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– N’allez pas à la villa Altieri si vous voulez éviter le sort qui vous menace.

– Quel sort? demanda Vivaldi en reculant de surprise. Expliquez-vous.

Mais déjà le moine avait disparu, et l’obscurité de la ruine ne permettait pas de retrouver sa trace.

– Que le ciel nous protège! s’écria Bonarmo. Ceci passe toute croyance! Retournons à Naples; il faut obéir à ce nouvel avis.

– Ah! dit Vivaldi, j’aime mieux tout risquer; si j’ai un rival, je veux l’affronter sur-le-champ.

– Prenez garde, répartit Bonarmo, il est évident maintenant que vous avez un rival; que peut votre courage contre des spadassins gagés?

– Si vous craignez le danger, répliqua Vivaldi, j’irai seul.

Blessé par ce reproche, Bonarmo suivit son ami en silence jusqu’à la villa Altieri. Le jeune comte, se frayant le même passage que la nuit précédente, s’aventura dans le jardin.

– Eh bien? demanda-t-il à son compagnon, où sont ces bravi si terribles?

– Parlez bas, reprit l’autre, nous sommes peut-être à quatre pas d’eux.

– Soit, dit Vivaldi en portant la main à son épée, ils seront aussi à quatre pas de nous.

Enfin les deux jeunes gens parvinrent à l’orangerie, qui était toute proche de la maison. Là ils se reposèrent pour reprendre haleine et préparer leurs instruments. La nuit était sereine et calme. Ils entendaient au loin des voix confuses et virent bientôt le ciel tout enflammé par un feu d’artifice, tiré pour la naissance d’un prince de la maison royale; des milliers de fusées s’élevaient du rivage occidental de la baie et éclataient dans les airs, illuminant à la fois les visages d’une foule immense, les eaux de la baie, les barques nombreuses qui glissaient à leur surface, et la riche cité de Naples et ses terrasses, et son Cours garnis de spectateurs et d’équipages. Tandis que Bonarmo était tout entier à ce beau spectacle, Vivaldi tenait ses yeux attachés sur la demeure d’Elena, dans l’espoir que l’éclat du feu d’artifice l’attirerait sur le balcon; mais elle n’y parut pas, et aucune lumière dans la maison n’indiquait même qu’elle veillât. Pendant qu’ils étaient assis sur le gazon de l’orangerie, un bruit de feuillage, comme celui d’une personne qui écarterait les branches pour se frayer un passage, vint distraire l’attention de Bonarmo, et Vivaldi demanda:

– Qui va là?

Un long silence fut la seule réponse.

– Serions-nous observés? dit Bonarmo.

Tous deux se levèrent et quittèrent l’orangerie pour se rapprocher de la maison. Placés sous la fenêtre où Vivaldi avait vu Elena la nuit précédente, ils accordèrent leurs instruments et entamèrent la sérénade par un duo des plus mélodieux. Vivaldi avait une belle voix de ténor et donnait à son chant l’expression la plus pathétique, son âme respirait dans ses accents passionnés; mais il ne put juger de l’effet qu’il avait produit, car la maison resta plongée dans le silence et l’obscurité. Seulement, dans un intervalle de leurs accords, Bonarmo crut entendre près de lui des gens qui parlaient avec une extrême précaution: il écouta plus attentivement; mais il ne put s’assurer de la vérité. Vivaldi prétendit que ce murmure confus n’était que celui de la multitude répandue sur les quais de la ville. Ce qui le préoccupait en le décourageant, c’était l’inutilité de sa tentative; il en éprouvait une douleur si vive que Bonarmo, redoutant les suites de son désespoir, essaya de le persuader qu’il n’avait pas de rival, et cela avec la même chaleur qu’il avait mise à lui affirmer le contraire. Enfin ils quittèrent le jardin, Vivaldi jurant sur l’honneur qu’il ne prendrait aucun repos avant d’avoir découvert cet inconnu qui troublait son bonheur, et de l’avoir forcé à expliquer le sens de ses mystérieux avis; Bonarmo objectant les difficultés d’une telle recherche et l’éclat qu’elle ne manquerait pas d’amener, éclat fâcheux pour l’avenir d’un amour qu’il ne fallait point ébruiter; mais Vivaldi résistait à toutes ces remontrances.

– Nous verrons, disait-il, si ce démon sous l’habit de moine osera de nouveau traverser mon chemin; s’il paraît il ne saurait m’échapper; s’il ne se montre pas, j’attendrai son retour avec la même constance qu’il a attendu le mien; oui, dussé-je m’enfoncer dans ces ruines, et dussé-je y périr!

Bonarmo fut frappé de la véhémence que Vivaldi mit dans ces derniers mots; cessant dès lors de s’opposer à son dessein, il le pria seulement de considérer qu’il était assez mal armé.

– Chut! dit Vivaldi, au détour d’une roche qui surplombait leur route. Nous approchons de l’endroit: voici la voûte.

En effet, elle se dessinait dans l’obscurité, entre deux montagnes taillées à pic.

Ils marchaient en silence et d’un pas léger, jetant autour d’eux des regards méfiants, et s’attendant à voir d’un instant à l’autre le moine sortir d’entre les rochers; mais ils arrivèrent à la voûte sans avoir rencontré le moindre obstacle.

– Eh bien, dit Vivaldi, nous voilà ici avant lui.

En disant ces mots, le jeune comte s’appuya contre la muraille, au milieu de la voûte, près d’un escalier taillé dans le roc. Après quelques moments de silence, Bonarmo, qui songeait à tout ce qui s’était passé, demanda à son ami:

– Croyez-vous réellement que nous puissions parvenir à saisir ce personnage? Il a passé à côté de moi avec une rapidité surprenante, et je suis enclin à croire qu’il y a en lui quelque chose de surnaturel. Mais aussi de quelles circonstances extraordinaires son apparition n’a-t-elle pas été entourée? Comment a-t-il su votre nom, lorsqu’il vous a interpellé pour la première fois? S’il vous a averti de ne pas aller à la villa Altieri, c’est donc qu’il était instruit de la réception qui vous y attendait.

– Ah! oui, s’écria impétueusement Vivaldi, et ce rival que je dois craindre, c’est lui, c’est lui-même! Il s’est affublé de ce costume saint pour en imposer à ma crédulité, pour me détourner de mes projets sur Elena, et me voilà réduit à me cacher honteusement pour l’attendre, pour l’épier, ce rival, comme ferait un assassin!

– Pour Dieu! dit Bonarmo, modérez ces transports, et songez en quel lieu nous sommes!

Mais ce ne fut qu’avec beaucoup de peine qu’il parvint à calmer son ami.

Un temps assez long s’était déjà passé dans cette sorte d’embuscade lorsque Bonarmo vit à l’entrée de la voûte, du côté de la villa Altieri, comme une ombre qui interceptait la faible clarté du crépuscule. Vivaldi, ayant les yeux tournés du côté de Naples, n’aperçut pas l’objet qui éveillait l’attention de son compagnon, et celui-ci, se défiant de la violence du jeune homme, jugea prudent de veiller sur les mouvements de cette ombre et de s’assurer d’abord si c’était bien le moine. À sa taille, à la draperie qui l’enveloppait, il crut reconnaître le personnage; il secoua alors le bras de Vivaldi pour attirer ses regards de ce côté; mais l’ombre, s’avançant sous la voûte, disparut dans l’obscurité. Alors, Vivaldi, incapable de se contenir plus longtemps, s’écria en étendant les bras pour occuper le passage:

– Qui va là?