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— Un voisin jure qu’il a entendu des bruits de bagarre vers 15 heures, annonça Moynier. Il y a aussi du sang près du lit. Je conclus provisoirement à un meurtre.

— Beau travail, commenta Leclerc.

Le médecin légiste toussa pour dissimuler son rire.

Moynier n’y vit que du feu.

— Est-ce que j’ai eu raison de vous appeler ? demanda-t-il. Pensez-vous qu’il s’agisse de l’homme qui a agressé le banquier américain ?

— Il me semble, oui.

— Eh bien, j’espère que vous n’y verrez pas d’objection, Leclerc, mais j’étais ici le premier, et je voudrais que ce soit bien clair que c’est mon affaire, maintenant.

— Mais, mon cher, je vous en prie.

Leclerc se demanda comment l’occupant de cette chambre minable avait pu croiser le propriétaire d’un manoir de soixante millions de francs à Cologny. Sur le lit, les affaires du mort avaient été réparties dans des sachets de plastique transparent et disposées pour être examinées : des vêtements, un appareil photo, deux couteaux, un imperméable dont le devant avait apparemment été tailladé. Leclerc se rappela qu’Hoffmann en avait porté un semblable quand il s’était rendu à l’hôpital. Il s’empara d’un adaptateur secteur.

— C’est une prise d’ordinateur, non ? demanda-t-il. Où est-ce qu’il est ?

— Il n’y en avait pas ici, répondit Moynier avec un haussement d’épaules.

Le téléphone portable de Leclerc se mit à sonner dans la poche de sa veste. Il n’arrivait pas à l’attraper à travers sa fichue combinaison de lapin. Il baissa la fermeture à glissière avec irritation et arracha ses gants. Moynier commença à protester à cause de la contamination, mais Leclerc lui tourna le dos. C’était son assistant qui l’appelait, le jeune Lullin, qui était encore au bureau. Il lui signala qu’il venait de vérifier les rapports de l’après-midi. Une psychiatre, le docteur Polidori, à Vernier, avait appelé deux heures plus tôt au sujet d’un de ses patients qui présentait des symptômes schizophréniques potentiellement dangereux. Elle disait qu’il s’était battu. Mais, quand la patrouille était arrivée à son cabinet, l’homme avait disparu. Il s’appelait Alexander Hoffmann. La psy n’avait pas d’adresse récente, mais elle avait donné une description.

— A-t-elle précisé s’il avait un ordinateur avec lui ?

Il y eut un silence, puis un bruissement de feuilles de papier, et Lullin finit par répondre :

— Comment le saviez-vous ?

*

Sans lâcher le pied-de-biche, Hoffmann monta rapidement l’escalier conduisant du sous-sol au rez-de-chaussée avec l’intention de donner l’alerte au sujet de Rajamani. Il s’arrêta à la porte de la réception. Par la vitre rectangulaire, il repéra une escouade de six gendarmes en uniforme noir, gros brodequins et arme au poing, qui traversaient la réception au pas de course pour gagner l’intérieur du bâtiment ; les suivait un Leclerc essoufflé. Dès qu’ils eurent franchi le tourniquet, la sortie fut bloquée, et deux autres policiers armés se postèrent de chaque côté.

Hoffmann fit demi-tour, redescendit l’escalier et retourna dans le parking. La rampe qui menait à la rue se trouvait à une cinquantaine de mètres, et il prit cette direction. Il entendit bientôt derrière lui un doux crissement de pneus tournant sur le béton. Une grosse BMW noire sortit de son emplacement, redressa sa trajectoire et arriva derrière lui, feux allumés. Sans prendre le temps de réfléchir, Hoffmann se jeta devant pour la forcer à s’arrêter, puis il courut à la portière du conducteur et l’ouvrit à la volée.

Quel spectacle devait offrir le président d’Hoffmann Investment Technologies, couvert de sang, de cambouis et de saleté, une longue barre de fer à la main ! Le conducteur quitta sa voiture sans demander son reste. Hoffmann jeta le pied-de-biche sur le siège passager, enclencha la position de conduite automatique et écrasa l’accélérateur. Dans un sursaut, la grosse voiture s’engagea sur la rampe. La porte d’acier commençait tout juste à remonter et il dut piler pour attendre qu’elle s’ouvre entièrement. Il vit dans le rétroviseur le propriétaire de la voiture, dont l’adrénaline avait transformé la peur en fureur, remonter la rampe pour en découdre. Hoffmann bloqua les portières, et l’homme se mit à cogner contre la vitre en hurlant. L’épaisse vitre teintée étouffait ses cris et lui donnait un aspect subaquatique. La porte d’acier arriva en haut, et Hoffmann lâcha la pédale de frein pour appuyer sur l’accélérateur, tellement pressé de partir qu’il l’écrasa cette fois encore trop fort. La BMW franchit le trottoir en tressautant puis vira sur deux roues dans la rue à sens unique déserte.

*

Au cinquième étage, Leclerc et son escouade sortirent de l’ascenseur. Il pressa le bouton de l’interphone et leva les yeux vers la caméra de sécurité. La réceptionniste habituelle était rentrée chez elle et ce fut Marie-Claude qui les fit entrer. Effarée, elle porta la main à sa bouche en voyant les hommes armés la dépasser en courant.

— Je cherche le docteur Hoffmann, annonça Leclerc. Il est ici ?

— Oui, bien sûr.

— Vous voulez bien nous conduire à lui, s’il vous plaît ?

Elle les mena à la salle des marchés. Quarry se retourna en entendant l’agitation. Il se demandait pourquoi Hoffmann traînait autant. Il avait supposé qu’il se trouvait toujours avec Rajamani et avait pris son absence prolongée comme un bon signe : à la réflexion, il pensait aussi qu’il vaudrait mieux persuader leur ancien directeur des risques de ne pas s’attaquer à eux à un moment aussi critique. Mais lorsqu’il vit arriver Leclerc et ses gendarmes, il sut que les carottes étaient cuites. Néanmoins, décidé à perpétuer l’esprit de ses ancêtres, il était prêt à tomber avec dignité.

— Puis-je vous aider, messieurs ? demanda-t-il calmement.

— Nous devons parler au docteur Hoffmann, répondit Leclerc. (Il oscillait de droite et de gauche, hissé sur la pointe des pieds pour essayer de repérer l’Américain au milieu des quants interrogateurs qui détournaient la tête de leurs écrans d’ordinateur.) Que personne ne bouge, s’il vous plaît.

— Vous avez dû le manquer de peu. Il est sorti pour s’entretenir avec un de nos cadres.

— Il est sorti de l’immeuble ? Sorti où ?

— Je pensais qu’il était juste dans le couloir…

Leclerc poussa un juron.

— Vous trois, dit-il aux gendarmes les plus proches, fouillez les locaux. Et vous trois, ordonna-t-il aux autres, venez avec moi. Personne ne doit quitter le bâtiment sans ma permission, lança-t-il enfin à la cantonade. Personne ne donne de coup de fil. Nous nous efforcerons de faire aussi vite que possible. Merci de votre coopération.

Il retourna d’un pas vif vers la réception. Quarry se lança à sa poursuite.

— Pardon, inspecteur… Excusez-moi… Qu’est-ce qu’Alex a fait, exactement ?

— On a découvert un corps. Nous devons en parler avec lui. Pardonnez-moi…