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Elena rougit, blessée dans sa fierté, et ne daigna pas répondre. Elle se sentait profondément indignée en voyant donner à des actes de la plus injuste tyrannie les couleurs d’une indulgence généreuse. Elle ne se montra pas d’ailleurs fort troublée en apprenant les projets tramés contre elle; car depuis son entrée à San Stefano, son courage s’attendait à tout. Ce n’était qu’en pensant à Vivaldi qu’elle le sentait faiblir et que ses maux lui paraissaient intolérables.

– Vous ne répondez pas? lui dit l’abbesse après avoir attendu quelques minutes. Est-il possible que vous soyez si insensible aux bontés de la marquise? Je ne veux pas cependant vous presser trop vivement. Vous pouvez vous retirer dans votre chambre pour réfléchir mûrement à votre décision; mais songez que vous n’avez à choisir qu’entre l’un ou l’autre des deux partis qui vous sont proposés.

– Madame, répondit Elena avec une dignité tranquille, je n’ai pas besoin de demander du temps pour me décider. Ma résolution est déjà prise, et je rejette également les deux offres que vous vous êtes chargée de me transmettre. Jamais je ne me condamnerai volontairement à demeurer enfermée dans un cloître, ni à subir la dégradation dont vous me menacez. Prête à supporter tous les mauvais traitements qu’il vous plaira de m’infliger, ce n’est pas du moins de mon propre consentement que je serai malheureuse et opprimée. La conscience de mes droits et le sentiment de la justice soutiendront mon courage jusqu’au bout; et je ne manquerai pas, soyez-en sûre, à ce que je me dois à moi-même. Vous connaissez mes résolutions, madame; et, comme elles ne changeront pas, je ne vous en parlerai plus.

La surprise avait empêché l’abbesse d’interrompre ces paroles si hardies. Jamais on ne lui avait tenu tête avec cette fermeté.

– Sortez! fut le seul mot qu’elle put dire en se levant avec impatience de son fauteuil.

Elena, reconduite à sa cellule, se mit à repasser en esprit sa conduite avec l’abbesse et ne put se repentir de la franchise avec laquelle elle avait défendu ses droits. Elle s’applaudit de ne pas s’être oubliée un instant, soit en se laissant emporter par son indignation, soit en se laissant abattre par la crainte. Elle résolut d’éviter désormais toutes les scènes du même genre et de repousser par le silence les injures auxquelles elle pourrait être exposée. Des trois maux entre lesquels elle avait à choisir, sa captivité, quelque douloureuse qu’elle fût, lui semblait de beaucoup préférable au mariage dont on la menaçait ou aux vœux perpétuels qu’on voulait lui arracher. Ce fut donc à la résignation qu’elle essaya d’habituer son âme. Depuis son entrevue avec l’abbesse, on l’avait rigoureusement tenue séquestrée dans sa cellule; mais, le soir du cinquième jour, on lui permit d’assister aux vêpres. En traversant le jardin pour se rendre à l’église, elle éprouva une sensation de volupté infinie à respirer librement l’air frais et à reposer ses yeux sur le feuillage et sur les fleurs. Elle suivit les religieuses à l’office, et se trouva placée au milieu des novices. Les chants religieux émurent son cœur et relevèrent ses esprits. Parmi les voix qui la charmaient, une surtout fixa son attention. À ses accents qui tantôt s’élevaient avec les accords solennels de l’orgue, et tantôt l’adoucissaient en se mêlant au chant timide des autres religieuses, Elena, prise de sympathie pour l’âme que cette mélodie semblait révéler, chercha parmi ses compagnes, celle qui répondait le mieux à l’idée qu’elle s’en était faite. Elle remarqua alors, à quelque distance, une religieuse agenouillée au-dessous d’une lampe qui l’éclairait à demi, et dont la figure et le maintien lui parurent d’accord avec le chant expressif qui l’avait si vivement frappée. Son voile était assez léger pour laisser entrevoir la beauté de ses traits; ses yeux levés au ciel et son attitude recueillie exprimaient une ardente dévotion. L’hymne achevé, elle se leva et, bientôt après, Elena put la contempler sans voile et tout à fait éclairée par la lampe. Elle crut démêler sur ses traits pâles, où la langueur avait succédé aux élans de la piété, le sentiment du désespoir plutôt que celui de la résignation. Mais cette idée même, qui lui faisait supposer une situation pareille à la sienne, redoublait sa sympathie pour la religieuse. À la sortie de l’église, comme ladite religieuse passait près d’elle, la jeune fille lui jeta un regard si doux et si expressif qu’elle s’arrêta et regarda à son tour la nouvelle venue. Une faible rougeur colora un moment ses joues; elle parut émue et tint quelque temps ses regards fixés sur Elena; mais, obligée de suivre la procession, elle lui adressa un sourire d’adieu qui exprimait la plus tendre pitié. Elena la suivit des yeux jusqu’à la porte qui conduisait à l’appartement de l’abbesse et, quand elle fut elle-même rentrée chez elle, elle s’informa de son nom.

– Voudriez-vous parler de sœur Olivia? lui demanda sœur Marguerite, la religieuse qui la raccompagnait.

– Elle est d’une figure bien agréable.

– Sans doute, répondit sœur Marguerite d’un air pincé, mais nous avons beaucoup de sœurs aussi jolies.

– Elle n’est plus, il est vrai, de la première jeunesse, reprit Elena, mais elle en a encore toutes les grâces et elle y joint une dignité…

– Si vous voulez dire qu’elle est d’âge moyen, reprit aigrement sœur Marguerite, ce doit être sœur Olivia, car nous sommes presque toutes plus jeunes qu’elle.

Elena porta involontairement ses yeux sur la religieuse qui parlait ainsi; elle vit une figure maigre et jaune, annonçant à peu près une fille de cinquante ans, et put à peine cacher sa surprise en retrouvant une si misérable vanité sous un extérieur si grave, à l’ombre du cloître, au milieu de passions refroidies. Sœur Marguerite, jalouse de l’éloge de sœur Olivia, refusa de répondre à de nouvelles questions et enferma Elena dans sa cellule. Le jour suivant, on permit encore à la prisonnière d’assister aux vêpres, et elle se sentit ranimée par l’espoir de revoir sa religieuse préférée. Elle l’aperçut en effet agenouillée au même endroit et faisant sa prière, avant que le service ne fût commencé. Elena contint avec peine son impatience. Quand la religieuse se fut levée, elle fixa sur Elena ses regards attendris, accompagnés d’un sourire si expressif que l’orpheline, oubliant le lieu où elle se trouvait, voulut quitter sa place pour s’approcher d’elle. Mais, à ce mouvement, la religieuse rabattit son voile, en une espèce de reproche qu’Elena comprit; aussi eût-elle la prudence de se tenir à sa place pendant toute la cérémonie. Après l’office, comme on sortait de l’église, sœur Olivia passa sans paraître faire attention à elle; aussi Elena, contristée de cette indifférence, rentra-t-elle dans sa chambre tout abattue. Devait-elle donc renoncer à une sympathie si touchante et dont l’idée seule la consolait dans sa prison? Pendant qu’elle rêvait ainsi, elle fut distraite par le pas léger d’une personne qui s’approchait de sa cellule. La porte s’ouvrit, et elle vit entrer sœur Olivia. Tout émue, elle se leva pour aller à sa rencontre, et la religieuse lui tendit une main qu’elle serra affectueusement dans les siennes.

– Vous n’êtes pas accoutumée aux privations ni à notre mauvaise viande, dit sœur Olivia d’un ton de compassion, en posant sur la table une petite corbeille qui contenait quelques provisions.

– Je vous comprends, dit Elena, avec un regard de reconnaissance. Vous avez un cœur accessible à la pitié; ayant souffert vous-même, vous êtes heureuse d’adoucir les souffrances des autres. Ah! que ne puis-je vous exprimer combien je suis touchée des sentiments que vous me témoignez!