à molette ou un cric de bagnole. Et notre problème, c’est que c’est un outil qui n’est plus assez fiable pour qu’on puisse compter dessus. Le temps presse maintenant, et je dois absolument demander à ce comité d’autoriser formellement la mise à l’écart du VIXAL pour reconstituer immédiatement la couverture du fonds.

Quarry regarda les autres. Il savait sentir les nuances, et il détecta un léger changement d’atmosphère. Ju-Long regardait droit devant lui, le visage impassible, et van der Zyl examinait une peluche sur la manche de son veston. Ils avaient l’air gêné. C’étaient des types bien, pensa Quarry, et intelligents, mais ils étaient faibles. Et ils tenaient à leurs bonus. C’était très facile pour Rajamani d’ordonner l’arrêt du VIXAL, cela ne lui coûterait rien. Eux avaient reçu 4 millions de dollars chacun l’année précédente. Il pesa le pour et le contre. Et il estima qu’ils ne feraient rien. Quant à Hoffmann, il ne s’intéressait pas au personnel de la société, mis à part les analystes quantitatifs, et il le soutiendrait quoi qu’il fasse.

— Gana, commença-t-il d’un ton aimable, je regrette, mais je crois bien que nous allons devoir nous séparer de vous.

— Quoi ? fit Rajamani en se rembrunissant. (Puis il s’efforça de sourire et obtint un horrible rictus nerveux. Il voulut traiter cela comme une plaisanterie.) Allons, Hugo…

— Si cela peut vous consoler, je vous aurais viré la semaine prochaine de toute façon. Mais je crois que tout de suite est plus approprié. Consignez-le dans votre compte rendu, pourquoi pas ? « Après une brève discussion, Gana Rajamani a accepté de renoncer à ses fonctions de directeur des risques, la décision prenant effet immédiatement. Hugo Quarry l’a remercié pour tout ce qu’il avait fait pour l’entreprise » — ce qui, à mon humble avis, se monte en fait à que dalle. Maintenant, prenez vos affaires, rentrez chez vous et passez plus de temps avec vos charmants enfants. Et ne vous en faites pas pour l’argent — je serai plus qu’heureux de vous verser un an de salaire pour le simple plaisir de ne plus avoir à vous revoir.

Rajamani récupérait vite. Quarry fut forcé de lui reconnaître au moins une bonne capacité à encaisser les coups.

— Je voudrais que nous soyons clairs, dit-il. Vous me fichez à la porte parce que je fais mon travail ?

— C’est en partie à cause de votre travail, mais c’est surtout parce que vous êtes un emmerdeur fini quand vous le faites.

— Je vous remercie, répliqua Rajamani, non sans dignité. Je m’en souviendrai, ajouta-t-il en se tournant vers ses collègues. Piet ? LJ ? Est-ce que vous allez intervenir ?

Ni l’un ni l’autre ne bougea. Il ajouta, sur un ton légèrement plus pressant :

— Je croyais que nous avions un accord…

Quarry se leva et débrancha le cordon d’alimentation de l’ordinateur de Rajamani. L’appareil s’éteignit avec un cliquetis.

— Ne faites aucune copie de vos dossiers — le système nous préviendra si vous essayez. Vous remettrez votre portable à mon assistante en sortant. Ne parlez à aucun autre employé de cette entreprise. Ayez quitté les lieux dans moins d’un quart d’heure. Votre indemnité de compensation est liée à votre respect de nos accords de confidentialité. C’est compris ? Je préférerais vraiment ne pas avoir à appeler la sécurité — ça fait toujours très mauvais effet. Messieurs, dit-il aux deux autres, et si nous le laissions prendre ses affaires ?…

— Quand cette histoire se saura, c’en sera fini de cette société — j’y veillerai ! lança Rajamani dans son dos.

— Mais oui, je n’en doute pas.