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– Cela est vrai, dit Schedoni.

– Comment osez-vous donc l’accuser de calomnie, reprit le marquis, quand vous avouez que c’est vous qui l’avez introduit chez moi?

– Ô ciel! s’écria Vivaldi. Ce moine, ce père Zampari est donc, comme je le soupçonnais, le calomniateur d’Elena?

Le père Zampari, loin de nier le fait, attachait impudemment un regard triomphant sur Schedoni, comme pour le défier de produire contre lui un chef d’accusation dont il ne fût pas complice lui-même.

– Eh quoi! poursuivit le jeune homme en s’adressant à Schedoni dans un élan de généreuse indignation, eh quoi, vous avouez que vous êtes vous-même le premier auteur de ces infâmes calomnies, vous qui naguère vous êtes déclaré le père d’Elena!…

À peine eut-il laissé échapper ces derniers mots qu’il eût voulu les retenir. En effet, il vit le marquis pâlir. Jusque-là il avait évité de lui apprendre qu’Elena avait été reconnue pour la fille de Schedoni. Il comprit qu’une découverte si brusque en un tel moment pouvait renverser ses espérances et dégager le marquis de la promesse qu’il avait faite à sa femme mourante. L’étonnement du marquis peut aisément s’imaginer: il jetait les yeux tantôt sur son fils, comme pour lui demander une explication, tantôt sur Schedoni avec un surcroît d’horreur.

– Écoutez-moi, cria Schedoni, surmontant son abattement par la force de sa volonté.

Il s’arrêta un moment, comme épuisé par cet effort, puis il reprit:

– J’ai déclaré et je déclare ici de nouveau, et solennellement, qu’Elena Rosalba, ainsi nommée je le suppose pour la dérober à mes recherches, est ma fille.

Vivaldi, plein d’anxiété, garda le silence, mais le marquis prit la parole:

– Ainsi, dit-il, c’est pour me faire entendre la justification de votre fille que vous m’avez fait venir ici? Mais que la signora Rosalba soit innocente ou coupable que m’importe à moi?

– Elle appartient à une noble maison, repartit fièrement Schedoni en se redressant sur son lit. Vous voyez en moi le dernier des comtes de Bruno.

Le marquis sourit d’un air de mépris.

– Terminons, dit-il, les difficultés. Je vois qu’on m’a fait appeler ici pour une affaire qui ne me regarde pas.

Avant que Schedoni pût répliquer, il se disposait à quitter la chambre lorsqu’il fut arrêté par le trouble et le désespoir de son fils. Il consentit donc à écouter le confesseur qui ajouta que la justification d’Elena n’était pas le seul objet de cette entrevue. Puis, en présence de deux officiers du tribunal venus là comme témoins et du greffier de l’Inquisition, il se prépara à faire sa nouvelle déposition. On apporta une torche qui éclaira tous les acteurs de cette lugubre scène et qui découvrit aux yeux des assistants la figure hâve et décharnée du sinistre dominicain, dont la mort semblait déjà s’être emparée. Il demeura quelques instants le coude appuyé sur son oreiller, les yeux fermés, et paraissant en proie à une lutte intérieure. Enfin, comme s’il eût fait un violent effort sur lui-même, il énuméra en détail tous les artifices qu’il avait employés contre Vivaldi. Il s’avoua lui-même comme l’accusateur anonyme qui avait dénoncé le jeune homme au Saint-Office et déclara que le procès d’hérésie qu’il lui avait fait susciter reposait sur des bases fausses et des rapports calomnieux.

Au moment où se confirmaient les soupçons de Vivaldi sur le véritable auteur des poursuites dont il s’était vu l’objet, il remarqua que cette accusation n’était pas celle qu’on avait élevée contre lui, à la chapelle de Saint-Sébastien, et dans laquelle Elena était impliquée. Il demanda l’explication de cette différence. Schedoni la donna en répondant que les personnes qui l’avaient arrêté dans la chapelle de Saint-Sébastien n’étaient pas de véritables officiers de l’Inquisition et que l’ordre d’arrestation, motivé par l’enlèvement d’une religieuse, avait été forgé par lui-même afin que les gens qu’il avait apostés pussent s’emparer d’Elena sans redouter l’opposition des respectables religieux qui l’entouraient.

Cette déposition ayant été recueillie par le greffier et signée par l’inquisiteur et les deux officiers du tribunal, Vivaldi vit son innocence proclamée par l’homme même qui l’avait précipité dans de si grands dangers. Et le marquis, impatient de quitter ce lieu, pria l’inquisiteur de faire déposer la déclaration de Schedoni sur le bureau du Saint-Office afin que l’innocence de son fils fût constatée et qu’il pût recouvrer sa liberté sur-le-champ. Il demanda en outre une copie de cet acte, signé des mêmes témoins. Pendant que le marquis l’attendait, Vivaldi pressa Schedoni de lui donner de nouveaux éclaircissements sur la naissance d’Elena; mais celui-ci ne put que répéter ce qu’il avait déjà dit au sujet du portrait qui avait amené cette découverte. Pendant cette explication, les regards du jeune homme tombèrent sur le visage du père Zampari qui se tenait un peu en arrière des assistants en fixant sur le moribond des yeux pleins d’une méchanceté infernale. Il frémit en retrouvant en lui la figure effrayante du moine des ruines de Paluzzi, bien capable sans doute d’avoir trempé dans tous les crimes commis par Schedoni. Il se rappela alors la prédiction que cet homme lui avait faite de la mort de la signora Bianchi. Les soupçons de Vivaldi sur la cause de cette mort lui revenant tout à coup à l’esprit, il somma le confesseur, qui n’avait plus qu’un moment à vivre, de déclarer ce qu’il savait sur ce sujet. Le moribond protesta solennellement qu’il était innocent de cette mort et, tout en parlant, il lança un regard terrible au père Zampari qui se détourna dans l’ombre en se cachant le visage.

Vivaldi se sentit pénétré d’horreur; mais Zampari reprit bientôt son assurance:

– Jeune homme, dit-il, l’avis que vous avez reçu dans les ruines de Paluzzi vous a été donné pour vous détourner de vous rendre à la villa Altieri.

– C’est vous aussi que j’ai poursuivi à travers les détours souterrains, dit Vivaldi. Mais alors dites-moi donc, si vous l’osez, ce que c’était que les vêtements sanglants que j’y ai trouvés à terre… et ce qu’est devenue la personne à qui ils appartenaient?

Le père Zampari sourit.

– Ces vêtements, dit-il, étaient les miens.

– Les vôtres?

– Oubliez-vous le coup de pistolet qui m’a blessé?

Vivaldi se rappela en effet le coup de feu tiré par Paolo sous les arcades des ruines de Paluzzi.

– J’ai eu le courage, reprit le moine, de surmonter la douleur. Je me retirai dans la chambre souterraine, j’y jetai mon habit teint de sang avec lequel je n’aurais pu rentrer dans mon couvent, et je m’échappai par une route qu’il vous était impossible de découvrir. Les gens qui étaient dans le fort, pour m’aider à vous y retenir pendant la nuit où la signora Rosalba devait être enlevée de la villa Altieri, pansèrent ma blessure et me procurèrent d’autres vêtements. Mais, si vous ne m’avez pas revu cette nuit-là, vous avez plus d’une fois entendu mes gémissements dans une chambre voisine.

Vivaldi s’expliquait maintenant toutes ces circonstances qui lui avaient paru presque surnaturelles.

Il jeta les yeux sur Schedoni pour savoir s’il confirmerait le témoignage de son complice. Mais le visage du confesseur s’altérait de plus en plus. On y remarquait toutefois un certain sourire de triomphe qui éclatait au milieu de ses souffrances, jusqu’à ce que des convulsions et une respiration haletante vinssent annoncer que sa fin était proche.