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Des larmes l’interrompirent. Sœur Olivia lui pressa la main, la regarda quelque temps en silence avec une sorte d’agitation, puis lui dit avec un sourire mêlé de quelque gravité:

– Vous jugez bien de ce que j’éprouve, mon enfant. Je partage en effet vos peines, car vous étiez sans doute destinée à une vie plus heureuse que celle qui vous est réservée dans ce cloître.

Elle s’interrompit brusquement, comme si elle craignait d’en avoir trop dit. Puis elle reprit:

– Rassurez-vous cependant; et si vous trouvez quelque consolation à savoir qu’il y a près de vous une amie, souvenez-vous que je suis cette amie. Mais gardez cela pour vous seule. Je viendrai vous voir aussi souvent que je le pourrai. Seulement, ne parlez pas de moi; et si mes visites sont courtes, ne me pressez jamais de les prolonger.

– Que de bontés! s’écria Elena. Vous viendrez me voir! vous prenez intérêt à mes malheurs!

– Chut! dit la religieuse. Je puis être observée. Bonne nuit, ma chère sœur, et que Dieu vous envoie un sommeil paisible.

Et elle quitta la chambre subitement.

Le cœur d’Elena, ferme et assuré contre les insultes de l’abbesse, s’amollit à ces témoignages d’une affection compatissante. De douces larmes lui apportèrent un peu de soulagement, et quelque espoir commença à renaître en son âme. Le lendemain matin, elle s’aperçut que la porte de sa cellule n’avait pas été fermée à clef; elle s’habilla à la hâte et sortit. Sa chambre donnait sur un passage qui communiquait avec le bâtiment principal; mais la porte de ce passage était fermée. Elena se trouvait donc prisonnière comme auparavant. Seulement, elle pensa que sœur Olivia n’avait pas fermé à clef la porte de sa chambre afin de lui ménager un peu plus d’espace pour se promener, et elle lui sut gré de cette attention. En avançant dans le corridor, elle aperçut, à l’un de ses bouts, un petit escalier. Elle monta et se trouva dans une petite chambre qui ne lui présenta d’abord rien de remarquable; mais, en n’approchant de la fenêtre, elle découvrit un horizon immense et un paysage dont la beauté fit sur elle une vive impression. Elle reconnut que cette chambre se trouvait dans une petite tourelle en saillie, à l’un des angles de l’édifice, et qu’elle était comme suspendue au-dessus des rochers de granit dont la montagne était formée. Quelques-uns de ces rochers surplombaient le vide, comme prêts à s’écrouler; d’autres, taillés à pic, supportaient les murs du monastère.

Pour Elena, que le spectacle des beautés de la nature trouvait toujours si sensible, la découverte de cette petite tourelle était un bonheur inappréciable. Elle pourrait venir là, puiser dans cette vue magnifique la force d’âme nécessaire pour endurer ses chagrins. Bientôt son attention fut distraite par un bruit de pas dans le corridor. Elle se hâta de redescendre, pensant que c’était sœur Marguerite qui lui apportait son déjeuner. Elle ne se trompait pas. La sœur, étonnée, lui demanda comment elle avait ouvert la porte de sa chambre et où elle était allée. Elena lui répondit avec franchise qu’elle avait trouvé cette porte ouverte et qu’elle était montée jusqu’à une petite tour. Sœur Marguerite la réprimanda durement et quitta la chambre, après avoir eu soin de la refermer à clef. Elena fut ainsi privée de la consolation qu’elle avait goûtée un moment dans la tourelle. Pendant plusieurs jours, elle ne vit absolument que sa sévère geôlière, si ce n’est à l’heure des vêpres où elle était observée avec tant de vigilance qu’elle n’osa dire un seul mot à sœur Olivia, ni même lui parler des yeux. Ceux de sœur Olivia étaient souvent fixés sur elle avec une expression que l’orpheline ne sut pas bien définir; elle crut y voir plus que de la compassion: c’était comme une sorte d’angoisse. Après être sortie de l’église, elle resta encore seule toute la soirée. Mais, le lendemain matin, elle vit sœur Olivia entrer dans sa cellule; elle lui apportait à déjeuner. Une profonde tristesse était empreinte sur ses traits.

– Ah! que je suis heureuse de vous voir, s’écria Elena, et combien j’ai souffert d’une si longue séparation!

– Je viens sur l’ordre de notre abbesse, dit sœur Olivia avec un sourire mélancolique, en s’asseyant sur la couchette de la jeune fille.

– Est-ce donc contre votre gré que vous venez me visiter? demanda tristement Elena.

– Non sans doute, mais…, et elle hésita.

– Ah! je le vois, reprit Elena, vous m’apportez de mauvaises nouvelles?

– Eh bien oui, ma chère enfant, il n’est que trop vrai. Armez-vous de courage. On veut, il faut bien que vous le sachiez, on veut que je vous prépare à prendre le voile. On veut que je vous déclare qu’il n’y a plus pour vous d’autre parti à prendre, puisque vous rejetez le mari qu’on vous propose. Les délais accoutumés ne seraient point observés pour vous et bientôt, après avoir pris le voile blanc, vous seriez obligée de prendre le voile noir.

Après s’être recueillie un instant, Elena dit d’un ton ferme:

– Ce n’est pas à vous que je répondrai, sœur Olivia, puisque c’est contre votre gré que vous vous êtes chargée de ce cruel message, mais seulement à madame l’abbesse. Je déclare, à mon tour, que je ne veux prendre ni voile blanc ni voile noir, que l’on peut bien me traîner de force à l’autel, mais que jamais ma bouche ne prononcera des vœux que mon cœur déteste et que, si ma voix s’élève, ce ne sera que pour protester contre une indigne violence.

Sœur Olivia parut écouter avec une certaine satisfaction cette noble réponse de l’orpheline.

– Je n’ose applaudir à votre résolution, répliqua-t-elle, mais je ne la condamne point. Sans doute avez-vous laissé dans le monde quelque attachement qui rendrait trop déchirante une séparation éternelle. Des parents, des amis peut-être…

– Je n’en ai point, interrompit Elena avec un soupir, hors un seul ami. Et c’est de celui-là qu’ils veulent me séparer.

– Pauvre enfant! dit sœur Olivia. Pardonnez-moi une question peut-être indiscrète: quel est votre nom?

– Elena Rosalba.

– Quoi? Comment? dit sœur Olivia en l’examinant avec attention.

– Elena Rosalba, répéta l’orpheline, et permettez-moi de vous demander la cause de votre étonnement. Connaissez-vous quelqu’un de ce nom?

– Non, répondit tristement la religieuse, mais vos traits ont quelque ressemblance avec ceux d’une amie que j’ai perdue.

En prononçant ces mots, son émotion était visible. Elle se leva pour se retirer.

– Je crains de prolonger ma visite, dit-elle, de peur qu’on ne m’empêche de la renouveler. Quelle réponse vais-je porter à l’abbesse? Si vous êtes déterminée au refus que vous venez de me signifier, je vous conseille, mon enfant, d’en adoucir l’expression; car je connais le caractère de cette femme mieux que vous.

– Vous à qui je dois tant de reconnaissance pour la bienveillance que vous me témoignez, dit Elena, jugez vous-même de ce qu’il convient de dire. Mais, en adoucissant les termes de mon refus, n’oubliez pas, de grâce, qu’il est absolu et prenez garde que l’abbesse ne puisse mettre mes ménagements sur le compte de l’irrésolution.

– Comptez sur moi, répondit sœur Olivia. Adieu. Je reviendrai vous voir ce soir, si je le puis. La porte restera ouverte, afin de vous procurer un peu plus d’air et de vue; car le petit escalier, au bout du corridor, conduit à une chambre fort agréable.