— Mais ce n’est pas ce qu’il est censé faire, répéta Hoffmann.
Il devait y avoir une explication rationnelle. Il y en avait toujours une. Il finirait par la trouver. Ça devait avoir un lien avec tout ce qui lui arrivait.
— Bon, d’abord, est-ce qu’on est sûrs que ces données soient exactes ? Est-ce qu’on peut vraiment se fier à ce qui apparaît sur les écrans ? Ou est-ce qu’il pourrait s’agir d’un genre de sabotage ? D’un virus ? (Il repensa au logiciel malveillant sur l’ordinateur de sa psy.) Il est possible que toute la boîte fasse l’objet d’une cyberattaque de la part d’une personne isolée ou de tout un groupe — est-ce qu’on a envisagé cette possibilité ?
— Peut-être, mais ça n’explique pas la VAD sur Vista Airways — et, crois-moi, ça commence à faire trop pour être une simple coïncidence.
— Oui, ça n’en est sûrement pas une. Mais on en a déjà parlé…
— Je sais qu’on en a parlé, l’interrompit Quarry avec impatience, mais on a eu de nouvelles infos depuis. Il semble bien maintenant que le crash n’était pas dû à une défaillance mécanique. Apparemment, il y a eu une alerte à la bombe sur un site Web de terroristes islamiques pendant que l’avion était encore en vol. Le FBI ne l’a pas capté, mais nous, oui.
Hoffmann ne saisit pas tout de suite. Trop d’informations arrivaient en même temps.
— Mais ça dépasse de loin les paramètres du VIXAL. Ça constituerait un point d’altération extraordinaire… un saut quantique.
— Je croyais que c’était un algorithme d’apprentissage automatique.
— C’est vrai.
— Alors peut-être bien qu’il a appris quelque chose.
— Ne sois pas bête, Hugo. Ça ne marche pas comme ça.
— D’accord, ça ne marche pas comme ça. Très bien, ce n’est pas moi le spécialiste. Mais le fait est qu’on doit prendre une décision au plus vite. Soit on reprend les commandes du VIXAL, soit on va devoir mettre 2,5 milliards de dollars sur la table demain pour que les banques nous laissent continuer à trader.
Marie-Claude frappa à la porte et l’ouvrit.
— M. Genoud est là.
— Laisse-moi m’occuper de ça, glissa Quarry à Hoffmann.
Il avait la sensation de se trouver dans un jeu vidéo où tout se précipitait sur lui en même temps.
Marie-Claude s’écarta pour laisser entrer l’ex-policier. Celui-ci porta immédiatement son regard vers le trou dans le plafond.
— Entrez, Maurice, dit Quarry. Fermez la porte. Comme vous le voyez, nous avons fait un peu de bricolage, et nous nous demandions si vous pourriez nous expliquer pourquoi.
— Je ne crois pas, répliqua Genoud en fermant la porte. Comment voulez-vous que je le sache ?
— Bon Dieu, intervint Hoffmann, il ne se laisse pas impressionner, Hugo, on peut lui reconnaître ça.
Quarry leva la main.
— C’est bon, Alex, je t’en prie, attends un peu, tu veux bien ? D’accord, Maurice. Pas de bobards. Il faut qu’on sache depuis combien de temps ça dure. Il faut qu’on sache qui vous paie. Et il faut qu’on sache si vous avez introduit quoi que ce soit dans notre système informatique. C’est urgent parce que nous sommes dans une situation boursière extrêmement volatile. Nous ne voudrions pas appeler la police pour régler ça, mais, si on doit en arriver là, nous le ferons. Donc, à vous de décider, mais je vous conseille de jouer la franchise.
Après un silence, Genoud regarda Hoffmann.
— Je peux lui dire ?
— Vous pouvez lui dire quoi ? demanda Hoffmann.
— Vous me mettez dans une position très inconfortable, docteur Hoffmann.
— Je ne vois absolument pas de quoi il parle, glissa Hoffmann à Quarry.
— Très bien, vous ne pouvez espérer que je garde le silence dans ces conditions, dit Genoud en se tournant vers Quarry. C’est le docteur Hoffmann qui m’a demandé de le faire.
Il y avait dans l’insolence tranquille d’un tel mensonge quelque chose qui donna à Hoffmann envie de le frapper.
— Quel enfoiré ! lâcha-t-il. Et vous croyez que quelqu’un va gober ça ?
Genoud ne se laissa pas démonter et, ignorant Hoffmann, continua de s’adresser uniquement à Quarry :
— C’est la vérité. Il m’a donné pour instruction d’installer des caméras cachées quand vous avez emménagé dans ces bureaux. J’ai bien supposé qu’il ne vous en avait pas parlé. Mais c’est le patron de la boîte, alors j’ai estimé que je pouvais lui obéir. C’est absolument véridique, je vous le jure.
Hoffmann sourit et secoua la tête.
— Hugo, c’est n’importe quoi. C’est le même genre de conneries qu’on m’a servi toute la journée. Je n’ai pas eu une seule conversation avec ce type pour lui demander de planquer des caméras dans les bureaux — pourquoi voudrais-je filmer en douce ma propre boîte ? Et pourquoi voudrais-je mettre mon propre téléphone sur écoute ? C’est du n’importe quoi, répéta-t-il.
— Je n’ai jamais dit que nous avions eu une conversation, rétorqua Genoud. Comme vous le savez pertinemment, docteur Hoffmann, je ne reçois mes instructions de vous que par mail.
— Encore des mails ! protesta Hoffmann. Vous me dites sérieusement que vous avez placé toutes ces caméras sans jamais, après tous ces mois et les milliers de francs que ça a dû coûter, sans jamais en parler directement avec moi ?
— Non, jamais.
Hoffmann émit un son qui exprimait à la fois son mépris et son incrédulité.
— On a du mal à y croire, intervint Quarry, à l’adresse de Genoud. Vous n’avez pas trouvé ça bizarre du tout ?
— Pas particulièrement. J’ai eu l’impression que ça se faisait en quelque sorte par en dessous. Qu’il ne voulait pas que ça se sache. J’ai essayé d’aborder le sujet une fois avec lui, de façon détournée. Il a fait comme s’il ne comprenait pas.
— Ce n’est pas très étonnant. Puisque je ne savais pas de quoi vous parliez. Et comment suis-je censé vous avoir payé tout ça ?
— Par virement, répondit Genoud, depuis un compte aux îles Caïmans.
Hoffmann se figea soudain. Quarry le dévisageait avec attention.
— D’accord, concéda l’Américain, supposons que vous avez bien reçu ces mails. Comment pouviez-vous être sûr que c’était moi qui vous les envoyais et pas quelqu’un qui se faisait passer pour moi ?
— Pourquoi aurais-je pensé une chose pareille ? C’était votre société, votre adresse mail et j’étais payé depuis un compte en banque à vous. Et, pour être honnête, docteur Hoffmann, vous n’avez pas la réputation de quelqu’un avec qui on parle facilement.
Hoffmann poussa un juron et, dans son énervement, frappa du poing sur son bureau.
— C’est reparti. Je suis censé avoir commandé un livre sur Internet. Je suis censé avoir acheté toute l’exposition de Gaby sur Internet. Je suis censé avoir demandé à un dingue de me tuer sur Internet…
Il eut une vision involontaire de la scène d’horreur à l’hôtel, de la tête du cadavre retombant au bout de sa tige. Il l’avait complètement oubliée pendant quelques minutes. Puis il prit conscience que Quarry l’observait avec consternation.
— Qui peut me faire ça, Hugo ? fit-il, désespéré. Qui peut faire ça et tout filmer en même temps ? Il faut que tu m’aides à démêler cette histoire. J’ai l’impression d’être coincé dans un cauchemar.
Quarry se sentait près de disjoncter. Il lui fallut faire un effort pour garder le contrôle de sa voix.